lundi 30 avril 2018

Histoires décapantes, parution n° 7 par Serge Boudoux


 

 
 
Au sommet du mont Vinaigre.

 

De ma terrasse, chaque jour où la visibilité est bonne je vois les antennes du mont Vinaigre se dresser dans le ciel de l'Estérel.

Ce petit mont culmine à 614 m d'altitude et ressemble plus à une colline qu'à une montagne, ce qui n'empêcha pas le brigand Gaspard de Besse détrousseur des agents du fisc  et les forçats évadés du bagne de Toulon de trouver  refuge au 18e siècle dans les bois couvrant ses pentes.

Conseillé par mon voisin René qui me vantait son sommet offrant aux courageux grimpeurs "une vue à couper le souffle" , expression bizarre suggérant que les yeux commandent aux poumons, par un beau mardi matin ensoleillé je décidai de vérifier le fait par moi-même.

 

----------

 

 

Après avoir traversé le village des Adrets de l'Estérel je me gare près de la maison forestière du Malpey et entame la montée à travers les Eucalyptus.

Les Eucalyptus sont des arbres extraordinaires, de leur tronc haut et droit ( " fier " écriraient des écrivains plus doués ou plus ennuyeux que moi), se détachent par endroits des écorces odorantes révélant une peau blanche, lisse et douce comme celle d'un bébé.
 
Le chemin est assez facile et très agréable. Je traverse un bois touffu de chênes- lièges, jette un coup d'œil en contrebas pour admirer le lac de l'écureuil, et traverse la piste d'atterrissage destinée  aux hélicoptères. Les deux cents derniers mètres sont rudes car plus raides, de gros rochers en forme d'escalier de géant m'acheminent jusqu'au sommet, une petite plate-forme d'une quinzaine de mètres carrés s'ouvrant à 360 ° sur la Méditerranée et l'Estérel.

A mon arrivée un couple en état de stress maximum s'affaire autour d'un petit bouledogue français blanc tâché de noir qui émet le bruit de locomotive caractéristique du chien en train de s'étouffer. En détresse respiratoire il tire une langue violette inquiétante. La femme invective son compagnon :

- C'est encore ta puta de bruja  qui fait des siennes et je t'avais bien dit que le mardi portait malheur, Martes ni te cases ni viaja.

Marié depuis quarante ans avec une femme d'origine espagnole vous pensez bien que je connais toutes les superstitions et les insultes proférées dans cette langue particulièrement riche en ces matières, même si pour conserver l'harmonie du foyer je feins de ne rien comprendre.

 Martes ni te cases ni viaja signifie " mardi ( réputé jour néfaste) ni tu te maries ni tu voyages" et ta puta de bruja " ta pute de sorcière ".

L'urgence pour l'instant n'étant pas de philosopher mais de sauver le chien j'asperge les pattes et le poitrail du pauvre animal avec ma bouteille d'eau, le miracle se produit il retrouve progressivement une respiration normale et une langue plus rosée.
 Ce petit truc m'a été appris par une de mes belles-sœurs propriétaire également d'un bouledogue français, bien que chez elle on ne distingue pas clairement le possédant du possédé.
Cette race étant assez fragile, j'explique au couple éploré que leur chien est vraisemblablement né avec un épaississement du voile du palais, anomalie courante pouvant se corriger par une petite opération chirurgicale.
 René avait presque raison la vue a bien coupé un souffle, celui du  petit chien, mais je crois plutôt que son malaise est dû à des efforts dépassant ses capacités physiques.

Le drame paraissant évité, sans mon intervention le toutou serait peut-être mort asphyxié, je prends le temps d'admirer le paysage qui est en effet fabuleux, d'ici on domine toute la côte méditerranéenne de la baie de Saint Raphaël aux rochers de Menton .
.

Le couple reconnaissant me propose des biscuits. L'homme, la cinquantaine sportive et musclée ressemble un peu à Richard Gere avec ses cheveux gris, sa femme est plus ...comment dire ..."épanouie" pour utiliser une aimable métaphore.

Pendant quelques minutes ils m'expliquent que ce chien étant leur premier animal, son fonctionnement est encore une énigme pour eux.  Je comprends mieux leur impuissance face au problème. Comme ils sont très sympathiques nous redescendons et marchons ensemble un moment. La femme et le bouledogue sont vite distancés, alors, loin de toute oreille inquisitrice j'interroge Richard Gere.

- Je ne voudrais pas être indiscret ( phrase que l'on prononce toujours lorsque l'on se propose de l'être) mais pourquoi votre épouse vous a-t-elle dit :

- C'est encore ta pute de  sorcière qui fait des siennes ?

Il tourne la tête pour vérifier qu'elle soit hors de portée auditive et me raconte l'histoire qui suit.

----------

"Je suis directeur commercial d'une société de construction de maisons individuelles. Il y a environ dix-huit mois j'ai vendu une maison à un couple surprenant.  La femme est âgé de vingt huit ans le mari d'une quarantaine d'années.  Complètement sous la domination psychologique de son épouse pour laquelle il a divorcé d'un premier mariage, il m'a confié un jour qu'elle possédait des pouvoirs paranormaux et serait capable de jeter des sorts,  ce qui m'a beaucoup amusé. Pour moi le bonheur, la chance ou le malheur sont plus consécutifs à ma capacité de prendre ou non la bonne décision au bon moment que dus aux sorts que l'on pourrait me jeter.

J'ai côtoyé de près ce couple atypique pendant une grosse année, le temps nécessaire aux formalités de permis de construire, demande de prêt, puis à la surveillance du chantier.
 Comme à mon habitude à la remise  des  clés, le 31 juillet, j'ai offert un beau bouquet de fleurs à la nouvelle maîtresse de maison sans penser à mal. En recevant les fleurs elle a déposé sur mes joues deux gros baisers  ayant tendance à déraper vers mes lèvres. Ses yeux étaient mouillés, sans doute l'émotion  de rentrer dans sa nouvelle maison pensais-je naïvement.

Après les vacances d'août elle m'a rappelé :

- J'ai beaucoup réfléchi, suite à votre proposition j'ai décidé de vous prendre pour amant, mon mari est d'accord.

Je tombais des nues.

- Quelle proposition ?

- M'offrir des fleurs n'était pas une proposition ?

- Non, c'est une coutume dans notre société d'offrir un bouquet à chaque nouvelle cliente.

 
- Pour moi c'est une déclaration pure et simple, ne soyez pas timide puisque je vous dis que je suis d'accord.

J'ai répondu :

- Je suis très sensible à l'honneur que vous me faites mais je suis marié et fidèle à ma femme.

 Richard Gere a jeté un bref coup d'œil derrière lui,

- Nous sommes entre hommes, cette fille ne me plaisait pas du tout, autrement…vous me comprenez… 

Il poursuit,

- Avec un petit rire elle a dit: -  Vous ne tarderez pas à changer d'avis.

Le lendemain j'avais un accident de voiture. Une heure plus tard je recevais un appel, c'était elle:

- Alors ?

- Alors quoi ?

- Toujours pas décidé ?

- Je ne comprends pas ?

- Vous comprendrez mieux demain

Le surlendemain ma femme avait un accident de voiture. Une heure plus tard je recevais son appel :

- Toujours pas décidé ? Vous n'avez pas encore compris.

- Je n'ai pas du tout l'intention d'être votre amant.

- On ne me dit pas non à moi, et ce n'est pas un vieux débris comme vous qui va me résister, attendez la suite.

Il est vrai que pour une femme de 28 ans un homme de 54 ans est sans doute très vieux.   Elle était donc certaine de me faire un grand honneur et, manifestement chagrine que j'aie boudé son offrande, devait être terriblement humiliée de mon refus.

Deux heures plus tard ma femme m'appelle :

- Je ne sais pas ce qui se passe mais toute ta collection de petits cochons en cristal vient d'éclater en morceaux.

Deux jours se passent, nouvelle sollicitation, je réitère mon refus au téléphone et commence à m'énerver, ma persécutrice me répond d'un ton mielleux :

- Vous avez bien un petit-fils de six mois ?

Cette histoire allait trop loin, je lui ai proposé :

- Ok, demain je vous invite à déjeuner.

Je suis rentré chez moi et j'ai tout expliqué à ma femme. Horrifiée de nous savoir ainsi en butte aux entreprises d'une démone qu'elle baptisa immédiatement " ta puta de bruja ", elle s'empressa de faire bouillir du vinaigre dans une casserole et de jeter du sel derrière son épaule en marmonnant des incantations, remèdes souverains contre les envoûtements comme chacun sait.

 
J'ai emmené mon imaginaire maîtresse auto proclamée dans un restaurant près de chez elle. Nous avons discuté gentiment un instant, elle pensait que je me pliais enfin à ses volontés. Comme  elle avait l'air d'être bien connue du personnel, au moment du dessert je me suis levé, l'ai empoignée par le haut de son corsage et l'ai collée au mur  avant de l'invectiver au vu et su de tout le monde :

- Si tu ne me lâches pas les baskets et si mon petit-fils a le moindre rhume, une diarrhée ou plus de 37.5° de fièvre  je te crève connasse.

 Il n'est pas dans mes habitudes d'être discourtois mais là il fallait mettre le paquet.

J'ai payé et suis sorti sans avoir bu mon café, c'est vous dire si j'étais  en colère.                Je ne crois pas du tout qu'elle soit responsable de tout ce qui m'est arrivé, sans doute a-t-elle appris les accidents que nous avons eus, ou bénéficié d'un concours de circonstances et de coïncidences extraordinaires, Cocteau disait à peu près :" Face à des évènements qui nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs." 

Je n'ai plus jamais entendu parler d'elle.

Par contre maintenant j'ai un autre problème, chaque fois qu'il se produit un évènement sortant de l'ordinaire, trois jours de pluie, une chute de grêle, une fièvre du petit dernier  ou un tee-shirt disparaissant puis  réapparaissant ma femme me dit :

- C'est encore ta sorcière qui fait des siennes. "

 
---------

 

Nous étions arrivés près des voitures, j'ai salué mon compagnon de marche sa femme et leur petit chien blanc taché de noir qui nous avaient enfin rejoints. Au moment de partir j'ai remarqué quelque chose, j'ai baissé ma vitre et les ai prévenus :

- Vous avez une roue un peu dégonflée.

 Une voix féminine prononça alors distinctement ces mots :

- C'est encore ta puta de bruja qui fait des siennes !

 
----------

 

Sur le chemin du retour une phrase du séducteur malgré lui m'est revenue en mémoire. Après avoir empoigné son admiratrice trop assidue par le col il lui a dit :

- Si mon petit-fils a le moindre rhume, une diarrhée ou plus de 37.5° de fièvre je te crève connasse.

Pour quelqu'un qui ne croit pas aux envoûtements c'est une curieuse réaction, non ?

 
---------

 
Moi je ne suis pas superstitieux, ça porte malheur.



-----------

 



Cette histoire est extraite du livre :


 



Pour un exemplaire dédicacé, un contact ou accéder aux liens d'achat :  

site web - http://serge.boudoux.fr

Prochaine parution : La grotte miraculeuse.


Vous pouvez me noter et laisser un commentaire dans la rubrique " Avis " de ma page FB 
 


Cette histoire a été lue par 1 521 personnes sur ce blog

jeudi 26 avril 2018

Histoires décapantes : parution n° 6 par Serge BOUDOUX




La Chapelle Saint Saturnin



En route pour la chapelle Saint Saturnin j'étais loin de me douter que j'allais résoudre un des mystères les plus lancinants de ces dernières années.


Après le petit pont romain, la mini cascade et les anciens lavoirs que vous connaissez déjà le chemin monte, descend, remonte, je traverse deux fois l'aqueduc à ciel ouvert qui achemine l'eau potable à Grasse et Cannes, une fois dans le sens ascendant une fois dans celui descendant, franchis un petit ravin sur une passerelle de fortune faite de quelques poteaux téléphoniques en bois joints par de grosses tiges en fer boulonnées.
 Une des rares tortues d'Herman vivant  encore en liberté croise mon chemin, du haut d'un chêne un écureuil agonit d'injures Happy ma petite chihuahua indignée. Elle feint toutefois l'indifférence, ne se considérant pas du même milieu social que ce rongeur-grimpeur sauvage et mal poli.
 Les animaux ont, tout comme nous, une bourgeoisie qui se méfie des gueux !


.Après une heure de marche  la  chapelle se découvre au dernier moment au détour du chemin, loin de tout, au milieu de nulle part. C'est une bâtisse basse rectangulaire en pierres grossièrement crépies, mangée par le lierre sauvage, son toit est couvert de tuiles rondes, un porche arrondi tenu par un gros pilier rond central peint en blanc protège l'entrée.

Je pose mon sac à dos sur la banquette en pierre située sous le porche, donne un peu d'eau à Happy avant de m'abreuver, tire la chevillette pour faire choir la bobinette comme préconisé par la mère-grand du petit chaperon vert ( vu par un  daltonien) et pousse la porte d'entrée.
Je ne sais pas si comme moi, durant des années vous vous êtes demandés ce que pouvait bien signifier "la bobinette cherra" avant de comprendre qu'elle avait chu ?

L'intérieur est tout petit, à peine éclairé par quatre meurtrières étroites grillagées et un minuscule œil de bœuf, il fait presque froid, le contraste avec la température extérieure est saisissant. Une statue de Notre Dame de la Salette surmonte l'autel sur lequel sont posés une photo du pape Jean Paul premier, quelques cahiers d'écoliers, un crayon de papier et deux stylos billes. Trois  bancs en bois de dimensions différentes, un balai constituent  tout le mobilier de la chapelle, une petite banquette maçonnée carrelée en terre cuite court le long des murs.

Je m'assieds sur un banc et feuillette les cahiers, livres d'or improvisés dans lesquels des générations de marcheurs de toutes nationalités ont confié leurs impressions.

Un texte récent retient mon attention : " mon frère est mort, il disparait peu à peu de la mémoire des vivants comme un voilier s'éloignant à l'horizon, puisse Dieu le mener à bon port jusqu'à son paradis dont cette chapelle parait l'antichambre."

C'est joliment dit, non ?

Certains ont écrit en anglais, d'autres en allemand, en italien, en mauvais français mais tous, je présume, soulignent la sérénité et la beauté du lieu.

En tournant les pages, un autre message daté d'avril 2011 m'interpelle:

 " X.. doit me rejoindre ici demain, que dieu nous pardonne de toute cette horreur et nous protège !  Isabelle. "

 Propos sibyllins et inquiétants.

 Sous les regards bienveillants de notre Dame de la Salette et Jean Paul Premier on peut imaginer que la protection et le pardon divins demandés devraient être accordés à ladite Isabelle sauf  péchés gravissimes classés dans la catégorie " mortels " par les dévots.

Des aboiements m'arrachent à ma lecture, je sors rapidement, ma petite chienne ne craignant ni dieu ni diable j'ai toujours peur qu'elle prenne une vipère à partie, si elle était mordue ici vous imaginez les dégâts.

En fait de vipère Happy aboie en grattant frénétiquement le sol au pied d'un des murs de la chapelle. Après quelques secondes émerge de terre un objet brillant  qu'elle saisit entre ses mâchoires et dépose fièrement à mes pieds, je la récompense avec un morceau de biscuit gardé en réserve il faut bien se permettre un excès de temps à autre.


L'objet maculé de terre est gluant de salive canine, il s'agit d'une boite rectangulaire en plastique transparent. Je la nettoie, l'ouvre et en extrais une clé USB entourée de papier essuie- tout.

Après mon casse-croûte j'allume mon ordinateur et introduis ma découverte sur le côté.

Vous connaissez l'expression " le ciel me tombe sur la tête ", oui ? Bon eh bien là les bras m'en tombent, jugez-en par vous-même.


Contenu de la clé USB :

------------

Montauroux le 15 Avril 2011.

Pour ma sœur bien-aimée.

 En Mars 2010, X.. m'a transmis ce message:

 " Isabelle, je suis ruiné, au fond du trou. Si ça tourne mal, je n’ai que deux solutions, me foutre en l’air avec ma voiture ou foutre le feu à la baraque quand tout le monde dort. Je suis très sérieux, lucide et sous l’emprise d’aucune drogue ni d’aucun alcool. Je serai donc fin août-début septembre au pied du mur avec une décision définitive à prendre : suicide seul ou suicide collectif… "

Tu comprends mieux pourquoi X.. me fait peur mais je l'aime, je l'ai dans la peau. Quand nous nous sommes rencontrés à Nantes il cherchait une secrétaire, j'ai immédiatement été séduite par cet homme si attirant, je l'admirais il brassait tellement d'affaires. Nous nous sommes aimés malgré qu'il soit marié mais il m'a promis de tout quitter pour moi, femme et enfants.

Ses affaires ont mal tourné, il a été obligé de me licencier je suis revenue dans le Var près de toi ma sœur bien-aimée, c'est là que j'ai appris le drame mais je ne crois pas ce qu'écrivent  les journalistes , il ne peut pas avoir fait ça.

 Je ne t'ai rien dit mais il a repris contact avec moi, j'ai passé la nuit du 12 avril avec lui à l'auberge de Cassagne au Pontet. Hier il m'a appelée de Roquebrune sur Argens, il me demande de lui trouver une cachette sûre pour quelques jours, à l'écart du monde il a insisté sur ce point, et de prévoir son ravitaillement.

La seule cachette sûre à l'écart du monde que je connaisse est la portion ancienne et désaffectée du canal qui traversait la colline, il y a plus confortable mais personne ne va jamais là-bas, c'est la bouche d'entrée de l'enfer dit-on aux enfants pour qu'ils s'en  tiennent loin.

----------

J'ai déjà une petite idée de l'identité de X.. mais il n'y a  pas de connexion internet ici pour vérifier mes intuitions et mon mobile ne capte rien.
Je range précieusement la clé USB dans mon sac, plie mes affaires, siffle Happy et repars. Je vais jusqu'à l'aqueduc et suis ses berges en remontant le courant.


Trente minutes plus tard  l'entrée de la portion ancienne désaffectée me fait face, telle une bouche édentée.




Je pénètre dans ce petit tunnel noir et avance courbé pendant une cinquantaine de mètres. Arrêté par des troncs d'arbres qui bouchent le passage, je débarrasse les quelques gros cailloux placés sur le haut de la pile de rondins. La lampe de mon portable éclaire un petit réduit,  ils sont là, une femme et un homme d'après leurs vêtements, enfin ce qu'il en reste. Une carabine 22 long rifle, quelques sacs en plastique sont posés au sol, l'odeur est insupportable je pose un mouchoir sur mon nez, ressors en catastrophe et vomis mes tripes.


Revenu chez moi Google interrogé confirme mes intuitions, la dernière trace qu'on ait de lui est un retrait de 30 € à un distributeur du village de Roquebrune sur Argens situé à 36 kms de Montauroux. le 23 juin 2011 des spéléologues ont fouillé une quarantaine de cavités naturelles du rocher de Roquebrune à sa recherche.

X. est fortement soupçonné mais toujours présumé innocent du meurtre de sa femme et de ses quatre enfants  aussi je vous laisse le soin de trouver son nom vous l'avez sans doute déjà deviné, en tout cas pour moi il est allé au bout de sa logique meurtrière.
 Comme lui, en 1993 un faux médecin avait exécuté sa femme, ses deux enfants et ses parents avant de louper sa sortie en avalant des barbituriques périmés depuis dix ans, il avait épargné sa maîtresse d'extrême justesse. Goebbels le ministre de la propagande nazie avait fait encore plus fort, empoisonnant ses six enfants et  se donnant la mort avec sa femme comme on dit dans les livres, je crois que personne ne le regretta, dommage qu'il ait tant attendu pour porter sa vilaine âme à son ami le diable.

Vous et moi sommes maintenant les seuls êtres sur terre à savoir la vérité sur la cachette de celui que tout le monde recherche, nous la garderons pour nous provisoirement, mais nous avons troqué la résolution d'un mystère  contre deux énigmes  encore plus obsédantes :

- Que peut-il se passer dans la tête d'un homme pour que ses échecs l'amènent à supprimer tous les gens qui l'aiment. Est-ce la marque d'un Ego démesuré? Comme beaucoup d'entre nous j'ai connu bien des échecs, je ne sais pas s'ils m'ont rendu plus fort comme on le prétend mais je n'ai jamais pensé à détruire qui que ce soit, je suis juste plus prudent.

- Pourquoi Isabelle a-t-elle enterré en catastrophe cette clé USB en guise de bouteille à la mer au pied du mur de la chapelle ? Peut-être X.  est-il arrivé avec la carabine à la main ce qui lui a ôté ses peaux de saucisson des yeux, le saura-t-on un jour ? Si vous avez d'autres explications je suis preneur.

 ----------

 De peur de choquer certaines ou certains j'ai beaucoup hésité à vous faire part  de certaines réflexions plus tardives. Si vous me  promettez de ne pas m'en vouloir je vous les livre.
D'accord, vous êtes sûr ? Alors voici :
La protection divine réclamée par Isabelle dans son message écrit  sur la page du cahier d'écolier n'a manifestement pas été accordée.

 Quant au pardon espéré, vu le carnage il est à craindre que la proximité et le parrainage de Notre Dame de la Salette et Jean Paul Premier ne suffisent pas, mais sait-on jamais, les exemples fameux de bienveillance complice et inexplicable du ciel ne manquent pas :

Les foudres célestes détruisirent Sodome dont les habitants voulaient un peu caresser les fesses de deux anges tentateurs descendus sur terre mais elles  épargnèrent le nommé Loth apparemment innocent comme l'agneau au milieu d'une horde de loups.

Sa vieille femme à peine transformée  en statue de sel par suite d'une vilaine curiosité, Loth  se laissa enivrer par ses propres filles et s'empressa de forniquer avec elles en toute ingénuité et simplicité. Notez bien que la responsabilité de l'inceste revint aux filles, les hommes ne sauraient être coupables de telles perversions ( ben tiens donc), la bible insiste sur le fait ce n'est pas moi qui l'invente.
Et le grand manitou ne trouva rien à redire !

 Les mêmes forces jupitériennes, pourtant toutes puissantes si l'on en croit le sort réservé à Sodome, auraient donc pu arrêter l'abomination des camps de la mort mais elles ne furent pas employées.

 Il est à croire que les quelques six millions d'humains, femmes, enfants, hommes, vieillards exterminés dans des souffrances abominables ne méritaient pas quelques éclairs défensifs et protecteurs, peut-être a-t-on considéré en haut lieu éternel que les fesses des victimes n'étant pas touchées ni lorgnées avec concupiscence on pouvait fermer les yeux.

 Les voies du Saigneur ( le seigneur étant absent quand on a besoin de lui) sont vraiment impénétrables.

 Contrairement aux filles de Loth !


-----------

Vous avez promis de ne pas m'en vouloir  je vous le rappelle !



Cette histoire est extraite du livre :



Pour un exemplaire dédicacé, un contact ou accéder aux liens marchands :




Prochaine parution : Au sommet du Mont Vinaigre.


Vous pouvez me noter et laisser un commentaire dans la rubrique " Avis " de ma page FB.
Cette histoire a été lue par 2 084 personnes sur ce blog


mercredi 18 avril 2018

Histoires décapantes, parution n° 5 par Serge Boudoux





Histoire  cochonne


 Lorsque certains de nos petits-enfants venaient passer leurs vacances chez nous je les  emmenais en randonnée dans les gorges de la Siagne. 
Cerise 9 ans, Ambre 8 ans et Timothé 5 ans étaient accoutumés à marcher sans se plaindre, je portais quelquefois sur mon dos un des gosses trop fatigué.
Mahé âgé de deux ans ne participait pas encore à nos aventures,  Martin et Valentine n'étaient pas nés.

  Ma chienne, à cette époque une jeune Jack Russel nommée Vanille, sautait dans la voiture en poussant des petits cris dès qu'elle repérait les sacs à dos annonciateurs de plaisirs inouïs pour elle. Je me garais tout en bas du chemin du Moulin près du petit barrage Edf et l'enchantement nous enveloppait.

En chantant la Marseillaise à tue-tête nous longions la rivière sur un sentier en terre arboré, bordé de vieilles maisons en pierre occupées le Week-end par des citadins en mal de verdure et parsemé des ruines des anciens moulins à huile d'olive.

 Le refrain " aux armes citoyens " faisait rire aux larmes les enfants, Vanille s'enivrait des parfums de la forêt, marquait certains arbres de son odeur, courait partout, heureuse de vivre tout simplement. Contrairement à nous les chiens n'ont besoin que d'amour.
Depuis j'ai dû l'euthanasier, un cancer rongeait ses entrailles. Ce jour atroce son regard m'a bouleversé, elle était consciente de ce que je devais faire. Aimer les animaux est source de grandes joies mais aussi d'immenses douleurs…

 J'avais imaginé une ruse pour arracher mes dignes descendants à leurs tablettes, portables, écrans hypnotiques et les inciter à apprécier, même réclamer ces longues marches en forêt. Par un décret spécial connu uniquement de moi, Timothé avait été institué propriétaire du petit pont romain, Ambre avait acquis une passerelle située à un km en remontant le cours de la rivière, Cerise était l'heureuse usufruitière du pont des Reys deux kms plus en amont.

 L'été après l'inspection des possessions des jeunes souverains pontifes, nous passions sous une mini-cascade où nous nous mouillions avec bonheur et grimpions jusqu'à l'aqueduc à ciel ouvert qui achemine l'eau potable à Grasse et Cannes.
Nous suivions ses berges qui croisaient une portion ancienne et désaffectée du canal traversant autrefois la colline. Les enfants avaient délicieusement peur de  la bouche d'entrée sombre et menaçante, souterrain mystérieux  menant sans doute au pays des fées et des lutins, au village on prétendait qu'il s'agissait de l'entrée de l'enfer.

Peu à peu nous avions ritualisé nos promenades.

   Je désignais un enchevêtrement de branches ou un monticule d'herbes et racontais aux  enfants :

   - Il était une fois trois petits cochons, Nifnif, Noufnouf et Naf-Naf. 
 Nifnif et Noufnouf  ne pensant qu'à s'amuser se construisirent chacun un abri sommaire sans trop se fatiguer.
Voici les restes de la cabane en bois de Nifnif et voilà ceux du refuge en herbes de Nounouf. Comme elles étaient mal construites et fragiles les deux cachettes furent détruites par le loup lorsqu'il  souffla très fort dessus. Les deux petits cochons eurent tout juste le temps de se réfugier chez leur frère ainé Nafnaf grand travailleur qui avait construit cette maison solide toute en moellons.

Je montrais à Timothé émerveillé une masure en pierres  encore bien conservée et le conduit de cheminée dépassant du toit par lequel le loup se serait introduit dans la maison et serait tombé tout droit dans le chaudron rempli d'eau bouillante. Les filles, plus âgées, prenaient l'air entendu et malicieux de celles à qui on ne la fait pas.

Les enfants grandissent trop vite.
  L'année suivante Timothé commença à émettre des doutes sur la réalité de l'existence des petits cochons et mes jolies demoiselles n'avaient plus envie de faire semblant d'y croire pour me faire plaisir.
Une coïncidence extraordinaire changea le cours de l'histoire et nous emplit de ravissement.

Un dimanche de juillet, notre petite équipe décida de pique-niquer dans une clairière de la forêt tout au bout d'une petite route défoncée nommée chemin de l'Affama. Quelques tables en bois avaient été installées sous les pins par la municipalité, des cigales et des tourterelles offraient spontanément des concerts gratuits, l'endroit fleurait bon le romarin, le genêt sauvage et mille autres senteurs provençales et soudain au moment où je distribuais le jambon et les chips aux gamins affamés, Vanille se mit à aboyer frénétiquement, deux cochonnets roses tachés de noir sortir du bois.

 Cerise, Ambre et Timothé eurent la surprise la plus inoubliable de leur jeune existence. Ils constatèrent de visu que  leur Papet ( nom du grand-père en Provence ) disait donc vrai, Nifnif et Noufnouf toujours aussi indifférents au monde qui les entourait étaient réellement là devant leurs yeux éblouis, ne pensant qu'à flâner et se remplir la panse!

  En réalité ces deux là s'étaient enfuis d'une ferme voisine, mais il ne faut pas le dire… je compte sur votre discrétion.

 Même si la vie, nos qualités et un travail acharné nous ont  apporté l'aisance, le respect de nos contemporains, si l'on a trouvé l'amour, fondé une famille heureuse, habitons dans une belle maison et roulons dans une superbe voiture, on n'oublie jamais ces bonheurs microscopiques qui dorment tout au fond de nos cœurs.
Ils resurgissent à la moindre odeur, au premier signe rappelant ces années d'insouciances à jamais disparues où aucun de nos proches ne manquait à l'appel  et où nous semblions tous immortels.
Le livre de la vie est le livre suprême
on ne peut le fermer ou l'ouvrir à son choix
on voudrait revenir à la page où l'on aime
mais la page où l'on meurt est déjà sous nos doigts

 Demain ils seront grands et moi je serai mort.
J'aime à croire qu'ils se souviendront longtemps de ce Papet un peu déjanté et plein d'amour parti sans espoir de retour au paradis des ancêtres. Alors ils emprunteront les mêmes chemins, conteront la même histoire porcine à leurs petits-enfants  et qui sait, peut-être d'autres malicieux gorets  plus rusés que le loup sortiront-ils du bois pour émerveiller cette nouvelle génération que je ne connaîtrai jamais.

 En écrivant cette petite histoire cochonne  toute bête et sans prétention les larmes me viennent aux yeux. 
Mais vous, belle lectrice, êtes sans doute déçue, le titre vous laissait espérer autre chose.

Vous devriez avoir honte hé hé !
----------
Prochaine parution : La chapelle Saint Saturnin.





Cette histoire a été lue par 1 303 personnes dans ce blog.



Ces histoires sont extraites du livre :
Pour un exemplaire dédicacé, un contact ou accéder aux liens marchands :



mercredi 11 avril 2018

Histoires décapantes, parution n° 4 par Serge Boudoux






La Tour  Sarrazine.


Montauroux. ( Var )


On sonne à mon portail je me réveille en sursaut l'esprit encore embrumé, le portable posé sur mon chevet indique quinze heures.
En maudissant celui ou celle qui ose ainsi assassiner ma sieste je regarde à travers les persiennes qui filtrent le soleil écrasant. Mon cœur s'accélère, deux hommes en pantalon de toile, chemisette à manches courtes et serviette en cuir attendent patiemment en pleine chaleur. Ils viennent sans doute pour m'arrêter mais qui m'a dénoncé ?
 je pensais naïvement que personne n'était au courant de cette histoire hallucinante mais malheureusement on est toujours rattrapé par son passé, surtout quand il est récent !                                                             

----------

Tous les matins je parcours plusieurs kilomètres dans la forêt qui borde le lac de Saint Cassien ou au cœur de la pinède, descendant parfois la colline boisée  qui rejoint la rivière la Siagne et le merveilleux petit pont romain, il m'arrive même de monter jusqu'à Saint Cézaire, trois heures et demie de marche allez retour. Comme les histoires imaginées pour mes livres cannibalisent mon cerveau, souvent je m'égare au milieu des bois . De plus en plus distrait un jour mes pas m'ont conduit à l'endroit où tout a commencé.

Sans trop savoir comment je suis arrivé là je me suis retrouvé sans le vouloir nez à nez ou plutôt nez à mur avec une ruine que les gens du village appelle la Sarrazine, une ancienne tour de guet qui n'a sans doute jamais vu de sarrasins ou alors il y a bien longtemps, et n'a par conséquent de Sarrazine que le nom. Il ne reste de la bâtisse initiale  qu'une muraille arrondie se terminant en triangle auquel je m'adosse, assis sur un gros rocher. J'accorde généreusement un Z à Sarrazine pour donner une connotation plus exotique à l'objet.

Perché au sommet d'une falaise cet endroit magique domine un ravin vertigineux profond de plusieurs centaines de mètres au fond duquel coule la Siagne. Sur l'autre versant à un ou deux kilomètres à vol d'oiseau le village de Saint Cézaire me fait face, en bas au loin à droite la chapelle Saint Saturnin semble un jouet perdu au milieu de nulle part, l'aqueduc à ciel ouvert qui achemine l'eau potable à Grasse et Cannes court à travers les bois comme une longue balafre, une cicatrice qui confère au flanc de la colline le charme viril des terrains d'aventure réservés aux baroudeurs.

Je m'assieds, subjugué par la beauté du lieu, séduit par le silence et les odeurs fleuries et décide de venir désormais écrire là chaque jour.

Dès le lendemain vers 10 h j'arrive enfin à ma tour Sarrazine, n'ayant aucun sens de l'orientation j'ai eu beaucoup de peine à retrouver l'endroit,.

Quelle n'est pas ma déception de constater qu'un homme est déjà assis sur mon gros rocher ! Je l'ai détesté tout de suite avec sa quarantaine robuste, ses cheveux roux fournis et frisés contrastant avec ma chevelure blanche qui se raréfie.

J'allais repartir lorsqu'il s'est levé et m'a dit:

- Je vous laisse la place elle est toute chaude. Vous êtes l'écrivain, non ? j'ai parcouru un de vos romans, il semble bien écrit mais je n'aime que les traités d'économie et la science fiction, de toutes façons je n'ai pas le temps de lire, mes affaires occupent tout mon temps et lorsqu' une décision importante mérite ample réflexion je viens méditer ici !

Pourquoi les gens se sentent-ils obligés d'annoncer j'ai aimé ou non vos écrits, apprécieraient-ils qu'on leur dise  j'aime ou je n'aime pas votre tête, d'autre part un livre est comme une femme il ne se parcourt pas distraitement, il faut lui accorder du temps, le découvrir patiemment en l'effeuillant lentement, page après page, se laisser envahir totalement  par sa séduction discrète jusqu'à l'aboutissement et l'éblouissement ultimes sinon on l'abandonne à d'autres plus susceptibles d'apprécier son charme.

Il est parti, j'ai sorti l'ordinateur de mon sac à dos et travaillé à mon nouveau recueil de nouvelles une grosse heure jusqu'à ce que la batterie déclare forfait.

Je n'ai pas revu l'homme les deux jours suivants.

----------

Le troisième jour sur le coup des onze heures soudain j'eus l'impression d'être observé.

Je levai la tête de mon clavier, elle était là, silencieuse, attentive et me regardait.

Comment vous décrire cette sublime apparition ? Elle ressemblait à Pocahontas, ses longs cheveux bruns encadraient un visage bronzé dans lequel se détachaient de beaux yeux noirs.
J'ai tout de suite adoré son style de sauvageonne, sa silhouette sportive. Elle devait être âgée de quarante ans environ, l'âge de l'éveil au monde pour les femmes : arrivées à  cette période de leur vie les pauvrettes commencent à réaliser qu'il y a d'autres hommes que leur décevant mari  sur terre mais n'ont pas encore appris que les amants ne valent pas mieux une fois passée la lune de miel adultère.
Elles comprennent généralement très vite.

Elle paraissait confuse de m'avoir dérangé et a détalé sans prononcer un mot, un instant j'ai cru avoir affaire à une hallucination.

Le lendemain elle est revenue, s'est assise à dix mètres de moi. Je jetais de petits coups d'œil sournois dans sa direction, elle fixait le paysage silencieusement puis est partie. Cette nuit là j'ai rêvé d'elle mais contrairement à ce que dit la chanson elle est vraiment très belle elle n'est pas faite pour moi.

Le surlendemain à mon arrivée la Sublimissime était déjà arrivée, tenant dans sa main le tome trois de ma trilogie d'Eden ayant pour titre Ainsi soit-elle . Pour la première fois elle m'a parlé : 

- Vous êtes l'auteur de ce livre ?

Je ne me suis pas étonné qu'elle me reconnaisse, on s'habitue vite à la célébrité, même toute relative.

- Oui.

- Je l'ai lu trois fois c'est une vraie friandise et un grand privilège de voyager ainsi dans votre esprit.

- Merci.

Sa voix douce et son adorable petit accent chantant comme un pépiement d'oiseau me parurent très sensuels.

- Je serais très honorée que vous acceptiez de me le dédicacer, je suis tellement heureuse de vous rencontrer.

J'ai écrit sur la première page:

A celle qu'on voit apparaître

une seconde à sa fenêtre

et qui preste s'évanouit

mais dont la svelte silhouette

et si gracieuse et fluette

qu'on en demeure épanoui !


et  j'ai signé "Serge".

Elle a pressé le bouquin sur son cœur puis est partie, j'étais déjà accro.

Le reste de la journée m'a semblé interminable, j'avais hâte d'être au lendemain. C'était un samedi, elle n'est pas venue. En état de manque, désespéré et malheureux je n'ai pas écrit une seule ligne. Le dimanche c'est moi qui n'ai pu respecter ce rendez-vous informel  n'osant pas dire son nom, j'ai haï les amis qui ont passé cette journée avec nous  et m'ont privé de ma groupie forestière.

Lundi matin, impatient comme un lycéen qui se rend à son premier flirt j'ai marché aussi vite que possible, mon cœur battait vite et fort, je pensais " et si elle ne venait pas" ?

 Elle était déjà là, ses beaux yeux semblaient mélancoliques, secrètement ils m'adressaient des messages, j'entendais des regards qu'elle croyait muets.

- Serge, vous m'avez manqué terriblement.

Un moment j'ai douté de mes oreilles, moi sexagénaire mûr quoi que bien conservé je pouvais donc être la cause d'un petit chagrin pour cette splendide apparition?

 A ma grande confusion j'avoue que j'en fus ravi. Si je ne pouvais songer à caresser un espoir je n'étais tout de même pas fâché d'inspirer des regrets.

Elle s'est blottie tout contre moi, je ne savais plus ce qui m'arrivait. Je l'ai gardée ainsi longtemps serrée dans mes bras elle sentait bon, une senteur envoûtante, j'aurais donné le restant de ma vie pour que ce moment dure toujours. 
Depuis des années mon cœur qui avait déjà assez fait de bêtises était à la retraite lui aussi, il semblait ne jamais pouvoir se réveiller et c'était très bien ainsi. Soudain il me trahissait, prêt à faire des folies pour une inconnue dont je ne connaissais même pas le nom. Elle s'est dégagée doucement de mon étreinte, a caressé mon visage de ses longs doigts fuselés et a disparu dans les bois.

Mardi matin elle est venue, s'est hissée sur la pointe des pieds pour effleurer mes joues et le coin de ma bouche avec ses  lèvres joliment dessinées et m'a interrogé:

- Je peux vous poser une question?

- Bien sûr.

- Dans votre livre, au chapitre "comme un vol de gerfauts"  Eden votre héroïne accompagne Eric et Camille qui gênent ses ambitions au sommet d'un immeuble en construction et les pousse dans le vide au risque de tomber avec eux.

- Oui.

- Je me demandais… et puis non vous allez vous moquer de moi.

- Pourquoi me moquerais-je ?

- Vous ne rirez pas, promis ?

- Promis.

- Je me demandais si un homme aurait eu le courage de commettre un tel acte pour Eden. Je n'ai pas une très bonne opinion des hommes en général, peu d'entre eux seraient capables d'une telle preuve d'amour.

- Une preuve d'amour?

- Quelle plus belle preuve que risquer sa vie pour celui ou celle qu'on aime ?

Sa petite moue ravissante m'a fait craquer, à cet instant j'aurais poussé tous les habitants du village  dans ce ravin si elle l'avait exigé.

J'ai pensé aux vers de Victor Hugo :

         

Je ne sais pas si j’aimais cette dame
Mais je sais bien
Que pour avoir un regard de son âme
Moi, pauvre chien
J’aurais gaiement passé dix ans au bagne
Sous les verrous
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.


Sous les verrous, ce petit sonnet était prémonitoire.

Je ne sais pas ce qui m'a pris, peut-être un besoin de me valoriser je me suis entendu lui dire:

- Si un jour quelqu'un vous fait du mal je lui casserai la tête.

Une telle promesse ne coûte pas cher et fait toujours plaisir.

- Merci Serge je suis très touchée mais parlons de choses plus agréables. J'ai adoré bien d'autres passages dans votre livre, en particulier celui où vous parlez du Burkini, puis celui  où vous décrivez le dernier homme qui tue son dernier frère et votre conclusion: la plus grande ruse du diable est de faire croire qu'il n'existe pas. Je n'avais encore jamais ressenti une telle osmose intellectuelle et émotionnelle avec aucun homme.

"Chose plus agréable" pour elle serait donc le dernier homme tuant son dernier frère, curieux non? En tout cas cette cuillerée de miel pour mon égo m'attacha davantage à elle que le tonneau de vinaigre de ma voisine se plaignant quelquefois acrimonieusement des aboiements de mes chihuahuas.


Mercredi matin. Toute triste elle me dit:

- Il ne faudrait plus que nous nous voyions mon mari commence à être jaloux, mais personne ne m'empêchera de venir ici j'ai trop envie d'être près de vous.

Elle était donc mariée et prenait le risque de déplaire à son époux pour moi. Alléluia! Je me suis souvenu des paroles du dernier centenaire de la commune qui aurait bien aimé finir sa vie  tué par un mari jaloux justement, il avait 109 ans mais ne faisait pas son âge, on lui en aurait donné 105 tout au plus hé hé. C'est toute la grandeur de la race humaine que de vouloir plaire jusqu'à son dernier souffle. Contrairement à ce que l'on prétend la vieillesse n'est pas seulement le déclin de la curiosité, est vieux celui ou celle qui a renoncé à plaire ou à convoiter le sexe opposé.


Jeudi matin. Ma fée sylvestre n'est pas là, de lourds nuages sombres obscurcissent le ciel, quelques grosses gouttes mouillent le sol, un éclair déchire l'horizon le tonnerre gronde, des idées noires brouillent ma concentration et mes réflexions. Ces quelques vers empruntés,  à peine modifiés et particulièrement adaptés à mon état d'esprit surgissent de ma mémoire: ( ce sont les derniers, promis )


Dieu fasse que ma complainte aille tambour battant
lui parler de la pluie lui parler du gros temps
auquel on pourrait tenir tête ensemble
lui conter qu'un certain coup de foudre assassin
dans le mille de mon cœur a laisser le dessin
d'une petite fleur qui lui ressemble

Vendredi matin. Elle était là, des larmes coulaient de ses beaux yeux noirs.

- Je me suis disputée avec mon mari à cause de vous, j'ai peur de lui il est violent.

Je l'ai prise dans mes bras:

- Voulez- vous que j'aille lui expliquer que sa jalousie est idiote, il n'a rien à craindre du vieil homme que je suis.

Je ne crois pas une seconde qu'un sexagénaire soit un vieillard mais j'avais envie qu'elle me rassure je n'ai pas été déçu. Sa réponse m'a bouleversé :

- Il y a plus de séduction et de charme dans un de vos petits doigts que dans tout son gros corps dégoûtant et son esprit grossier.

- Qui est votre mari ?

- X… V… Vous l'avez rencontré une fois ici-même il y a une dizaine de jours.                                                      

L'image de l'homme assis sur mon rocher, méditant avant de prendre une décision concernant ses affaires m'est revenue en tête, je n'ai pas de lui le souvenir d'un être grossier ou violent, mais il faut vivre avec quelqu'un pour le connaître vraiment, les tyrans domestiques sont souvent adorables en dehors de leur foyer.


Samedi matin, elle est arrivée et s'est tenue loin de moi, son beau visage était défiguré par des traces sombres. Elle m'a supplié :

- Ne vous approchez pas, je suis trop laide, hier soir il m'a frappée lorsque je lui ai dit que je vous avais revu.

Cette histoire devenait complètement folle, non ?

Le ketchup (condiment stimulateur de colère plus doux que la moutarde) m'est monté au nez :

- Je vais allez le voir et lui expliquer qu'il n'y a rien entre nous.

- Il ne vous croira pas, je lui ai avoué l'attirance que j'ai pour vous.

Tout le dimanche j'ai ruminé, je sentais confusément la catastrophe arriver, le souvenir du minois adorable défiguré par les coups m'obsédait.


Lundi matin.

L'homme trapu aux cheveux roux fournis et frisés était assis sur mon rocher, ça sentait le règlement de compte et la bagarre. A mon arrivée il m'a tout juste gratifié  d'un regard rapide, a détourné la tête et d'une voix lasse m'a dit :

- Bonjour, vous allez bien?

 Il s'est levé pour me laisser la place et s'est avancé de deux pas vers le bord de la falaise, sur le côté gauche où aucun arbre amortisseur n'a pu s'enraciner.

Je le détestais mais mes sentiments envers lui allaient bien au-delà de la détestation. Je le haïssais pour cette  politesse mielleuse précédant vraisemblablement les insultes et le concours de claques, pour sa jeunesse, ses cheveux et, vous allez rire mais qu'il puisse se tenir ainsi tout près du précipice m'humiliait, moi je ne pourrai jamais réaliser un tel exploit je souffre d'acrophobie pathologique appelée aussi peur du vide ou plus improprement vertige.

 Mes yeux étaient fixés sur ses grosses mains croisées dans son dos, ces objets dégoûtants  qui avaient osé  souiller le beau visage de ma sublime princesse. Sans tourner la tête il a prononcé avec une gentillesse qui me parut hypocrite :

-  Votre livre avance comme vous voulez ?

A ces mots j'eus une sensation désagréable, manifestement il me prenait pour un abruti, je n'ai pu dominer ma colère, une voix douce terriblement sensuelle a résonné, à défaut de me raisonner, dans mes oreilles :

 " Quelle plus belle preuve d'amour que risquer sa vie pour celui ou celle qu'on aime."

En une seconde tout mon vernis superficiel de civilisation s'est évaporé, j'ai poussé l'homme dans l'abîme, il a disparu de mon champ de vision, happé par le ravin. J'ai pensé au vers de Heredia " Comme un vol de gerfauts …." vous connaissez la suite.

Pas un seul instant je n'ai eu de remords, je suis rentré chez moi avec la satisfaction du devoir accompli, il avait fait du mal à ma fée il méritait donc que je lui casse la tête comme promis. Il faut toujours tenir ses promesses.

Par prudence je ne suis pas retourné pendant une semaine à la tour Sarrazine, le temps que les choses se tassent. Les premières recherches n'aboutirent pas, on  supposait le mari ailleurs. Le corps fut retrouvé plusieurs jours plus tard par des promeneurs, son crâne avait éclaté sur un rocher après une chute de près de trente mètres.

Chaque après-midi je vais acheter trois baguettes tradition à la boulangerie Lou Pan d'Aqui vers 16 h, heure peu commune me direz-vous la majorité des gens prennent leur pain vers midi. Moi je préfère ce moment où la fournée de l'après-midi me garantit de trouver des baguettes odorantes sortant tout juste du four.
 Ce jour là quand je suis arrivé j'ai dit à Carole et Marie "bonjour les bibiches" comme à mon habitude, il y avait un peu de monde deux dames respectables aux cheveux bleutés permanentés discutaient entre elles en attendant leur tour.

- Le pauvre garçon sera vite remplacé, je le connaissais bien, plus brave que lui cela  n'existe pas.

- Oui, maintenant la voici riche et libre, depuis le temps qu'elle courait avec tous les Don Juan  du canton pendant qu'il se tuait au travail pour payer ses caprices, récemment il lui avait offert une décapotable et je ne te parle pas des vêtements de luxe, des voyages ou des bijoux…!

J'ai demandé à l'une d'elles en redoutant la réponse:

 - De qui parlez-vous ?

- Ah ces écrivains toujours perdus dans leurs rêves ! Vous ne savez pas que Monsieur V….. l'homme d'affaires disparu lundi dernier a été retrouvé mort ce matin  au fond d'un ravin? vous êtes bien le seul de tout le village ! Il a dû glisser en se promenant. C'était un enfant du pays tout le monde l'aimait beaucoup et le plaignait, il était malheureux en ménage. Sa femme, une très jolie métisse qu'il avait sorti de la misère en la ramenant d'Argentine ou du Pérou je ne sais plus, est une belle garce plus ou moins psychopathe. Libre et riche, veuve joyeuse maintenant elle va pouvoir vivre la grande vie qu'elle souhaitait.

 Elle a rajouté à voix basse sur le ton de la confidence :

- Il parait aussi qu'elle avait essayé de séduire un jeune de la commune pour le manipuler et le pousser à tuer son mari, bon sujet de roman vous ne croyez pas ? Heureusement il aurait réagi à temps, enfin c'est ce qui se murmure, moi je ne vous ai rien dit.

Demain j'irai à la tour Sarrazine, Pocahontas sera sûrement là pour se blottir dans mes bras, je n'ai pas cru un mot de ce que j'ai entendu à la boulangerie, les gens sont si méchants…

Vous vous en doutiez peut-être, le lendemain et les jours suivants elle n'était pas là. Vous allez me trouver suspicieux mais à la réflexion je me demande si les traces noires montrées de loin par ma princesse sud-américaine étaient vraiment dues à des coups sur son visage, mais qu'importe.

 Louis Bouilhet me pardonnera d'avoir emprunté et travesti ses vers, ( oui, bon cette fois ce sont vraiment les derniers)


Moi j'ai fui ce chagrin, oublié la traîtresse
Et par aucun regret mon cœur ne fut brisé
Ce que j'aimais en elle c'était ma propre ivresse
Je boirai d'autres vins qui sauront me griser.


Elle n'a jamais été dans ses jours les plus rares
Qu'un banal instrument sous mon archet vainqueur
Et comme un air qui sonne au bois creux des guitares
J'ai fait chanter mon rêve au vide de son cœur
--------

 On sonne à mon portail, je me réveille en sursaut, des pulsations folles cognent dans ma poitrine à un rythme proche de celui occasionné par une belle tachycardie, le portable posé sur le chevet indique quinze heures. En maudissant l'insolent ou l'impertinente qui ose ainsi assassiner ma sieste je regarde à travers les persiennes qui filtrent le soleil écrasant
. Deux hommes en pantalon de toile, chemisette à manches courtes et serviette en cuir patientent en pleine chaleur. Ils viennent sans doute pour m'arrêter mais qui m'a dénoncé? je pensais naïvement que personne n'était au courant de cette histoire hallucinante! A moitié endormi, le cerveau embrumé, la bouche pâteuse, cherchant fébrilement dans mes contacts le numéro de mon avocat je dis à ma femme:

- J'y vais !

Je m'approche du portail et respire l'air parfumé à pleins poumons, certain de vivre mes derniers instants de liberté. Un des deux hommes me tend une brochure et me dit d'une voix forte :

- Nous annonçons la parole de Dieu qui dit aux hommes "réveillez-vous"!

 Son interpellation me secoue, mes idées s'éclaircissent, remis en ordre de marche mon esprit redevient lucide, je réalise enfin.

L'histoire de ma rencontre avec Pocahontas et ce qui en a suivi était un beau rêve, beau mais tout de même un peu inquiétant par ce qu'il révèle du contenu de mes fantasmes, non?

Soulagé je réponds à l'expert en télétransmission de parole divine :

- Vous tombez bien  justement je dormais.

Les deux hommes étaient des témoins de Jéhovah.

Réfrénant une grande envie de les embrasser je prends toutes leurs brochures : Réveillez-vous, La Tour de garde, Le nouveau testament pour les nuls, Jésus Christ chez les naturistes, Aimez-vous les uns dans les autres, au royaume des dieux aveugles les démons borgnes seront rois etc… en garantissant de les lire avec ferveur et je leur offre à boire.
 Après deux ou trois verres qu'ils ne purent refuser venant d'un disciple aussi prometteur, ils prirent congé précipitamment lorsque je prétendis, pourtant innocemment, que Jésus après sa résurrection était apparu d'abord à des femmes pour que la nouvelle se répande plus vite.

 ---------

 Quelques mois plus tard j'emmenai mes petits-enfants jusqu'à la tour Sarrazine rebaptisée, pour attiser leur curiosité, " l'endroit secret ".

 Après leur avoir fait prêter serment et jurer-cracher de ne jamais révéler son emplacement, les préados adorent le genre  " cercle des poètes disparus" ou " club des cinq ",  nous montons et parvenons sur les lieux. Arrivés là je les mets en garde:

-  Ne vous approchez pas du bord, les rochers sont glissants. Timothée fais attention ne pousse pas ta sœur tu vas la faire tomber dans le ravin.

Il a tourné sa tête vers moi et j'ai lu dans ses yeux une grande joie à cette évocation, ou était-ce encore une interprétation malicieuse de mon esprit ?


Au moment où nous allions partir une jeune femme est venue s'assoir sur un tronc d'arbre mort couché à une quinzaine de mètres de nous, ses longs cheveux bruns encadraient un visage bronzé dans lequel se détachaient de beaux yeux noirs.

Il m'a semblé qu'elle tenait à la main le tome trois de ma Trilogie d'Eden intitulé Ainsi soit-elle !


La petite Ambre a chuchoté à mon oreille:

- Papy, tu as vu la dame là-bas ? elle est trop belle. Elle ressemble à Pocahontas.



 ----------
Ces histoires sont extraites du livre :

Cette histoire a été lue par 1 629 personnes sur ce blog


 


Prochaine parution :  Histoire cochonne...