Il est un âge dans la vie où la
honte d'être vu en certaines circonstances pourrit notre existence et nous
pousse aux pires extrémités.
Les plus belles victoires sont celles que l'on remporte sur soi-même. Une
de nos plus importantes conquêtes
consiste à se libérer de la peur ou de l'influence du regard des autres.
Morestel ( Isère
) Janvier 1960.
L'hiver 1959-1960 n'était pas particulièrement
froid, mais du 9 au 17 janvier 1960
la situation se dégrada brutalement. Les gelées puis la neige se généralisèrent
à tout le pays, les températures atteignirent près de –20° en Lorraine et dans
le Morvan, -18° à Limoges et –14° à Grenoble.
- Tu seras mon bâton de vieillesse.
Je dois avouer que la signification de cette phrase m'échappait un peu.
Maintenant tout est clair, elle comptait sur ma future protection lorsque l'âge
adulte me serait venu.
Douze ans c'est le mauvais âge.
Pas encore ado plus vraiment enfant, les premières montées d'hormones
surprenaient et torturaient mon corps de
chenille qui deviendrait peut-être un jour papillon. Certaines raideurs
inexplicables me gênaient souvent j'en rougissais, aujourd'hui elles
font mon orgueil le mâle est vaniteux et veut toujours pisser plus loin que
les autres.
La pauvrette souffrait du froid même en été, alors l'hiver.... Elle s'était emmitouflée dans un ancien manteau troué et, comme une
momie égyptienne, entourée le visage
d'un très vieux cache-nez en laine. Persuadée que tout le monde
pâtissait de la même intempérie, sur son insistance pour la rassurer et lui
faire plaisir je m'affublai d'un vieux passe-montagne d'enfant à oreilles de
chat censé me protéger de la bise glaciale.
Nous voila partis.
L'aller ne me posait jamais de problème, il suffisait de descendre la rue Blanche très pentue où l'on ne croisait presque jamais personne puis nous diriger près de la propriété Revol pour ramasser le bois mort.
Par contre le retour me
terrorisait, il n'était pas question d'essayer de remonter la rue Blanche ainsi chargés, les lois de la
gravité sont implacables. Il nous fallait donc traverser toute la grand-rue
du village jusqu'à la place Saint Symphorien avant de grimper la rue Auguste
Ravier, chemin beaucoup plus long mais infiniment moins pénible.
Là se situait l'animation du village : cafés, boulangerie, banque, arrêt
de cars.
Ici se tenaient en embuscade chaque jeudi à 16 h mes copains de classe
en goguette guettant les internes féminines de l'école catholique se promenant
ce jour béni en rangs serrés, surveillées par
quelques institutrices, vieilles filles intraitables confisquant les billets doux échangés entre leurs
protégées et les suppôts de Satan fréquentant l'école communale rebaptisée
école du diable.
Les jeunes demoiselles faisaient
quelque effort de toilette pour l'occasion. Parées de leurs plus beaux atours
elles parlaient et riaient fort, gloussant
tels des volatiles déchaînés à la vue des séduisants Bad boys.
L'une d'elles, la jolie et timide Anne-Marie me plaisait particulièrement.
De moins en moins croyants mais
toutefois soucieux de ne pas indisposer
un hypothétique créateur bougon comptable de nos manquements, à tout hasard
nous faisions notre communion solennelle puis la confirmation, cérémonie
pendant laquelle l'évêque nous sommait
gravement de renoncer au démon et à ses pompes.
Je ne comprenais pas trop ce que
les appareils destinés à faire circuler un fluide avaient à voir avec le Diable
jusqu'au jour où je découvris, en creusant un peu le sujet, que ce mot dérivé
du grec Pompé et du latin Pompa, signifiait escorte, cortège
Il me fallait donc renoncer à
Satan et à tous ses accompagnateurs qui ne manqueraient pas de m'induire en tentation, étalant devant mes yeux éblouis les
mille vanités et plaisirs du monde.
Justement, le Malin avait déjà infiltré des disciples chez l' ennemi
:Un confesseur épisodique insistant lourdement pour savoir si je me touchais souvent la zigounette je me demandais s'il avait vraiment renoncé à la tentation de me la toucher lui-même. N'ayant aucune envie d'avoir la réponse et déjà farouchement hétéro je décidai dorénavant de me passer du coup d'éponge absoluteur et post-confessionnel censé nettoyer mon âme de toute pollution.
Il y a de ces soirs où les fleurs ont une âme
Une âme merveilleuse car une âme de femme
Mais jamais une fleur sous un ciel étoilé
N'aura l'âme aussi douce que ton âme adorée.
Combien de mes quatrains ont
enflammé le cœur de belles qui n'ont jamais su d'où provenaient ces mots
enchanteurs mais devaient remâcher leur déception face à leur poète supposé ne
sachant pas prononcer deux phrases correctes en direct live devant elles ?
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Einstein avait déjà démontré que l'univers ne comportait pas trois
dimensions mais quatre, la quatrième étant le temps ! ( " étant le temps
" formulation amusante ).
Moi, plus modestement, j'avais beau calculer plusieurs fois dans ma tête
le résultat était toujours le même, terrifiant :
Que j'accélère ou diminue le pas, la distance à parcourir divisée par
notre allure me donnait toujours le même résultat, nous arriverions peu ou prou
sur la place à 16 h, heure fatidique de la rencontre de tout ce beau monde.
Essayez d'imaginer l'horreur de cette synchronisation implacable qui
allait démolir inexorablement mon
image aux yeux de tous et anéantir tout espoir de séduire
Anne-Marie !
Vous rendez-vous compte ? J'allais traverser cette place au vu et su de
mes copains et des filles de l'école libre,
poussant une charrette remplie de bois mort en compagnie d'une mère
ressemblant à une vieille momie égyptienne, ma tête surmontée d'un passe-montagne
d'enfant avec des oreilles de chat qu'elle m'interdisait d'enlever.
- Ma vie est fichue, pensais-je certain de ne jamais me remettre d'une
telle humiliation.
La situation était pire que ce que j'avais imaginé : Le cortège féminin
arrivait juste à l'instant, tous mes
potes commencèrent à manifester leur admiration par moult sifflets, hurlements,
cris d'animaux et de plus au même moment un car déversait sa cargaison humaine,
la totale ! Il me sembla qu'Anne-Marie ne me quittait pas des yeux, moqueuse et
dédaigneuse, cauchemar ou réalité ?
Piteux je la rejoignis un peu
plus tard. L'expression de son visage douloureux, celui de Marie au pied de la
croix, est gravée à jamais dans ma mémoire.
Elle me dit simplement :
- Je n'avais jamais eu l'impression d'être une merde, maintenant c'est
fait.
Les larmes coulaient doucement de ses yeux, elle rajouta:- Et il a fallu que cela vienne de toi, toi que j'aime plus que tout au monde !
Quelqu'un s'est-il déjà demandé
si Marie avait pardonné à son Jésus bien-aimé les douleurs occasionnées par son sacrifice ?
Maman m'a-t-elle vraiment absous
d'avoir eu honte d'elle ? Sûrement, les mères pardonnent tout !
Ainsi unis nous aurions dit merde au monde entier !
Maman là dans mon cœur est
un livre suprême
Ta vie est dans ce livre je
l'espérais très long
Sur des milliers de pages
j'aurais écrit " je t'aime"
La mort m'a devancé en
inscrivant son nom.
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- Cette histoire, lue par 1 259 personnes, est tirée de mon prochain livre :
Des monstres ordinaires
et
autres histoires extraordinaires
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