jeudi 19 juillet 2018

Les Tribulations d'un Lyonnais en Provence. Histoire n°16


 

 
 
 
 

Le petit homme du  barrage de Malpasset

 

 Pour une fois je ne suis pas seul, mon voisin médecin a voulu m'accompagner avec un de ses amis. Discrètement il m'a demandé :

- Essaie de nous trouver un petit parcours plat, mon copain insiste pour marcher avec nous mais il n'a pas fait de sport depuis bien longtemps et comme c'est un bon vivant …

Effectivement l'ami présente une cinquantaine largement enrobée, il semble avoir le souffle court et la jambe traînante. Exceptionnellement j'accepte de les cornaquer (un cornac étant le maître et le guide d'un éléphant).

Nous garons notre auto sur la place des Estérêts du lac, gros hameau lointain de Montauroux presqu'aussi important que le cœur du village et nous voilà partis.

Du parking il faut grimper une dizaine de mètres pour rejoindre le sentier, l'ami est déjà essoufflé, deux cents mètres plus loin  il a un point de côté, ça commence fort.

Si le but de la promenade dont je vais vous parler est spectaculaire,  le chemin qui y mène, quatre kilomètres de piste poussiéreuse plate, sans ombre et sans intérêt parait toujours très long .

L'objectif de notre randonnée est le barrage de Malpasset, enfin ce qu'il en reste, mais le sujet de l'anecdote que je veux raconter est moins dramatique.

 

Un peu d'histoire selon Wikipédia :

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Au début de l'hiver 1959, des pluies torrentielles vinrent remplir pour la première fois le nouveau barrage d'irrigation de Malpasset, en amont de Fréjus. Lorsque celui-ci céda soudainement, le 2 décembre 1959, près de 50 millions de mètres cubes d'eau déferlèrent, ravageant campagnes et villages jusqu'à la mer. C'est la plus grande catastrophe de ce genre qui ait jamais touché la France.
Le barrage est donc rempli à ras bord lorsqu'il cède, à 21 h 13 exactement. Le bruit du craquement de sa voûte alerte en premier le gardien de l'ouvrage, qui se réfugie en haut de sa maison, à 2 km et demi en aval. Bien lui en prend : une gigantesque vague de 40 m de haut déferle dans l'étroite vallée à la vitesse de 70 km/h. Balayant tout sur son passage, elle débouche sur Fréjus 20 minutes plus tard, avant de se jeter dans la mer.

Le plan ORSEC - plan d'organisation des secours - est immédiatement déclenché. Les militaires des bases locales ainsi que des hélicoptères de l'armée américaine basés dans les environs s'occupent de porter secours aux survivants, mais aussi de dégager les corps des victimes. Le général de Gaulle, président de la République, venu sur place quelques jours plus tard, découvre une zone totalement sinistrée. La catastrophe a fait 423 victimes humaines, sans compter  les voies ferrées  arrachées, les fermes soufflées, les animaux déchiquetés.

 
Selon Arte, les services secrets allemands auraient une preuve contredisant formellement les résultats de l'enquête française concluant à l'origine naturelle de  la  catastrophe de Malpasset. En 1959, en pleine guerre d'Algérie le front de libération national algérien aurait posé une bombe au pied du barrage.

Qui croire ? Mais là n'est pas le sujet de cette histoire.

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Après une bonne heure et demie de marche ponctuée de pauses et de plaintes finissant toutes par " on arrive bientôt ?"  nous voici rendus sur les lieux.

 Le site du cataclysme ayant été laissé en l'état, l'arrivée est toujours très impressionnante.
De la rive gauche du petit défilé sur lequel s'appuyait le barrage sortent des barres de fer tordues grosses comme un bras d'homme, d'énormes blocs de béton emportés par la vague meurtrière barrent la vallée en contrebas.

Seul le côté gauche a cédé, le côté droit lui est intact dominant du haut de ses 60 m les 4 ou 5 m de murs rabotés par la fureur des eaux.

 Mes compagnons commencent à mitrailler le site, tirer des selfies ( petite masturbation photographique) , prenant la pose devant les blocs.

Une jeune femme noire court sur le sommet des ruines du barrage, un petit homme dégarni et nanti d'un ventre confortable la couve d'un regard  attendri. Elle n'est pas très belle de visage mais sa peau café au lait et son joli corps presque juvénile attire le regard. Elle crie:

- Ven conmigo mi ángel,  viens avec moi mon ange!

Je tourne la tête pour contempler le destinataire de ce qualificatif, il n'y a là que moi et le petit homme donc c'est à lui qu'elle s'adresse. Elle doit être myope ou très imaginative pour conférer à ce gars un attrait un tant soit peu angélique. J'ai subitement et inexplicablement un accès de cruauté envers lui alors je l'interpelle en soulignant lourdement la différence d'âge :

- Je crois que votre fille vous appelle.

- Ce n'est pas ma fille, c'est ma femme.

Il répond fièrement à son épouse, puisqu'épouse il y a :

 - No, no es que yo estoy cansado, pero cuidar de sí mismo, es peligroso, que je traduis approximativement - Non, je ne viens pas je suis fatigué mais fais attention à toi, c'est dangereux.

Je regrette déjà la méchanceté de mon intervention consistant à insinuer que sa femme soit sa fille alors je lui tends une barre de chocolat un peu molle et engage la discussion d'un ton plus aimable.

Je dois avoir un don d'empathie pour pousser ainsi les inconnus à la confidence, voilà ce qu'il me raconte après quelques minutes d'échanges informels mais amicaux.

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Je suis directeur général adjoint d'une multinationale qui s'occupe d' environnement. Mes fonctions m'amènent à voyager partout dans le monde. Il y a une dizaine d'années j'ai travaillé et résidé quelques mois à Cuba.
Ce pays est très pauvre mais les habitants sont chaleureux surtout les femmes. Elles sont prêtes à tout pour échapper à leur misère, en peu de temps j'étais entouré de créatures plus belles les unes que les autres, à ma grande surprise elles me trouvaient terriblement séduisant.
 J'en ai ramené une avec moi et l'ai épousée, sous le régime de la séparation des biens, pour qu'elle puisse rester officiellement en France. Elle avait vingt deux ans, moi quarante cinq.
Trois ans plus tard elle parlait parfaitement français, avec l'espagnol sa langue maternelle plus l'anglais qu'elle pratiquait à la perfection elle se retrouva ainsi trilingue comme moi. Elle a trouvé un boulot dans le tourisme et un jour elle m'a quitté pour un chat de gouttière passant là.
 Quelques mois plus tard j'ai ramené une jolie blonde aux yeux bleus de Donetsk en Ukraine. Elle m'a adoré pendant deux bonnes années, le temps d'apprendre notre langue, puis m'a quitté après trois ans de vie commune.
J'ai ensuite épousé une colombienne et le même scénario se déroula.

Ayant  bien conscience que je ne suis pas un apollon, finalement au lieu de me lamenter je me suis dit : " d'un inconvénient faisons un avantage".
 On dit que le mariage transforme les fées en sorcières alors moi je ne vis qu'avec des fées qui n'ont pas le temps de se métamorphoser.
 Maintenant j'ai pris l'habitude de changer de femme régulièrement, je me suis organisé une petite vie douillette. Je n'ai pas besoin de me casser la tête pour les distraire, je fais toujours avec elles les mêmes promenades, les emmène dans les mêmes restaurants etc…puisque pour chacune c'est la première fois.

Il jette un coup d'œil vers sa princesse noire pour vérifier qu'elle soit hors de portée de voix et  prononce cette phrase ahurissante :

- Si certains renouvellent leur voiture tous les deux ans moi j'ai une nouvelle femme jeune dans mon lit tous les trois ans, c'est quand même plus agréable d'avoir régulièrement un modèle récent, non ?
 La compagne actuelle que vous voyez sur le barrage vient de Punta Cana, pour le moment comme elle ne parle pas très bien notre langue elle m'adore,  je lui apporte ce que toutes les femmes recherchent en priorité, la sécurité. Elle me quittera dans quelque temps quand j'en aurai bien profité mais ce n'est pas grave, c'est prévu, mon scénario est bien rôdé.
Pour la prochaine j'ai envie de tâter un peu de l'asiatique, il parait que les cambodgiennes ou les thaïlandaises sont très dociles."

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J'ai abandonné la quatrième mais provisoire épouse aux bons soins et sollicitudes triennales du petit homme délicatement romantique.

 Nous sommes repartis et rentrés difficilement, l'ami de mon ami avait des ampoules aux pieds grosses comme mon pouce.

En route je me suis fait la réflexion suivante:

 Je suis marié depuis quarante huit ans avec la même femme, en imaginant avoir adopté un style de vie analogue à celui de mon éphémère copain du barrage j'en serais donc à ma seizième épouse, seize redémarrages de vie commune etc…

Se pose alors la question suivante: vaut - il mieux vivre toujours la même chose avec des femmes différentes ou vivre des choses différentes toujours avec  la même femme ? Vaste débat.

Moi j'ai choisi, mais parfois j'en ai marre qu'on m'aime pour moi-même, j'aimerais bien être aimé aussi de temps en temps pour mon argent (pour les grognons, attention plaisanterie du second degré).

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Un de mes voisins enclin à la soumission vit un enfer avec une sorcière n'ayant vraisemblablement jamais été fée et ne sachant qu'inventer pour lui pourrir la vie, demandant justification de chaque centime dépensé, reprochant chaque minute de retard, écoutant chaque communication téléphonique, confisquant bouteilles d'apéro et cigarettes.
 Lorsque je lui ai expliqué cette histoire gravement il a suggéré cette conclusion :

- Si je comprends bien ton gars de Malpasset et moi avons loupé tous les deux nos mariages, lui parce que ses femmes sont parties, moi parce que la mienne est restée.

Il disait cela très sérieusement, moi j'étais mort de rire mais finalement il n'avait pas tort.

 LOL comme on dit sur les réseaux prétendument sociaux

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Cette histoire est extraite du livre :


 
 

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samedi 7 juillet 2018

Les tribulations d'un Lyonnais en Provence : Histoire n° 15


 

La recluse du vieil Antibes.

 

 

Paul, un vieil ami à moi presqu'un frère, habite un quartier chic d'Antibes depuis une vingtaine d'années.
 Il est cité et présenté par celles et ceux qui le connaissent comme le spécimen du mari modèle.
Marié depuis 45 ans avec Thérèse pour laquelle je n'ai pas une estime incommensurable chaque matin il fait les courses, ramène une rose en gage d'amour immortel à son épouse, passe l'aspirateur, de plus il jouit depuis toujours d'une réputation de fidélité et de vertu absolues.
 Aux yeux de tous par rapport à lui Saint Augustin ou Jean-Paul Deux étaient de grands débauchés.
Cette quasi sainteté n'est pas sans générer des comparaisons pas forcément flatteuses pour ceux qui pâtissent d'une notoriété plus douteuse, suivez mon regard dans le miroir.

Un jour, il m'annonça d'un ton de commandement inhabituel:

- Je t'emmène " faire un tour " dans le vieil Antibes.

Après avoir longé les remparts nous sommes arrivés sur la jolie placette du Safranier, et avons descendu les petites ruelles étroites et moyenâgeuses. Avec leur  pavage de pierre, leurs murs tapissés de bougainvilliers colorés de plantes grimpantes et odorantes, les ombres, le silence, on a vraiment l'impression d'être projeté dans un autre monde plusieurs siècles en arrière. J'adore !
La vérité me force toutefois  à reconnaître qu'il y a bien quelques crottes de chiens au sol et une odeur d'urine persistante dans l'air mais j'ai décidé de ne voir que le bon côté des choses.

 

Dans un discret renfoncement Il a sonné à une vieille porte en bois cloutée percée d'un petit judas grillagé, après un léger bourdonnement et un bruit sec la porte s'est entrouverte, sans doute actionnée par un mécanisme invisible.

Un petit chemin avec des pas japonais menait à une maisonnette basse. Sous un arbre de Jérusalem planté devant la terrasse une femme était assise dans un fauteuil en osier, je l'appellerai Emmanuelle pour la circonstance.
Il était difficile de lui donner un âge, peut-être cinquante ou cinquante cinq ans, les femmes d'aujourd'hui ne vieillissent plus. Son physique ne m'a pas laissé une impression inoubliable mais il se dégageait d'elle, je ne sais pourquoi je l'ai ressenti ainsi, une grande tendresse.

 

Mon ami l'a embrassée sur la bouche en disant :

- Bonjour mon cœur.

Il s'est tourné vers moi, très cérémonieux :

- Emmanuelle, je te présente mon ami Serge l'écrivain dont je t'ai déjà parlé, Serge voici Emmanuelle, l'amour de ma vie.

Un silence embarrassé s'installa, je ne comprenais pas ce qui se passait, j'ai pourtant l'habitude des situations ambigües mais imaginez que vous découvriez que le Pape a une maîtresse.
 Dans l'histoire, de nombreux souverains pontifes en eurent plusieurs, mais c'était il y a longtemps on en a perdu l'habitude et maintenant souvent  les religieux préfèrent les jeunes garçons.
Les femmes sont moins harcelées par les curés de nos jours, peut-être un Evêque ou un Cardinal de temps à autre taquine -t-il encore un peu quelque bourgeoise, mais cela reste très marginal…

 

Emmanuelle me regardait, des larmes coulaient lentement de ses yeux.

 D'une petite voix douce elle a prononcé ces mots qui sont restés gravés dans mon esprit :

- Je suis trop heureuse, depuis toutes ces années c'est la première fois que je sors de l'ombre.

 Mon ami agacé  a demandé sèchement:

- Pourquoi pleures-tu? C'est bien ce que tu voulais, non ? tu n'es jamais contente !

 

Gêné, je suis resté muet. Vous savez que je ne suis pas le dernier à me moquer de mes contemporains et de moi-même, mais là je ne savais que penser.
 J'avais envie de la serrer dans mes bras pour la consoler du mal que cet homme lui faisait, manifestement sans s'en rendre compte.

Nous avons bu un café corsé accompagné de navettes provençales, biscuits oblongs à l'anis, parlé de tout et de rien, Emmanuelle jetait de petits regards inquiets vers mon ami.

 

Lorsque nous sommes repartis Paul m'a expliqué:

 

- " Emmanuelle et moi sommes amants depuis une dizaine d'années, j'ai toujours fait très attention à ce que personne ne se doute de cette liaison. Depuis le premier jour j'ai été clair avec elle, elle savait que j'étais marié et que je ne quitterai jamais Thérèse, cela lui ferait trop de peine.
 Je la vois chaque jour, je lui apporte une rose, j'ai organisé ma vie en conséquence.
 Tu es le seul à la connaître, elle avait envie d'exister un tout petit peu aux yeux du monde, alors comme je n'ai confiance qu'en toi je te l'ai présentée, ça va la calmer pour quelque temps, tu sais comment sont les femmes."

 

Il a réfléchi puis prononcé cette phrase dévastatrice:

- En fait, passés les premiers mois de grande passion une maîtresse pose plus de problèmes qu'elle n'en résout, aussi maintenant je me sers de l'une pour supporter l'autre, et vice-versa.

 

Je ne lui ai posé aucune question et fait aucun commentaire, je ressentais une grande culpabilité, toute l'hypocrisie, la lâcheté et l'égoïsme des hommes m'explosaient au visage. Cette femme  vivait ainsi ignorée de tous, recluse volontaire, combien de Noëls solitaires, de vacances désespérantes, d'attentes angoissées d'un appel qui n'arrive pas, d'anniversaires sans joie a-t-elle supportés ?

 

Ne vous trompez pas, je ne voudrais pas donner de leçon à qui que ce soit mais croyez- le ou non, j'ai espacé mes rencontres avec Paul, je l'aime moins parce que je m'aime moins. Pourquoi ai-je éprouvé une telle humiliation ? Il n'y avait aucune misère, s'il y en avait une elle n'aurait pas dépendu de moi, et Paul semblait se satisfaire de cette situation.

 C'est sûrement la faute à Saint-Exupéry, ne manquant par ailleurs pas une occasion de faire dire des conneries à son sale gosse de petit prince insupportable qui m'a toujours gonflé, il pontifiait :

- être homme c'est sentir la honte en face d'une misère qui ne semblait pas dépendre de soi.

 C'est sans doute ça, je suis un homme donc je sens bien la honte.

 

 Je pense souvent à Emmanuelle, à tous ceux et celles dont nous piétinons la vie, nous braves gens sûrs de notre bonne foi et en paix avec notre conscience assurant que nous n'avons rien à nous reprocher .
 
 
Quand revient le temps de l'automne
je pense à tout ce temps perdu
je n'ai fait de mal à personne
je n'ai pas fait de bien non plus
et j'ai ...le cœur gros.

 
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Et je vais me faire encore des copains:

 


- Mesdames méfiez- vous des maris trop parfaits! En particulier ceux qui vous offrent des roses sans raison…

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Cette histoire est extraite du livre :


 
 

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