samedi 28 novembre 2015

L 'enquête interdite ( 2)


Je vais vous résumer mon enquête qui devint vite parallèle aux enquêtes officielles. N'hésitez pas à m'interrompre en cas d'incompréhension, c'est un peu compliqué, mais vous avez l'habitude des situations tordues. 
  Le premier meurtre est celui du curé dans l'église d'Aumont d'Aubrac. Les gendarmes n'ont trouvé aucun indice probant, à part la disparition de son porte monnaie et la certitude que le décès est dû à deux coups de couteau portés en plein cœur, vraisemblablement par un droitier placé derrière la victime, chaque coup fut mortel. L'auteur de l'agression devait avoir une force certaine pour déplacer le corps de presque 100 kg, ce qui les a conduits, comme moi, à orienter leurs recherches plutôt vers un homme. Les prélèvements ADN sur les vêtements de la victime et sur les lieux de l'agression ont révélés de nombreux profils hommes et femmes, ce qui n'est pas étonnant chez un personnage publique. Aucun rapprochement n'a pu être établi avec le Fichier national informatisé des empreintes génétiques. Je présume que vous avez de bonnes notions de ce qu'est l'ADN ?
- oui. L'acide désoxyribonucléique, la molécule miracle en double hélice qui renferme l'ensemble des informations nécessaires au développement et fonctionnement d'un organisme, capable de muter et de mille autres choses. Par contre je dois vous avouer ne connaître de son exploitation par la police que ce que montrent les séries télévisées.
- Chacun d'entre nous sème à tout instant des traces ADN : cheveux, morceaux de peau, salive, sueur, larmes, sperme, sang, sécrétions. Ces traces sont porteuses de notre  spécificité. On admet aujourd'hui que les chances de trouver les mêmes séquences des 4 bases azotées          A C T G dans 13 locus chez deux humains sont proches de un sur un milliard.
- locus ?
- Vous ne connaissez pas le terme ? C'est étonnant ! On appelle locus l'emplacement d'un gène sur un chromosome. L'interprétation des analyses doit toutefois se faire avec beaucoup de circonspection. On peut identifier un individu s'il figure au fichier ou apporter la preuve que deux scènes de crime concernent un même auteur. Bien entendu l'ADN seule n'indique au mieux qu'une présomption de présence sans préjuger d'une responsabilité dans les actes reprochés, sauf pour les viols où les traces d'ADN sont déterminantes et encore !          
  On a vu des criminels particulièrement retords déposer sur leur victime des cheveux ou d'autres éléments d'identification appartenant à des personnes complètement étrangères aux faits incriminés. Le FNIEG ne répertorie dans sa base de données que des personnes mises en cause ou condamnées pour des assassinats, délits sexuels ou des traces relevées à l'occasion de tels délits. Aucune corrélation n'a pu être établie dans cette affaire. L'enquête de voisinage n'a rien donné non plus, aucun témoin, il pleuvait très fort ce jour là et il y avait beaucoup de brouillard. Tout est donc resté provisoirement au point mort, bien que la thèse privilégiée soit celle d'un petit vol ayant mal tourné dans l'église, le premier "Church Jacking" de l'histoire.

- ha, vous voyez, Eden n’a rien à voir dans tout ça, vous le dites vous-même.

- Le second meurtre est celui de l'employé communal dans l'église de GREALOU. L'autopsie du corps  a révélé que la mort était due à trois coups de couteau  portés par un droitier, le premier coup ayant glissé sur une côte, les deux suivants furent mortels. La victime avait eu un rapport sexuel trois heures environ avant son décès. Comme il était connu dans la région pour ses nombreuses relations extraconjugales, les soupçons se portèrent tout naturellement sur l'époux de sa maîtresse du moment, d'autant qu'on retrouva plusieurs des cheveux de l'époux malheureux sur le cadavre. Le pauvre mari en plus d'être cocufié fut gardé à vue, présenté au juge d'instruction qui proposa son incarcération préventive. Il a passé huit jours au trou avant qu'on ne vérifie que son alibi était béton.                                                           
     Les cheveux retrouvés s'étaient sans doute déposés sur la victime lors de sa relation sexuelle adultère perpétrée dans le lit conjugal de sa maîtresse. Les gendarmes actuellement font encore des recherches du côté des autres maris trompés, voire même des maîtresses délaissées. Ils privilégient la thèse d'un tueur local très intelligent qui aurait voulu brouiller les pistes. Si l'assassinat du curé d'Aumont parait parfaitement réalisé, le second ressemble à une mauvaise copie du premier, comme si le responsable avait voulu écarter les soupçons d'un coupable local. En attendant il est surprenant de constater combien cet employé communal avait de succès, sans doute disposait il d'un talent caché.                                                            Si j'osais je dirais qu'il faut modifier le dicton bien connu, ce n'est pas femme qui rit mais femme qui s'ennuie qui est à moitié dans le lit d'un amant opportuniste. Point mort provisoire également pour cette affaire du côté des enquêteurs locaux, ils n'ont jamais imaginés un criminel unique, il y a plus de pieds nickelés dans nos régions que d'Hannibal Lecter, le tueur du "silence des agneaux".                                                                                                                      Deux premiers crimes dans deux églises, mais....un seul ecclésiastique et un employé communal n'ayant aucun rapport avec la religion. Bien que le meurtre des écossais n'ait rien à voir avec les églises, mon instinct me criait que tous ces meurtres résultaient de l'obsession d'un seul individu, le fil rouge étant le chemin de saint Jacques. Je me suis partiellement trompée, je le sais maintenant  grâce à vous. Le fait déclencheur de chaque agression est en lien avec la petite enfance d'Eden, soit un homme habillé en noir dans une église, soit la suite d'une relation sexuelle ressentie comme dégradante.                                                                  J'ai essayé d'établir à ce moment des concordances entre tous les éléments en ma possession mais c'était trop tôt. Un serial killer a toujours un "mode opératoire ", une sorte de rituel obligatoire qu'il utilise lors de chaque agression, une signature. Ici, pas de mode opératoire. S'il s'agit en majorité de meurtres commis à l'aide d'un poignard, le nombre de coups n'est pas constant et le séminariste a eu la nuque brisée.                                                                       Exit donc le serial killer, par contre pour moi commençait à se dessiner le profil psychologique d'une femme ou d'un homme psychopathe ayant subi dans son enfance des attouchements ou agressions sexuelles de la part d'un membre du clergé ou assimilé et cherchant à se venger aveuglément arrivé à l'âge adulte. Il ne s'agit donc pas d'un serial killer, qui lui, tue pour satisfaire ses instincts. Mais pourquoi ici et maintenant ? Vous avez répondu parfaitement à ces questions.                                                                                                             
 Le troisième meurtre, celui de la québecquoise, a mis tout le monde hors circuit, moi y compris. Le lieu, la couleur et le genre des habits ne correspondaient pas, en plus la victime était une femme complètement inconnue, elle n'avait pas subi d'agression sexuelle, rien à part bien sûr le coup de couteau. Les enquêteurs présumèrent que le meurtrier avait été dérangé avant d'avoir pu assouvir ses pulsions et ils avaient un suspect, Patrice Villemagne  le stéphanois obsédé. Lorsqu’on apprit plus tard la nationalité canadienne de la victime, j'ai failli abandonner ma piste ou déconnecter ce meurtre de mon enquête, rien ne le rattachait aux autres. Là encore, c'est vous qui aviez la réponse, un attouchement sexuel considéré par Eden comme dégradant a déclenché la réplique mortelle.  Vous devenez un collaborateur précieux, je pourrai bientôt vous embaucher dans ma Vidocq Society. Je commençais à penser la chose suivante, personne n'a rien vu à aucun moment, à aucun endroit, malgré la quantité de gens qui passent. Pour ne pas être vu, il faut être soit invisible, soit s'intégrer parfaitement dans le paysage. Qui peut passer sans être vu sur un chemin de pèlerinage ?

- Un pèlerin.

- Exactement. La quatrième affaire par contre fut le début des soupçons de ma petite équipe parallèle, le grain de sable sur le chemin d'Eden. Benoit et Louis, mes collaborateurs retraités m'ont appelée un jour très excités : « Venez vite, je crois qu'on tient quelque chose. » Les rendez vous avec eux étaient toujours discrets, je ne voulais pas qu'on sache qu'ils travaillaient pour moi, mes collègues les prennent pour des vieux cons, je tiens à ma réputation. Quand je suis arrivée chez eux, j'ai d'abord cru qu'ils se foutaient de moi : «  En relisant les PV d'auditions, nous avons constaté que la femme de ménage de l'ancien couvent de La Romieu avait trouvé un billet de train Cajarc/Cahors dans la poubelle d'une chambre louée à une femme seule, marcheuse sur le chemin. Elément sans intérêt pour tous sauf pour nous. Nous avons une chance inouïe que l'enquêteur l'ait noté quand même. Je vous disais bien que la gendarmerie avait été très pro et presque tatillonne.  »
  Son interlocuteur intervient.

- Je ne vois pas en quoi cela constitue une piste.

jeudi 26 novembre 2015

L'enquête interdite.




L'ENQUETE INTERDITE.




Bonsoir, c'est moi, le vieil Henri.
 Je vais maintenant vous narrer par le menu ( j'adore cette expression) l'enquête réalisée par Laurence Poncet, la policière d'Auch, la seule à avoir tout compris, celle-là même qui était venue m'interroger sur mes discussions avec Eden juste avant qu'elle ne passe chez les Ecossais d'Eauze retrouvés morts dans un bain de sang.Comme elle était légèrement enrobée, pour me moquer un peu je l'ai appelée Laurence Porcelet hé hé.
Par contre pour respecter le suspens, je ne peux pas vous dire avec qui elle discutait. J'appellerai son interlocuteur : son interlocuteur . Bien trouvé non?

 RECIT DE LA POLICIERE :

- Tout d'abord je vais vous expliquer comment j'ai travaillé et suis arrivée chez vous au terme de mon enquête parallèle et je peux maintenant vous l'avouer, interdite. Lorsque j'ai été appelée sur cette affaire, unique en son genre, tous mes logiciels intellectuels et mon expérience étaient obsolètes et inopérants. Je me suis rendue à Eauze bien sûr, mais aussi sur les lieux des autres meurtres bien qu'on ne m'ait rien demandé. Je sentais et espérais la grosse affaire, mon instinct me trompe rarement, je ne me suis fiée qu'à lui.                                                                                                                                              J'ai eu la chance si l'on peut parler de chance, arrivant la dernière avec des yeux neufs et disposant du recul et des informations glanées au fur et à mesure des enquêtes, de pouvoir mettre côte à côte les pièces du puzzle et émettre l'hypothèse d'un responsable unique pour les six meurtres. Malheureusement il a semblé au procureur et à la juge instructeur qu'il s'agissait plus d'une construction intellectuelle, que de conclusions suffisamment étayées pour amener une vraie conviction. Tout le milieu policier et judiciaire  privilégiait la piste de plusieurs tueurs locaux : Un petit voleur dealer, un mari revanchard, une maîtresse délaissée, des enfants du pays ou comme on dit en cyclisme "le régional de l'étape" arrangeaient bien tout le monde.                                                                                                                             Personne ne souhaitait agiter l'épouvantail du loup-garou buveur de sang, l'économie de la région  aurait trop souffert, imaginez la catastrophe si tous les pèlerins avaient désertés le "camino" comme un seul homme sous le coup de la peur, beaucoup de gens du coin vivent en partie grâce au pèlerinage. De plus, environ 400 kms séparent le premier meurtre du dernier, vous admettrez qu'il faut être culottée ou perspicace pour relier ensemble des évènements aussi  distants et aussi différents. Bref, personne n'était prêt à me suivre dans mes élucubrations pour donner l'orientation adéquate à cette affaire. Je me suis débrouillée toute seule comme une grande, ceci explique ma venue à Cannes pour vérifier mes hypothèses.
   Son interlocuteur  surpris demande.
- Vous êtes donc actuellement la seule sur la piste d'EDEN ?
   Toute fière elle répond.
- Je suis en effet la seule à connaître son identité, si c’est ce que vous demandez.
- Savez vous Laurence, vous me permettez de vous appeler ainsi, que le destin d'une vie peut se décider en un mot ?
- Pourquoi me dites vous cela ?
- Une idée subite, je vous expliquerai tout à l’heure en détail, mais si votre enquête est juste, envers et contre tous, vous allez finir ministre de l’intérieur sur ce coup là… Mais poursuivez, je vous en prie.
- Avez vous déjà entendu parler de la Vidocq society de Philadelphie ?
- Jamais.
- Il s'agit de 82 anciens policiers américains à la retraite. Pour se désennuyer un peu ils ont créé un club de réflexion qui se réunit une fois par mois je crois. Ils ont baptisé leur cercle "the Vidocq society" en hommage au fameux Vidocq français, tour à tour bagnard, puis policier et même chef de la sureté au début du 19e siècle, il est considéré comme le père de la police judiciaire. Ils ont choisi d'être 82 en référence à l'âge de leur idole lors de son décès. Chaque mois, ils choisissent une affaire non élucidée ou faisant d'après eux, l'objet d'une erreur judiciaire et ils refont l'enquête. Leurs résultats sont très étonnants, ils ont solutionné nombre de dossiers.
- Vous avez fait appel à eux !
- Non bien sûr, ils sont à Philadelphie et ne traitent que des affaires irrésolues de plus de deux ans. Par contre j'ai contacté deux de mes anciens collègues retraités qui ont été aussi mes maîtres, Benoit et Louis. Trop contents de sortir de leur oisiveté ils ont sauté sur l'occasion et m'ont apporté une contribution précieuse, nous avons créé une micro Vidocq society Gersoise. Ensemble, nous avons passé des nuits entières à échafauder des scénarios possibles, sans tabou, mais sans aucun résultat. Je leur ai résumé les différentes péripéties comme je vais le faire pour vous, n'oubliez pas que à ce moment je connaissais l'ensemble des éléments du drame, contrairement aux divers enquêteurs qui étaient préoccupés uniquement par leur dossier, la tête dans le guidon.
 Lorsque je suis arrivée à Eauze chez les Mac Fayden, le mardi 18 mai en fin de matinée, tout indiquait une dispute conjugale ayant mal tourné: le whisky, le vin, le cannabis, un rapport sexuel où la femme a peut être repoussé le mari au dernier moment, ce qui aurait déclenché sa fureur, elle avait du sperme sur le corps, la maison fermée de l'intérieur, la table non desservie avec 2 couverts, l'arme des meurtres dans la main gauche du mari gaucher connu pour ses violences. Les voisins n'ont rien remarqué de suspect, pas de mouvement particulier autour de la maison le samedi. Là encore, l'affaire était résolue pour tous, en instance de classement sauf pour moi. Il se trouve que c'était ma première grosse enquête et je dois avouer que j'avais les dents qui rayaient le parquet, la brigade de recherche est un univers masculin, j'avais envie d'exister autrement que par les grosses blagues sexistes de mes collègues.                                                                                                                                    
    Cinq éléments m'ont interpellée en tant que femme d'abord, aucun homme je pense n'aurait pu remarquer certaines anomalies, puis en tant que policière :
1/ Le drame a eu lieu dans une chambre réservée à la location et non dans leur chambre conjugale, or les femmes n'aiment pas salir inutilement une partie de leur maison sans raison ou nécessité, même pour satisfaire une envie soudaine.
2/ On a retrouvé 35 € en espèces dans l'agenda de Mme Mac Fayden, somme correspondante au prix d'une nuitée (repas du soir, chambre, petit déjeuner) pour une personne. Sur la page du Dimanche était noté "rien", comme sur l'agenda de Louis XVI le 14 juillet 1789, jour du déclenchement de la révolution française, certains "riens" sont plus parlants que d'autres. J'ai donc présumé que cet argent concernait une location effectuée le Lundi, élémentaire mon cher Watson.
3/ Les analyses ADN ont révélé plusieurs traces  d'hommes et de femmes, quelques cheveux féminins teints en blond, aucun profil ne figure au fichier.
4/ J'ai remarqué dans la salle de bains contigüe à la chambre une seule serviette mouillée et parfaitement remise en place. Les morts n'ont pas pour habitude de se laver, se sécher et ranger leurs affaires, non ?
- Ils se sont sans doute douchés avant leurs ébats.
- Il y aurait eu deux serviettes, on ne se sèche pas avec une serviette déjà mouillée et de toutes façons on la laisse sécher avant de la ranger. J'ai donc supposé qu'une troisième personne, le meurtrier, s'était lavée avant de s'enfuir. J'ai gardé le meilleur pour la fin :
5 / Les Ecossais avaient beaucoup fumé ce soir là, des cigarettes, des joints, il y avait des mégots plein le cendrier. Je n'ai trouvé ni briquet, ni allumettes susceptibles d’allumer tout çà. Croyez moi, j'ai cherché absolument partout, j'ai l'habitude de côtoyer des fumeurs, ils ne se déplacent jamais sans leur feu à portée de leur main.                                                                                                                Plus tard les autopsies ont montrées que la femme avait reçu deux coups de couteau, l'homme un seul, vraisemblablement en portant tout le poids de son corps sur l'arme pour l'enfoncer, mais tenez vous bien, il est possible vu l'angle d'entrée des plaies de la femme que les coups aient été portés par un droitier. Ce sont des indices qui pourraient paraître bien minces, j'en conviens mais dans le contexte du moment, 6 meurtres en quelques jours, dans une région plutôt tranquille, j'avais envie de décrocher le gros lot et j'ai cherché comment je pouvais articuler toutes ces données.                                                                                                               
  Je suis partie d'un postulat, raisonnement par l'absurde, équation à une inconnue. J'ai imaginé qu'il y avait une troisième personne chez Mac Fayden le jour du drame.                                         
  Je privilégiais plutôt un homme, je ne pouvais pas croire qu'une femme puisse avoir une telle force et une telle détermination. Cet homme étant vraisemblablement le psychopathe ayant semé la mort sur son passage tout au long du "Camino Fancés", je voulais trouver qui il était et comprendre ses motivations. J'ai repris toute l'histoire en essayant de la confronter à ma théorie. Je vais vous résumer mon enquête qui devint vite parallèle aux enquêtes officielles. N'hésitez pas à m'interrompre en cas d'incompréhension, c'est un peu compliqué, mais vous avez l'habitude des situations tordues. 

                                                                                           

mardi 24 novembre 2015

C'est la statue que Praxitèle aurait moulée à Tanagra


Suite des aventures d'Eden.                                                                                                                                  

Sans Eden, M.A n'est plus qu'un vieux beau.  
                         
  Nos anciens maîtres nous enseignaient qu'il y a trois manières de se voir:
 comme on se voit
 comme les autres nous voient .
 comme on croit que les autres nous voient. 

Notre comportement est différent en fonction de notre interlocuteur. Instinctivement nous jouons le rôle que nous pensons qu'il nous attribue, de ce fait nous nous trompons souvent. 
Là, Michel Ange a vécu dans sa chair à quel point Eden le considérait comme un prince, près d'elle il était presque un dieu vivant, loin d'elle il est un homme âgé  bien ordinaire sur le déclin. 
Elle n'est pas une simple maîtresse, elle est sa jeunesse, son désir de vivre renouvelé, son avenir radieux.
 


 M A se souvient d'un de ses vieux poèmes qui résume bien sa situation présente :
"je suis comme la lune, j'ai pour seule lumière
 le reflet d'un amour me brûlant jour et nuit
 tu es le soleil illuminant ma vie
 sans toi je serai gris et sec comme une pierre.

   Derrière la réussite de chaque homme il y a une femme, derrière sa déchéance aussi...
   Carpe Diem  ! "Ce jour est le premier du reste de ma vie." Il a toujours de solides références cinématographiques à appliquer en toutes circonstances, ses grandes décisions ont régulièrement été inspirées par des maximes issues d'autres que lui. Il se décide enfin.
- Si tu m'acceptes, je resterai avec toi ce soir, demain et tous les autres instants de mon existence tant que tu voudras de moi, quoi que tu ais dit, rêvé ou réellement fait, je suis avec toi, j'ai trop souffert sans toi, je suis prêt à t'aimer, à m'occuper de toi, à te défendre contre le monde entier s'il le faut.
   Eden n'ose le croire mais elle a trop besoin de pouvoir enfin se reposer sur une épaule solide. Elle s'abandonne, soulagée, ayant gagné une première bataille.
- Depuis le premier jour je t'appartiens, je voulais que tu ne sois qu'à moi, je suis aujourd'hui la femme la plus heureuse du monde.
- Je ne crois pas une seconde que tu aies tué qui que ce soit, mais  pour moi peu importe ce qui s'est passé, ça ne changera rien, je te défendrai quelles que soient les circonstances. Il faut d'urgence voir ton psy pour qu'il t'aide à recouvrer ta sérénité. Il n'est pas possible que tu restes dans cet état d'angoisse. Toutefois, comme dans un contrat, pour que tout aille bien, il faut organiser les choses et anticiper les besoins de protection comme si tout devait mal tourner. Faisons comme si tu avais décimé un régiment. Qui t'a vue blonde à Cannes ?
- Ma tante.
- Personne d'autre, tu es sûre.
- Oui, je ne suis pas sortie de chez moi depuis mon retour.
   Il adopte son ton de commandement, elle redevient un loyal petit soldat aux ordres de son chef.
- Ok, première action, retrouver ta couleur de cheveux. Je crois qu'il est important pour toi comme pour moi de retrouver ta vraie personnalité et première ligne de défense il est primordial que personne ne t'ai jamais vue autrement que châtain doré. Si quelqu'un recherche une blonde la piste sera brouillée.

                                                                                                                                                                                   - Je sors acheter une teinture , je te la fais moi-même, après on avisera. Tu n'entends plus de voix ?
- Non, pas en ce moment.
- Je reviens dans une demi-heure, je vais faire quelques courses. Ce soir, je dors avec toi, il n'est pas question que je te laisse seule longtemps. Bonnie and Clyde ne se quittent plus.
   Dès qu'il est parti, une petite voix se fait entendre, manifestement déçu le serpent sait qu'il a perdu, il tente un dernier baroud d'honneur :
- Il va revenir au mieux avec deux infirmiers au pire avec deux flics. Ce type en sait beaucoup trop, il va falloir s'en débarrasser ou le convertir.
- Je crois qu'il s'est converti tout seul, tu as entendu, je suis sidérée de sa réaction. Je me remets à espérer et à croire en lui, je crois bien que tu es condamné saloperie de serpent, je vais pouvoir bientôt t'exorciser et te sortir définitivement de ma tête.
- Ce n’est pas gagné ma pauvre petite, il est sans doute allé tout droit chez les flics.

   Michel Ange entre dans la petite supérette du quartier, rayonnant, il a retrouvé son astre. Une caissière lui sourit et lui dit.
- Il me semble que je vous ai déjà vu quelque part.
   Il sourit à son tour, il se voit dans le miroir derrière elle, il est resplendissant à nouveau, plus beau que jamais, il retrouve sa puissance de jeune homme et répond euphorique.
- Oui, vous m'avez déjà vu, j'étais Robert Redford dans Gatsby le magnifique, Leonardo Di Caprio dans Titanic, Patrick Swayse dans Ghost, Brad Pitt dans rencontre avec Joe black, Sean Connery dans haute voltige, Richard Gere dans Pretty Wooman. Aujourd'hui je joue mon propre rôle, dans" j'ai retrouvé mon Eden" et c'est celui que je préfère.
   La caissière le regarde avec gourmandise.
- Celle qui vous a mis dans cet état a bien de la chance.
- C'est moi qui ai beaucoup de chance d'avoir été mis dans cet état par une femme sublimissime.
   Il sait bien que les femmes ne supportent pas les compliments destinés à une autre. La caissière se renfrogne et boude un peu. Il la reconquière gentiment rejouant de son irrésistible charme retrouvé.
- Si j'étais metteur en scène, je vous mettrai en vedette dans mon prochain film.
- De vous à moi et au risque de vous paraître vulgaire, c'est quand vous voulez.
   Une demi-heure plus tard, Michel Ange est de retour, seul, avec une boite de l'Oréal excellence crème châtain doré et quelques denrées alimentaires.
                                         ---------------------------------------------

- Le lendemain, après avoir beaucoup insisté pour venir ensemble, ils sont allés tous les deux en même temps en consultation chez le psy Gilles Davier et lui ont tout raconté. Je dois dire que le psy,  comme M A,  n'a pas cru une seconde à la véracité de ces meurtres, par contre leur histoire complètement dingue l'a passionné. De plus, il a été rassuré de pouvoir sécuriser sa guérison par un traitement neuroleptique contre ses voix et soulagé de la savoir enfin sous contrôle et protection.

Il a été également scotché par la réaction de Michel Ange,  homme très en forme, en pleine santé, riche et séduisant , tranquille dans sa belle maison avec une femme assez complaisante finalement, une famille unie.
Cet homme apprend subitement que sa jeune maîtresse est complètement folle, sûrement dangereuse, peut être multi-criminelle et il est prêt à tout quitter pour elle au risque de se  retrouver complice de toute cette aberration. Soit il est encore plus fou qu'elle, soit c'est un saint, mais il faut dire qu' elle est belle à faire damner un saint et pour s'attacher un homme, il suffit de s'adresser à ce qu'il a de pire en lui..    
Des yeux à damner tous les saints
 des seins à vous crever les yeux
 des hanches à vous forcer les mains 
des mains à vous mener aux cieux

 c'est  la Victoire sans les ailes
 c'est la Vénus avec les bras
 c'est la statue que Praxitèle 
aurait moulée à Tanagra . 





                                                                                                                              
Moi le vieil Henri j'ai  toujours le poème juste et adapté à la situation. Il n'empêche qu’à mon sens certains  hommes sont de bien curieux animaux, enfin après tout c'est son choix. Par contre la belle Eden est un peu gonflée, elle l'embarque sans état d'âme et juste pour se sentir protégée dans une histoire pas possible où il a tout à perdre.
Je pourrais dire qu'il quitte tout pour la femme qu'il aime, il choisit LA VIE, mais pour moi ce sont des mots. On verra bien ses réactions lorsqu'on passera les menottes à sa dulcinée et que sa femme lui aura piqué tout son fric.