jeudi 28 juin 2018

Les Tribulations d'un Lyonnais en Provence. Histoire n°14


 
 
 

 

La fourmi de L'Estérel

 
En ballade dans l'Esterel, je fus pris d'un besoin pressant que j'allai soulager contre un arbre. Après quelques secondes, je me rendis compte que j'arrosais par hasard une grosse fourmi  passant là malencontreusement, elle s'empressa de se soustraire à ma douche involontaire pour retourner au labeur.

La fourmi n'est pas joueuse.
                                                

   Lors de sa venue au monde la probabilité qu'avait ce petit hyménoptère de croiser un jour ma route et de subir par ma faute ce léger désagrément était sans doute proche de zéro mais pas nulle puisque ceci s'est réalisé.
 Il me vient un vertige à l'idée de penser que les quelques secondes passées à observer ce fait suffiront à modifier irrémédiablement mon existence en m'évitant peut-être d'être percuté par un véhicule fou dans l'avenir ou au contraire causeront mon anéantissement, minuscule cause énorme effet, parfois un dixième de seconde fait toute la différence entre la vie et la mort.

Je me suis alors demandé si notre rencontre était fortuite où si elle relevait d'une fatalité que l'on pourrait appeler : La Destinée.
 Vous allez penser que j'ai du temps à perdre, mais un peu de réflexion philosophique par les temps qui courent nous changera des flatulences verbales des intellectuels de la télé réalité.

 Voici les résultats de mes cogitations, plus profondes qu'elles n'en n'ont l'air.
 
 
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Dans la mythologie grecque (les Grecs ont tout inventé avant de faire faillite) les Moires, appelées Parques chez les Latins qui ne se gênaient pas pour copier, étaient les trois divinités chargées de mesurer la vie des hommes écrite par avance. La première fabriquait le fil de la vie, la seconde déroulait ce fil et la troisième le tranchait avec ses ciseaux.

   On peut concevoir et admettre le fait suivant : les mêmes raisons produisant les mêmes résultats la vie d'un individu suit à peu près une voie libre que sa génétique, son inné, ses acquis, ses qualités, ses défauts, son environnement et ses choix lui tracent si aucun évènement extérieur grave ne se met en travers de sa route.

   Par contre, de nos jours mais rejoignant ainsi nos antiques ancêtres, beaucoup de gens croient encore dur comme fer au destin préconçu c'est à dire à une existence déjà organisée, manipulée par une entité supérieure et cheminant de façon inéluctable.

   Essayons de comprendre si ce concept de prédestination forgée par les anges gardiens très à la mode, les saints, les dieux ou tout autre esprit dominateur pourrait fonctionner et comment.

   Pour vous donner un ordre de grandeur de l'unité de mesure que nous allons employer, sachez qu'il faut à peu près 31 ans pour compter de 0 à un milliard à raison d'un chiffre par seconde, sans dormir, sans manger, sans boire.

   Des supers amas de galaxies s'éloignant les unes des autres à plus de 200 kms/seconde entraînées par l'expansion croissante de l'univers, comptant chacune des milliards d'étoiles promenant dans leur sillage des milliards de planètes abritant vraisemblablement un nombre incommensurable d'êtres vivants peuplent l'univers et parmi ce nombre hallucinant d'existences VOUS ETES UNIQUE, il n'y a jamais eu et il n'y aura plus jamais d'être totalement similaire à vous, c'est dingue non ?

   Revenons sur terre. Comme chacun des sept milliards d'humains vivants sur notre minuscule planète, vous êtes l'aboutissement d'une chaîne ininterrompue de millions d'aïeux et d'un nombre inimaginable et astronomique de circonstances qui font que vous êtes aujourd'hui cet être irremplaçable en train de lire mes élucubrations.

 La moindre divergence dans un seul évènement du passé aurait pu entraîner votre inexistence, ou la mienne, prenons quelques exemples :

 

 - Ponce Pilate libère Jésus arrêté par le Sanhedrin, le Romain nargue ainsi Caïphe le grand prêtre et montre qui est le Boss. Le Nazaréen n'est pas crucifié.
 Echaudé par l'aventure il rentre dans son village, épouse Marie Madeleine, s'associe avec Judas le plus intelligent et le plus affairiste de ses disciples ( on dit du mal de Judas pourtant il avait d'excellentes fréquentations) reprend l'entreprise de son père, devient un charpentier prospère, ne rencontre pas Paul sur le chemin de Damas.
 Que serait le monde aujourd'hui sans le formidable apport intellectuel et humaniste du christianisme ?
A contrario il faut reconnaître aussi qu'on n'aurait pas eu les guerres de religion ni les croisades qui nous sont encore reprochées de nos jours par nos amis arabes mais on ne peut pas gagner sur tous les tableaux et nous aurions sûrement trouvé d'autres bonnes raisons de nous entretuer !

 
 - Waterloo. Si Grouchy était arrivé avant Blücher Napoléon gagnait la bataille, le monde serait peut-être aujourd'hui totalement différent, quoique, seul contre toute l'Europe coalisée il aurait perdu un jour ou l'autre.

 

 - Le 14 mai 1610 François Ravaillac, de sa propre initiative ou manœuvré  par de hauts personnages, poignarde Henri IV qui s'apprête à partir en guerre contre l'Espagne. Imaginons le régicide arrêté in-extremis par un garde, où se trompant de cible dans le carrosse immobilisé par un embouteillage rue de la Ferronnerie à Paris, le Roi ne meurt pas, déclenche le conflit dans lequel un de vos ancêtres est tué, vous ne naissez jamais, vous ne lisez pas cette œuvre magistrale ( ah, la modestie de l'auteur !)  ce qui est dommage.

 
 Il faudrait donc que quelqu'un, peut être un Dieu particulièrement cynique et manipulateur, ait conçu une machinerie extraordinairement complexe organisant à chaque seconde des myriades d'interactions entre tous les êtres pour aboutir à vous.

  Dans notre dernier exemple ce grand manitou machiavélique aurait mis sciemment en relation au cours des millénaires précédents les aïeux successifs maternels et paternels qui donnèrent naissance au père et la mère de Ravaillac pour que celui-ci existe un jour, tue le roi et évite à votre ancêtre de mourir à la guerre pour que vous puissiez naître et que le monde soit exactement ce qu'il est parmi la multitude des possibles, vous imaginez le boulot ?

   Les lois de la physique quantique et de la conservation de l'énergie sont alors incontournables, pourquoi une telle débauche de moyens alors que le hasard fait aussi bien le travail et gratuitement, sans dépense thermodynamique ? Qu'importe à l'univers que vous viviez ou non, que vous rencontriez ou non telle personne ou une autre, que vous soyez riche ou pauvre, face au Cosmos nous ne sommes pas plus importants que la fourmi de l'Estérel.

   Les dinosaures dominent la terre pendant des millions d'années puis disparaissent en ne laissant que quelques ossements, des civilisations se développent et meurent en abandonnant quelques pierres entassées les unes sur les autres, les humains naissent, aiment, souffrent, persécutent leurs contemporains, font trois petits tours puis s'en vont pendant que les planètes orbitent inlassablement autour du soleil qui brille indifférent jusqu'à l'anéantissement final.

   Notre vie paraissant être plus dépendante de nos choix que d'hypothétiques maîtres de notre destinée, un autre débat consisterait à montrer que si nous avons la liberté de prendre telle ou telle décision  celle-ci est singulièrement réduite par le poids de notre éducation, entourage, culture, religion, peut-être n'avons-nous que l'illusion de cette liberté ?

   Pour l'instant, force est de constater que, sauf à penser que la mécanique implacable et follement complexe de la fatalité s'applique à chaque être vivant de l'univers il existe des rencontres aléatoires donc non programmées qui sont un carrefour où se télescopent inopinément des existences qui n'étaient pas destinées à se connaître telles que la mienne et celle de la petite fourmi !
 

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Je parlais de cela à mon voisin après le repas. En buvant son café à l'ombre de sa glycine, il a soulevé sa casquette à carreaux, s'est gratté la tête et m'a dit :

- Et si  Hasard était le mot derrière lequel Dieu se cache pour intervenir incognito ?

Il a rajouté:

- C'est bien beau tout ça mais tu ne te rends pas compte des problèmes que tu me causes avec ta philosophie de comptoir .
 Déjà la difficulté pour un retraité c'est avoir une bonne synchronisation tu le sais bien, quand on se lève trop tard on se met en retard pour se coucher l'après-midi, si en plus tu m'embrouilles les idées tu fais obstacle à l'accomplissement de mon destin, écrit sans doute pour moi depuis l'aube des temps… ma sieste.         

Un peu fâché de la légèreté avec laquelle il traitait mes pensées profondes, avant de lui tourner le dos je lui assénai méchamment :

- Bientôt ta sieste sera éternelle, tu n'auras même plus besoin de te réveiller, voilà ton destin de vieux débris en cours de liquéfaction !

Depuis deux jours on ne se parle plus.
 La philosophie, mot signifiant pourtant " amour de la sagesse ", mène à tout même à la déraison. Quand je vous disais que cette rencontre avec la petite fourmi changerait ma vie !

 Lorsqu'on sera réconciliés j'éviterai la philo  je lui parlerai macro-économie, par exemple de l'augmentation de la CSG sur nos retraites.

C'est notre destinée commune et c'était écrit !


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Cette histoire est extraite du livre :


 
 

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jeudi 21 juin 2018

Les tribulations d'un Lyonnais en Provence : histoire n° 13


 

 
 


 

 

La vérité sur le masque de fer ? 

 

Ce jour-là je longeais la rivière La Siagne  en direction du pont des Reys nommé aussi pont des Moulins situé en amont.
 Un quart d'heure après avoir dépassé la passerelle,  à travers les buissons apparut ce qui semblait être une bifurcation oubliée, un sentier perdu que je n'avais jamais remarqué jusqu'alors. Son entrée était défendue par des ronces

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Je m'égratigne les bras et les jambes pour en forcer l'accès, le descends sur une trentaine de mètres et me fige, émerveillé.

Il se termine par quelques marches d'escaliers maçonnés menant à une tour ronde invisible du chemin, construite en pierres en partie sur de gros rochers parsemant la rivière et partie sur la berge.
 La porte d'entrée de cette merveille est protégée par une grille fermée par un cadenas, un petit volet au rez de chaussée et un à l'étage condamnent deux fenêtres. Remarquablement préservée cette bâtisse est vraisemblablement occupée épisodiquement.

 

En ce doux matin d'automne la rivière coule doucement en clapotant. Un homme  assis sur un des rochers observe les remous autour de lui, il ne m'a pas vu ni entendu, je m'approche prudemment l'environnement est glissant. Il m'aperçoit enfin et me sourit, je m'assieds à côté de lui après avoir posé mon sac à dos sur la berge. Il me salue:

- Bonjour comment vas-tu ?

Manifestement très à l'aise il n'éprouve aucune difficulté à tutoyer les inconnus, contrairement à moi.

- Très bien merci et vous?

Brun, beau garçon, une barbe noire de trois jours mange ses joues, l'homme entame la conversation en jetant une brindille dans le courant.

- Aujourd'hui je ne travaille pas, je regarde passer l'eau et je pense.

Silencieusement le même fil de l'eau emporte avec lui quelques secondes précieuses de mon existence, puis je demande:

- Vous pensez à quoi?

- A la vie, à la mort, au masque de fer.

Celle-ci on ne me l'avait jamais faite, pourquoi et comment l'énigme historique du masque de fer peut-elle le préoccuper ?

 Il poursuit :

- Hier je suis allé en bateau avec ma famille jusqu'aux iles de Lérins, nous avons mangé en bord de mer à Saint-Honorat puis nous sommes allés voir la prison du masque de fer. Depuis je n'arrive pas à sortir cette histoire de ma tête, qui pouvait bien être ce pauvre type? Ce mystère me hante, toute la nuit j'ai lu ce que j'ai pu trouver sur le sujet, et je ne suis pas plus avancé.

Je comprends mieux qu'il puisse être obsédé par cette histoire hallucinante, ayant connu les mêmes interrogations jusqu'à ce que  ma mère me révèle sa vérité sur ce sujet ardu .

Après avoir suggéré  au tourmenté :

- Je peux peut-être vous aider

incrédule il me dévisage, avec plus de considération me semble-t-il.

- Tu connais son nom  ?

Le tutoiement me pose toujours autant de difficultés :

 - Vous posez mal, tout le monde pose mal le problème, voila pourquoi personne ne trouve la solution.

- Toi tu le poses mieux ?

- Oui, il me semble .  C'est une des plus grandes manipulations de l'histoire.
Voltaire entendit parler d'un prisonnier dont le visage était quelquefois revêtu d'un " loup " en velours.
Ce malheureux resta trente-quatre ans enfermé et mourut en prison, toujours gardé et exhibé masqué par Monsieur de Saint-Mars gouverneur de la forteresse de Pignerol puis gouverneur des Iles au large de Cannes. Plus tard pour dénoncer les excès de l'absolutisme royal, Voltaire, constamment  prêt à se battre contre les injustices, le transforma dans ses écrits en détenu portant en permanence un masque de fer plus propre à frapper les consciences qu'un masque de velours intermittent.

 Alexandre Dumas, considérant qu'il est permis de violer l'histoire à condition de lui faire de beaux enfants, lui emboîta le pas et écrivit un roman qui ne tient pas debout sur un prétendu jumeau de Louis XIV mis au secret dans des conditions ignobles dès sa naissance, ce qui est méconnaître totalement la réalité monarchique française :

 Les reines de France accouchaient en public, on voit mal comment un des deux enfants aurait pu être soustrait à la vue des nombreuses sages-femmes et de la centaine de courtisans qui se pressaient autour d'Anne d'Autriche ( qui malgré son nom était espagnole) et attendait depuis plus de vingt ans de consolider sa position de reine en donnant un héritier mâle viable à Louis XIII.
Elle avait déjà fait plusieurs fausses couches et à une époque  où la mortalité infantile était très importante la venue au monde de deux héritiers aurait été considérée comme une bénédiction et aurait rehaussé la réputation virile du roi qui était plutôt  moqué jusque là comme un bande - mou, certaines rumeurs prétendaient même qu'il préférait les hommes à sa femme ce qui est faux. De plus toute personne de sang royal par la grâce de Dieu était intouchable et Anne d'Autriche fut une mère exceptionnelle qui adorait ses enfants, elle aurait défendu comme une tigresse le jumeau si jumeau il y avait eu... 

 - Alors?

   - Aucun personnage important dont la disparition aurait été suivie de l'apparition d'un homme masqué n'étant absent de la scène publique de l'époque, il me semble que la solution de l'énigme est à chercher, non du côté du prisonnier dont le nom ne dira rien à personne, mais du côté du geôlier.
Monsieur de Saint Mars jouissait d'une grande notoriété, il fut le gardien de Nicolas Fouquet surintendant des finances de Louis XIV et du premier Duc de Lauzun, celui dont le mariage inspira à Madame de Sévigné la fameuse lettre : c'est la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse etc. et qui poussa l'insolence dit-on jusqu'à se cacher sous le lit du roi quand celui-ci honorait un jour Madame de Montespan, juste pour savoir ce qui se disait de lui en haut-lieu.
La grande noblesse de ces captifs "people" avant l'heure  donna à l'époque à Monsieur de Saint Mars une gloire considérable. Sa célébrité  commença à se ternir lorsque Fouquet mourut peu après une visite de Colbert et que de Lauzun fut libéré.
Ma conclusion est donc la suivante: Pour rester au top de la "Jet Set" du 17e siècle et se faire mousser, il inventa un captif mystérieux propre à enflammer les imaginations d'une cour qui n'avait en tête que fantaisies, divertissements, intrigues. Le roi soleil, expert en manipulation lui aussi a bien dû s'amuser. En tout cas Saint Mars a moyennement réussi son coup au regard de l'Histoire, le souvenir de son prisonnier  est resté, pas le sien.

Les yeux de mon interlocuteur brillaient :
 
- Si je comprends bien, en résumé le masque de fer n'a jamais existé, le détenu au masque de velours intermittent était un faire-valoir attrape-nigaud parfaitement inconnu et anonyme. Depuis on cherche désespérément et inutilement son nom mais une fois trouvé il ne dira rien à personne, il pourrait être n'importe qui, Dupont, Durand ?

- Oui, exactement. Il n'est qu'une création de Saint Mars, son identité n'a aucun intérêt. Qui connait le nom de la créature de Frankenstein ?

Il me regarde longuement, admiratif, et me dit :

- Tu es génial.

En jetant une brindille dans l'eau, je réponds en baissant modestement la tête.

- Je sais....

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Bon d'accord, je suis un peu prétentieux,  mais vous êtes bien obligés de reconnaître que je suis fabuleusement intelligent. Hé hé ! 

 Ma femme me surnomme Narcisse, je n'ai jamais trop compris  pourquoi.
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 Cette histoire est extraite du livre :



 

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mercredi 13 juin 2018

Les tribulations d'un Lyonnais en Provence : Histoire n° 12




 

Rencontre sidérante  sur les berges
 
du lac de Saint Cassien
 

 

 

 

 Nous avons choisi d'habiter un endroit magique situé un peu à l'écart des grandes routes touristiques : Le pays de Fayence.
 Trop au sud pour se dire encore en Provence et 30 kms trop au nord pour prétendre faire partie de la Côte d'Azur nous sommes ici au cœur d'une singularité comme disent les astronomes
 
 Une partie des vacanciers qui se ruent sur les plages chaque année quittent à la sortie "Le Muy" un fleuve nommé "autoroute du sud" pour se déverser sur Sainte Maxime et Saint-Tropez.
D'autres mouillent à Saint Raphaël, certains débarquent à Cannes, Antibes, Juan les pins et Lyon devient la banlieue de Saint Paul de Vence aurait dit Charles Trenet.

   Là, chez nous,  ce sont des collines paisibles foisonnantes d'arbres bruissant des concerts de cigales ou de tourterelles, chênes lièges, arbousiers, mimosas dont les branches chargées de fleurs dorées et parfumées annoncent la fin d'un hiver clément, oliviers tordus, pins parasols, eucalyptus aux troncs lisses et blancs desquels se détachent des écorces odorantes.
 La route longe un moment avec délices le lac de Saint Cassien qui apothéose ce paysage fabuleux où tout est gourmandise et douceur, la lumière, les bruits de la nature, les odeurs, l'air même est différent.

 Sur les berges du lac facile d'accès les familles se dorent au soleil, pique-niquent (verbe ambigu), les enfants sautent dans l'eau, se cachent dans les criques, loin des grands troupeaux migratoires.

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 Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes azuréens quand par un beau matin de printemps, on vit éclore sur le bord du lac une dizaine de jeunes filles en fleur, brunes rousses et blondes court vêtues,  très sympathiques, invitant par des gestes non équivoques les automobilistes à les rejoindre pour des jeux moins bucoliques. Le paradis découvrait l'enfer de la prostitution !

 Après quelques semaines, des panneaux improvisés dénonçant cette plaie furent dressés sur le bord de la route par des autochtones exaspérés par le spectacle infligé à leurs enfants interrogateurs : « papa, maman qu'est-ce qu'elles font les dames là ? » et par les sarcasmes de leurs visiteurs.
La gendarmerie eut beau faire des rafles, les jeunes femmes revenaient toujours, l'emplacement était pratique et rentable !
Huit mois plus tard, l'une d'elles fut agressée et laissée pour morte dans la forêt, elle avait refusé de payer un racketteur qui l'aurait "protégée" contre des voyous comme lui !
On commença à plaindre ces pauvres malheureuses travaillant à moitiés nues par tous les temps, Brassens avait comme toujours trouvé à ce sujet les mots justes, il y a longtemps :

 
 Bien que ces vaches de bourgeois
les appellent des filles de joie
c'est pas tous les jours qu'elles rigolent
parole

 Les filles s'organisèrent en petits groupes d'autoprotection ou acceptèrent de payer "l'assurance-vie", puis on s'habitua, on s'habitue à tout. Pour beaucoup de passants, même non consommateurs, elles représentaient finalement un élément agréable du paysage, certaines très belles étaient saluées par des coups de klaxon admiratifs.
 
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 Un ami me raconta cette histoire  en buvant l'apéro :
 

 
" Nous étions à l'été 2011.
 Je marchais sur le bord du lac devançant mon épouse de vingt mètres. Ce jour-là je  jouais de malchance, Catherine ayant  pour une fois tenu à m'accompagner.

Soudain un bruit de course, je me retourne, une jeune femme blonde en short avec des bas résilles et des bottes se précipite sur Catherine et supplie.

   - Au secours, aidez-moi.

  Un grand type baraqué sort d'un bosquet, l'air un peu halluciné et marche vers les deux femmes. Il ne m'a pas vu et s'arrête à trois mètres d'elles pour mieux commenter la scène.

   - De mieux en mieux, deux pour le prix d'une, tu vas me donner ton fric, après ta copine me sucera.

   Il tient un poignard dans sa main droite posée négligemment le long de sa cuisse, sûr de sa domination.
Tout s'est passé très vite, je me rapproche guère rassuré, un gars avec un couteau à la main a souvent le dernier mot dans une discussion avec un homme désarmé. Heureusement à ma vue il tourne les talons et disparait dans les fourrés.
J'attends qu'il soit loin  pour hausser courageusement le ton devant ces dames et lui signifier succinctement ce que je pense de lui, il faut se montrer économe de son mépris tant les nécessiteux sont nombreux.

Ma femme interroge la pauvre fille qui tremble de tous ses membres.

   - Il vous a fait du mal ou a pris votre argent ?

   - Non, je me suis sauvée à temps, mais j'ai eu trrès trrès peurr.

Elle roule délicieusement les "r" comme les actrices des pays de l'est qui disaient à  Michel Blanc "je vous trrouve trrès beau" dans le film du même nom.

   - Vous devriez aller à la gendarmerie pour déposer une plainte.

   Incrédule, la prostituée la regarde.

   - Surrtout pas, c'est moi qui serrais arrrêtée. Pietrro va rrégler le prroblème.

   - Pietro ?

   - Oui, mon mec.

 Nous accompagnons notre protégée encore terrifiée près du camion-snack "Chez Babeth" et  nous asseyons autour d'une des tables posées directement sur l'herbe clairsemée,  nous commandons trois  cocas.  La jeune péripatéticienne  parle bien français avec ce petit accent si important pour son fonds de commerce.

Elle exploite son corps, sa voix, son odeur, sa beauté, le grain de sa peau, pour les hommes elle est " belle comme la femme d'un autre ", formule profonde, tellement vraie et si révélatrice des fantasme masculins.
Je connais un proverbe qui exprime à peu près une idée identique, "changement d’herbage réjouit les veaux. "

   Grande, fine, blonde aux yeux bleus, ses beaux seins bronzés trop gros pour être honnêtes débordent de la guêpière qui enserre son buste.
 Pour ne pas déclencher la jalousie de Catherine je fais le gars pas intéressé et je regarde ailleurs, je sais être discret, mais je continue à penser que je n'ai pas de chance aujourd'hui,
d'habitude je suis seul.
 Cette solitude eût été plus pratique pour recueillir ses manifestations de gratitude il faut croire que ce jour là l'ange-gardien chargé d'organiser mes plaisirs était distrait…

Les prostituées, pensai-je, vendent surtout de l'imaginaire, de l'exotisme, leurs clients achètent une fiction, celle de la femelle toujours disponible, la chose toujours prête pour eux, sans obligation de discussions inutiles.

   Elle se sent maintenant un peu plus en sécurité, intarissable, elle raconte sa vie en distribuant des petits sourires furtifs à droite et à gauche. Elle dit  venir de Plovdiv, deuxième ville de Bulgarie, cinquième d'une famille de six enfants, la misère, un père violent et alcoolique, un amoureux qui la séquestre, puis la frappe jusqu'à ce qu'elle accepte de travailler pour lui, la déchéance... On dirait du Zola.

   - Je m'appelle Nikolina, les Frrançais aiment les prrénoms féminins se terrrminant en A, Barrbarra, Natacha, Vanessa. C'est la prremièrre fois que ce genrre d'incident  se prroduit, Pietrro ne veut pas perrdrre une de ses poules aux œufs d'orr.

   Nous l'écoutons, attentifs et curieux, fascinés par ce monde qu'elle nous révèle. Nous voudrions lui poser les questions qu'on rêve tous de poser un jour à une prostituée : « Pourquoi fais-tu ce métier ? Tu n'es pas dégoûtée ? Es-tu contrainte par un mac ?...

   La fille sourit et annonce sans plus aucun accent.

   - Bon allez  j'arrête de vous la jouer Cosette, il n'y a pas de Pietro, ni de Nikolina, en réalité je m'appelle Aurélie, je viens de la région parisienne, je suis licenciée en droit. J'aime l'argent facile, les fringues de luxe, les belles voitures et les bijoux.  Je gagne maintenant en un mois plus que je n'aurais gagné en un an comme clerc de notaire ou assistante de mon premier patron, un avocat se croyant autorisé à me tripoter parce qu'il me donnait royalement 2 000 € par mois pour 55 heures de travail par semaine. Je vous remercie de m'avoir secourue, j'étais mal barrée avec le mec chelou que vous avez mis en fuite.

 

Ma femme demande:

- Mais alors vous n'avez personne pour vous protéger ?

 

La fille répond dans un langage fleuri et peu juridique, me faisant douter de sa licence en droit, pour tout te dire elle me parut plus licencieuse que licenciée :

 - Pas besoin, je suis capable de me défendre moi-même, j'ai une bombe lacrymogène dans mon sac, je me méfie, dès que le client a joui il change de comportement et regrette souvent d'avoir donné son fric. Je me fais toujours payer avant pendant qu'il bave d'envie, après c'est le moment critique où j'ai constamment  la main sur ma bombe pour calmer les excités qui auraient la vilaine idée de piquer mon blé, mais là je me suis faite avoir.
 L'enfoiré qui m'a agressée n'a pas cherché à me baiser avant, je n'ai pas pu sortir mon arme, heureusement vous étiez là grâce à vous tout s'est bien terminé. Je rêvais depuis longtemps de venir travailler au soleil, j'ai besoin de respirer l'air pur et ici on peut faire la pêche au gros. Jusqu'ici j'ai toujours travaillé dans le nord, d'abord en Belgique puis dans le nord de la France comme Escort Girl, j'ai même participé deux fois à des partouzes à Lille avec notre futur président.

   - Notre futur président ?

   - Oui, un petit homme vieux, gros et moche, mais assez charismatique, vous voyez  qui je veux dire ? J'étais très bien payée, mais il était grossier et brutal, il nous considérait comme du "matériel".

   - Vous avez partouzé avec D.. ?

   - Oui, au Carlton de Lille. En fait si je veux être précise, lui a partouzé, moi je bossais. Quatre hommes pour deux femmes on a ramassé grave, notre gros chèque n'était pas volé, j'étais crevée à la fin de la "séance". Nous étions payées par des cadres d'une société de BTP qui organisaient tout, il y avait même un commissaire de police. Sur ces deux soirées, en tant que juriste de formation, je me suis amusée à relever les chefs d'inculpation qui auraient pu frapper ce beau monde : Abus de bien social, proxénétisme hôtelier et pour nous les filles : Recel d'abus de bien social. On m'a proposé une grosse somme pour rejoindre D.. trois jours à Washington, mais j'ai pris une angoisse, ça sentait le roussi, j'ai préféré laisser l'affaire à ma copine.

 L’idéal pour moi serait de me trouver un vieux riche qui m'épouserait, après ne resterait plus qu’à lui déclencher une crise cardiaque lors d'une de mes chevauchées fantastiques. Il faut que je gagne un maximum de fric pendant que je suis belle, nous sommes comme les footballeurs, notre carrière est courte. J'ai déjà acheté un appart à Paris pour mes vieux jours. J'ai voulu tâter un peu l'exotisme du bord du lac dont j'avais entendu parler, mais ce n'est pas pour moi, trop dangereux. Je préfère rester sur mon créneau, en général je travaille sur rendez-vous avec des clients fortunés, je les accompagne dans des voyages, quelquefois je représente le cadeau qui permets de conclure une affaire.

A ma grande surprise, en rougissant un peu Catherine s'est renseignée sur ses tarifs, puis nous avons raccompagné Aurélie jusqu'à sa voiture, une magnifique Peugeot RCZ blanche et noire garée sous un olivier.
 
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Peut-être émoustillé par la belle hétaïre, de retour à la maison j'étais plus tendre que d'habitude, ma femme paraissait également très excitée.

Pour renforcer cette ambiance propice à quelques coquineries impromptues je débouchai la demi-bouteille de Mumm cordon rouge toujours disponible dans le frigo  au cas où des gens importants débarqueraient à l'improviste, remplis deux flûtes et proposai : cul sec ?

J'ose à peine te dire la suite, elle m'a répondu :

- Cul sec, tu viens de résumer le drame de ma vie.

Amis de la poésie bonsoir !

Elle a poursuivi :

- Tu as entendu, l'agresseur a cru que j'étais aussi une pute, c'est plutôt flatteur, dommage qu'il soit parti si vite sans avoir mis ses projets à exécution.
 
Ses projets à exécution? J'ai rembobiné puis déroulé dans ma tête le film de l'incident, le gars a exigé :

  - De mieux en mieux, deux pour le prix d'une, tu vas me donner ton fric, après ta copine me sucera. "

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Nous avons terminé notre pastis en silence puis inquiet  mon pote a demandé :

 -Tu crois qu'elle était sincère lorsqu'elle a dit être flattée d'être prise pour une pute?

 

Je suis resté muet, ne sachant rien des secrets désirs de nos compagnes ni de leurs fantasmes qu'aurais-je pu répondre? 
 Toutefois, quitte à vendre leur joli petit corps je me doute qu'elles se rêvent plutôt courtisanes princières, ladies Escort  ou prostituées de luxe.

 

Quelques secondes plus tard il a prononcé cette parole forte à laquelle j'adhère sans restriction: La seule chose que j'ai compris chez les femmes c'est que je n'y comprenais rien !

En remplissant une énième fois les verres, grognon il a déploré,

- Tu ne me croiras jamais  lorsque je te dirai comment cette histoire s'est terminée. Catherine m'a dit en dégrafant mon pantalon :

"Profites-en,  aujourd'hui  c'est encore gratuit, à partir de demain ce sera deux cents euros pour l'ordinaire et cinq cents euros pour les perversités  !"

Je croyais qu'elle plaisantait mais pas du tout  maintenant il faut que je débourse deux cents euros à chaque fois et comme je n'ai pas une grosse retraite je vais être obligé de chercher un petit boulot d'appoint…

 

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Il ne devrait pas se plaindre, c'eût pu être bien pire,  contrairement à ce qu'il croit il s'en tire honorablement, car il est bien connu que Les femmes les plus chères sont celles que l'on ne paie pas ! 

Tous ceux qui ont une maîtresse vous le diront ! hé hé
 
 
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Cette histoire est extraite du livre :



 

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 site web - http://serge.boudoux.fr

 


Semaine prochaine, révélations sur l'énigme du Masque de Fer !