jeudi 10 décembre 2015

Ode aux kamikazes et aux "martyrs"




 

mardi 8 décembre 2015

Pour que l'eau salée n'ait jamais le goût des larmes.




                     

   La porte entrouverte derrière la policière s'ouvre avec un très léger grincement, elle se lève pour se retourner mais trop tard. Elle ressent une piqûre au cou tandis qu'une main agrippe ses cheveux et tire brutalement sa tête en arrière. Une voix féminine très douce susurre à son oreille.
- Un geste brusque ou un cri serait préjudiciable à votre santé, je serais au désespoir de devoir enfoncer ce couteau plus avant dans votre tendre et joli cou. Asseyez-vous sur la chaise, bras derrière le dossier s'il vous plait.
   Laurence, toujours tête tirée en arrière, se rassoit très disciplinée, elle ne comprend pas ce qui lui arrive, elle a peur, elle ne voit plus rien, un vertige la saisit. Un liquide chaud perle le long de son cou, sans doute un peu de sang.
   La voix douce commande à son interlocuteur
- Cher Monsieur, puis je vous demander d'avoir l'amabilité d'attacher votre petite Laurence sur sa chaise pour l'inciter à se tenir tranquille, j’aimerais  beaucoup converser avec elle, moi aussi. La rallonge de votre ordinateur fera très bien l’affaire, si personne ne joue au héros tout ira bien, sinon je la plante immédiatement, je fais çà très bien, alors serrez bien, sinon je n’aurai pas d’autre choix que de l’exécuter, puis retournez vous assoir bien sagement dans votre fauteuil.
   Laurence entend les pas autour d’elle, sent le froid du plastique de la rallonge lier ses mains derrière le dossier de sa chaise. Elle reprend ses esprits. Curieusement, c'est le ton mesuré et calme de son agresseuse qui effraie le plus la policière, elle est entrainée pour faire face à la violence, mais elle ne sait pas trop réagir à cette situation inédite de menace feutrée et polie. Son appartenance à la police l'a toujours protégée jusque là. Elle se retrouve pour la première fois dans une situation mettant sa vie en danger. La main libère ses cheveux, sa tête reprend une position normale, le poignard est toujours tout près de son cou, prêt à frapper. Quelques gouttes salées coulent de ses yeux et finissent dans sa bouche. Elle pense subitement à son père sauveteur en mer pendant ses vacances, il portait un tee-shirt sur lequel quelques mots étaient imprimés: "pour que l'eau salée n'ait jamais le goût des larmes".
   Elle reconnait instantanément Eden sans l'avoir jamais vue, le portrait robot est vraiment fidèle, d'où sort elle ?  Grande, mince, sa bouche est divinement sensuelle, son nez légèrement retroussé, ses cheveux châtains dorés sont courts, une jupe noire s'arrêtant mi-cuisses souligne la perfection de ses jambes, mélange de Xéna la guerrière, issue de la série qu’elle aimait tant petite et Hélène dans "TROIE " aux côtés de Brad Pitt et Orlando Bloom. Ses yeux verts  légèrement en amande sont terrifiants, un regard de panthère face à une gazelle, un requin prêt à attaquer. Tous les prédateurs ont ce regard fixe qui parait refuser le statut d'être vivant à leur proie.
   Laurence se ressaisit. Pour retrouver un peu d'espoir, elle cherche à se rassurer : elle a confiance, son interlocuteur est ici et c'est un malin. Mais elle se la raconte, elle préfère oublier tous les instants où elle ne le voyait que comme un pantin manipulé et complètement envouté par cette ensorceleuse. Elle tente de se persuader : « Le comportement d'Eden lui montre enfin sa vraie nature, il ne peut plus douter de sa culpabilité, il va s'arranger pour faire des nœuds suffisamment lâches pour que je me libère facilement, après je serai tout à fait capable de retourner la situation, mais comment Eden peut elle être là ?
   Elle décide de reprendre en main son destin.
- Eden, comment pouvez vous être là  ! Monsieur  , faites tout ce qu'elle voudra, je vous en supplie.
- Vous êtes raisonnable, parfait, tout va bien se passer. Vous me cherchiez, j'étais tout près de vous juste derrière cette porte depuis le début de votre entretien. J'ai vu par dessus le portail votre voiture immatriculée dans le Gers avec un macaron " j'aime la police" sur le pare brise. Vous pensez bien que j'ai tout de suite compris que votre visite me concernait. Je n'ai pu résister à la tentation, je suis montée très facilement en grimpant sur la poubelle.
   Laurence se souvient d'une de ses formations sur le comportement à adopter dans une situation  de prise d'otage. Il est important de parler, parler encore, négocier, désamorcer les conflits, tenter de sympathiser avec l'agresseur qui finit par se fatiguer. Le temps travaille contre le preneur d'otage lui a-t-on dit.
 - Ne faites pas l'imbécile, je suis officier de police judiciaire, détachez moi immédiatement et j'oublierai cette agression, je suis là pour vous aider. Un bon avocat saura plaider l'irresponsabilité pénale au moment des faits, maintenant vous êtes guérie vous devriez bien vous en tirer.
- C'est ça, je suis guérie et avec beaucoup de chance je passerai les vingt prochaines années au mieux à l'asile, au pire en prison, merci pour l'avenir radieux. Ne me prenez pas pour une courge ou une blonde, j'ai retrouvé ma couleur originelle.
- Il n'y a rien de personnel dans mon enquête et je suis terriblement désolée de l'horreur que vous avez vécue dans votre enfance, mais je ne fais que mon devoir, votre psy peut vous le confirmer.
- Vous avez fait plus que votre devoir, vous êtes trop intelligente et infiniment dangereuse pour moi.
Laurence poursuit sa stratégie, elle doit également lui donner confiance.
- Je ne représente aucun danger pour vous, personne ne m'a crue jusqu'à maintenant, il n'y a pas de raison que cela change. Je ne demande qu’à comprendre et à vous écouter, dites moi plutôt où je me trompe et ce qui est vrai dans mes déductions...

samedi 5 décembre 2015

Laurence ressent une piqûre au cou.



                                                                                                                                                          
  Je persiste à croire que vous devriez consulter.
   Laurence ne relève pas la dérision presque insultante des propos de son interlocuteur, elle suit son idée, toute excitée.
- En fait je me rends compte que sa névrose s'est développée sur un temps très long et ses effets sur un temps très court. Dites moi si je me trompe : De six à onze ans elle subit traumatisme sur traumatisme avec en point d'orgue le drame du 2 juillet 1989. 
 Son cerveau coupe miséricordieusement la communication avec ses souvenirs, lui donnant un répit illusoire. De ses onze ans jusqu'à son opération apocalyptique des amygdales, un calme trompeur règne dans sa tête, le drame est en gestation, la névrose se structure. Après son opération et un choc anaphylactique suite à une prise de médicaments trop puissants à base d’opiacés les problèmes commencent à émerger, le serpent prend petit à petit possession de son esprit au fur et à mesure que son inconscient cherche à faire remonter à la surface ses souvenirs refoulés, les envies de meurtres surgissent comme réponse naturelle à ses cauchemars.                                                                                                                                           
  Elle rencontre Michel Ange qui représente enfin pour elle l’amour, l’homme fort, protecteur, le père qu'elle n'a pas eu et investit tout sur lui.                                                                    
   Elle devient même complètement addicte de leur osmose supposée, perd son autonomie psychique et disjoncte dès leur première divergence de point de vue. Entre parenthèses, M A et son épouse sont passés bien près de la catastrophe, Eden aurait parfaitement pu tourner son agressivité vers eux, heureusement pour eux ils ne correspondaient pas aux facteurs déclenchant de ses délires.
 Dès qu'elle est partie seule sur le chemin de Saint Jacques le drame était devenu inévitable, tout s'est accéléré, elle est passée aux actes, en moins de trois semaines elle a exécuté six personnes. Je me demande maintenant si elle sera récupérable un jour, le meurtre fait désormais partie de sa vie et doit lui sembler une manière facile de régler ses problèmes. C’est le syndrome du chien méchant, s'il a mordu une fois il recommencera, la seule solution définitivement sécurisante est de l’éliminer.
   L'interlocuteur  n’intervient plus,  songeur, boudeur, les yeux dans le vague, face au flot verbal jaillissant en cascade de la bouche de cette femme devenue rapace, chasseuse de tête et de plus en plus survoltée. Laurence termine en jubilant littéralement.
- Mes chefs m’ayant forcée à prendre des congés, j’ai lié l’utile à l’agréable et n'ai pu résister au plaisir de venir boucler mon enquête au soleil. Je sais maintenant pourquoi et comment tout ceci est arrivé. En un mois et demi, contre vents et marées, toute seule j'ai solutionné une affaire impossible à concevoir. ELLE EST TROP FORTE LAURENCE ! Il suffit désormais de comparer l'Adn de votre Eden chérie avec celui des traces recueillies sur le corps de la petite  écossaise, puis sur les autres victimes et de noter ses aveux. J'espère rentrer à Auch avec tous les éléments permettant la mise en examen de la belle Eden. Je reviendrai lui passer moi-même les menottes, sans plaisir, mais avec la conscience d'avoir bien fait mon boulot. Honnêtement, si vous lui accordez encore le bénéfice du doute, c'est à désespérer de votre bon sens, ou l'amour vous égare peut être, comme M A. Moi, ma conviction est faite. Bien entendu il vous ait formellement interdit de parler à qui que ce soit de tout ou partie de notre entretien, si vous voyez ce que je veux dire.
   Laurence parle de plus en plus vite, excitée comme une puce à l'évocation de son triomphe. Elle se voit déjà à la première page des journaux, au treize heures de toutes les télés, décorée par le ministre de l'intérieur.
  Son vis à vis reconnait là tous les signes du besoin immense de reconnaissance qu’ont certaines femmes étroites d’esprit et complexées. Il pense. « Décidément, cette jeune femme, 
malgré de nombreux points communs avec Eden comme la classe, l’intelligence, la détermination et le courage en est totalement différente et malheureusement pour elle, a oublié la leçon de la Rome antique "le Capitole n'est pas loin de la Roche Tarpéienne".
 Les généraux victorieux étaient autorisés par le sénat à parader du Champ de Mars au Capitole, colline où se trouvait le temple de Jupiter symbole de puissance de la ville, mais sur cette même colline se trouvait la Roche Tarpéienne d'où les condamnés à mort étaient précipités dans le vide. Tel général adulé le lundi était parfois condamné et exécuté pour trahison le mardi.
 Le Capitole n'est pas loin de la Roche Tarpéienne, les honneurs sont tous près de la déchéance.
                       
 La porte entrouverte derrière la policière s'ouvre avec un très léger grincement, elle se lève pour se retourner mais trop tard. Elle ressent une piqûre au cou
tandis qu'une main agrippe ses cheveux et tire brutalement sa tête en arrière. Une voix féminine très douce susurre à son oreille : " un geste brusque ou un cri serait préjudiciable à votre santé."


mercredi 2 décembre 2015

Vous devriez consulter rapidement un psychiatre.



On l'a vue sur la place de Lamothe à dix kms d'Eauze, en grande discussion avec le vieux fou du village puis elle disparait, comme si elle n'avait jamais existé et les meurtres cessent. Plus rien, nada, nothing, que dalle !                                                                                                                                              
 J'ai rencontré le vieux sur la place, mais il n'a pas voulu me parler, il est complètement cinglé et il ne sait que dire : la révélation du secret de Paul conduira à la fin du monde occidental. Comprenne qui pourra.
 J'ai alors fait établir par un collègue spécialisé un portrait robot grâce aux descriptions plutôt flatteuses recueillies et l'ai diffusé, malgré les réprimandes de ma hiérarchie à l'ensemble des gendarmeries et commissariats du territoire. La sanction est tombée illico, quinze jours de mise à pied  soit disant pour me permettre d’oublier mon obsession et de retrouver mon sens de l’obéissance. Malgré cela, parallèlement j'ai recherché toutes les victimes de violences sexuelles impliquant des membres du clergé sur les vingt dernières années
. Rien n'est sorti de ces recherches, grâce à vous je sais maintenant pourquoi, le coupable était son frère aîné, mais elle ne le savait pas encore au moment des faits. J'ai également épluché les "fadettes " de tous les opérateurs téléphoniques à cette période.
- Les fadettes ?
- Oui, les factures détaillées nous permettent d'identifier tous les appels téléphoniques passés près des antennes-relais desservant les lieux des drames. Je cherchais à établir une relation entre les meurtres et des appels passés juste à côté par un même numéro avant ou après. C'est une démarche de routine très efficace. Vous imaginez le boulot. Mais là non plus rien n'en est sorti. Pas étonnant, vous m'avez expliqué pourquoi, Eden a très peu utilisé son téléphone pendant son expédition meurtrière. J'ai poussé la conscience professionnelle jusqu'à m'enfermer des heures dans chaque lieu pour écouter, sentir, communier ...
- Communier signifie être en union spirituelle, le terme est bien mal choisi -  interrompt son interlocuteur agacé de voir ses propos détournés de son objectif tendant à montrer l'innocence d'Eden.
- Au contraire, le mot me parait parfaitement adapté, j'ai essayé de me mettre dans la peau de la responsable de cette folie, j'ai tenté d'imaginer ses motivations. Je ne me suis pas complètement  plantée, mais je dois bien avouer humblement que ce n'est pas demain que je pourrai me prétendre mentaliste et rivaliser avec Patrick Jane.
- Comment êtes vous arrivée jusqu'à Eden et par extension jusqu'à moi ?
- Vous voilà à votre tour bien impatient. Moi aussi j'aime détailler mes actions et vous serez bien obligé de constater que mon instinct ne m'a pas trompée, une fois de plus. Une dizaine de collègues de diverses régions ont cru reconnaître le portrait robot, toutes les pistes ont été vérifiées, en pure perte, et MIRACLE ! L'un d'eux, un certain Maurice Grondin du commissariat de Cannes se souvenait parfaitement avoir enregistré une main courante il y a plusieurs années : Une jeune femme ressemblant au portrait, sauf la couleur des cheveux et avec quelques années de moins, avait agressé avec un couteau un supérieur qui l'importunait. Comportement plutôt rare chez une femme pour qu'il s'en souvienne parfaitement, d'autant que la demoiselle était, je cite : « Particulièrement bandante. » Cette  piste semblait la plus prometteuse.        Bien qu'il parte à la retraite deux semaines plus tard à l'ile de la réunion dont il est natif, Maurice Grondin accepta de faire une enquête discrète pour actualiser ses informations. De plus, chose étonnante, en apprenant par les médias l'existence supposée d'un serial killeur le long du chemin de Saint Jacques de Compostelle, il avait spontanément pensé à la jeune fille en question et s'était demandé si elle jouait toujours aussi bien du couteau. C'est ainsi que j'appris le nom de ma suspecte, son adresse ainsi que vos coordonnées .
 Je ne regrette pas ma visite ici, grâce à vous j'ai pu comprendre enfin toute l'histoire et il ne me reste plus qu’à rattacher entre elles toutes les pièces de ce puzzle diabolique.

Son interlocuteur sourit amèrement  
- Si je résume :                                                                                                                           
 Un policier retraité a embrayé sur vos fantasmes uniquement parce qu'Eden s'était défendue à l'aide d'un couteau il y a plus de dix ans.                                                                                        
 Des retraités gersois ont trouvé un billet de train dans une poubelle.                                                      
Votre enquête est officieuse.                                                                                                       
 Vos supérieurs ne cautionnent nullement vos conclusions imparables issues de votre extraordinaire instinct infaillible.                                                                                                                                                              
 Je persiste à croire que vous devriez consulter rapidement un psychiatre.
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