jeudi 29 mars 2018

Les histoires décapantes de Serge BOUDOUX


 

Le petit pont romain

 
Si vous vivez en couple ou êtes mariés vous savez comme moi  que la monstruosité peut prendre de multiples formes, le pire se dissimule souvent  derrière le meilleur.

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Par un beau dimanche de juillet je gare mon Range Rover Evoque sous un pin à l'entrée du stade de Montauroux. Mon sac à dos est lourd, outre mon ordinateur portable il contient  de quoi casser la croûte plus un litre et demi d'eau. Comme chaque  jour de la semaine écoulée je vais parcourir le même trajet en direction du pont des Tuves, n'aimant pas trop les nouveautés je peux faire longtemps des circuits identiques  avant de me lasser.

 Le soleil brille, l'air chaud est chargé de parfums, une multitude de cigales heureuses de vivre improvisent un concert assourdissant, indifférentes aux grosses fourmis noires qui s'affairent au-dessous d'elles. N'en déplaise à Jean de La Fontaine qui a induit en erreur des générations d'écoliers, les cigales se nourrissent de la sève des arbres, elles peuvent donc chanter tout l'été sans problème n'ayant nul besoin de stocker des mouches ou des vermisseaux pour la mauvaise saison, d'autant qu'elles seront toutes mortes à la fin de l'été obéissant  ainsi à leur cycle naturel.

 C'est le bonheur pour moi, adepte des plaisirs simples. Vous ai-je déjà dit que j'avais " fait " (cette expression m'a toujours amusé surtout lorsque les touristes disent qu'ils" font " le Mexique, la Thaïlande ou le grand canyon)  la partie française du chemin de Saint Jacques de Compostelle, 900 kms à pied en 30 jours ? Si ce n'est pas un plaisir simple…

 
J'endosse mon sac, siffle ma petite chienne Happy et me dirige vers l'imposante citerne ventrue baptisée par mes petits-enfants " le gros bidon ", placée un peu plus loin par les pompiers en prévision des feux de forêt.

 Le chemin de terre est plat sur 800 m, il  tourne à droite après la citerne couverte de graffitis puis s'engage dans les bois tapissant le flanc de la colline qui descend jusqu'à la Siagne. Les 250 m de dénivelé débouchent sur une minuscule clairière menant au sublime petit pont des Tuves réputé, à tort, être romain. Il n'est pas large, avant de le traverser je m'écarte pour laisser passer un couple venant en sens inverse. Après quelques pas je me retourne pour les suivre des yeux, l'homme marche en titubant comme s'il était ivre. Je passe sous la mini cascade et entame la remontée jusqu'aux anciens lavoirs, but ultime de mon équipée sauvage. Quelques vers vite notés traversent mon esprit :
 
Vous me verrez passer libre fier sauvage
traversant les rivières les vallées et les monts
où mes désirs me mènent loin de vos esclavages
où l'air que l'on respire fait chanter les poumons 

 
Lundi. Je rencontre le même couple près du petit pont,  m'arrête et les salue. L'homme est un grand beau blond athlétique d'une cinquantaine d'années type scandinave. Il me fixe bizarrement  j'ai déjà croisé  de tels regards chez des ivrognes ou des drogués, il  ne me voit pas, il regarde à travers moi. La femme qui lui tient la main semble un peu plus jeune, elle est toute petite, si les yeux sont les fenêtres de l'âme, à en juger par l'intensité avec laquelle elle me dévisage elle doit abriter un laser dans sa tête. A ma grande  surprise elle me connait :

- Vous êtes Serge, l'écrivain ?

- Oui Madame.

- J'aime vos livres, ils sont bien écrits, mais certains de vos personnages me font peur.

- Vous m'en voyez désolé chère Madame.

- il est dommage que vous n'écriviez pas de belles histoires d'amour se terminant par  de douces promesses d'avenir telle que " je t'aimerai toujours."

- L'amour ne s'écrit pas il se vit, l'avenir ne se prédit pas il se construit et il est toujours dangereux de faire des promesses surtout quand elles concernent le futur.

J'étais tout fier d'avoir fait une belle phrase avec juste ce qu'il fallait d'ironie, j'aurais dû avoir honte, vous allez comprendre pourquoi.

La petite femme a demandé:

- J'aimerais vous revoir demain ici à la même heure, je vous donnerai quelque chose qui vous intéressera peut-être.

Mardi. Un foulard Vuitton entoure son cou, sans doute souffrante de la gorge elle semble déglutir avec difficulté. Elle me remet un carnet, ses yeux pétillent et me transpercent pendant que l'homme blond se balance d'un pied sur l'autre :

- J'ai décidé de vous faire confiance, je vous confie mon journal mais il ne faut pas que vous le lisiez avant dimanche prochain, après vous en ferez ce que vous voulez, ne me trahissez pas..

J'enfouis le calepin dans mon sac, résolu à ne jamais l'ouvrir et à le reléguer dans les banlieues et faubourgs de mes oublis. Je m'attendais un peu à ça étant sans cesse harcelé par des gens qui croient avoir un talent d'écriture et compte sur moi pour le faire connaître…j'ai déjà toutes les peines du monde à faire reconnaître le mien.

Mercredi, jeudi, vendredi, un peu gêné quand même et n'ayant pas envie de les revoir je change d'itinéraire .

 Samedi 16h. Mes trois baguettes toutes chaudes quotidiennes m'attendent, la boulangerie vend également du miel, du vin, des confitures, quelquefois mes livres, respectant ainsi les préceptes bibliques :  " l'homme ne vit pas seulement de pain ". Devant la caisse trône une pile de Var Matin, je jette un coup d'œil rapide aux gros titres en attendant d'être servi, mon cœur s'arrête.

 En première page s'étalent la photo de la petite femme et celle du grand gaillard blond avec cette accroche : un couple retrouvé mort à Callian. J'achète un exemplaire du journal, ils se sont empoisonnés. A l'arrivée de la femme de ménage le mari était mort, l'épouse respirait encore elle est décédée pendant son transfert à l'hôpital de Fréjus.

Je rentre en catastrophe chez moi, fouille mon sac à dos et en sors le carnet désormais orphelin. Mesurant environ 18 cms par 12 cms il est constitué d'une cinquantaine de feuilles en papier grossier reliées ensemble, la première et dernière page sont collées contre la couverture en cuir brut, le tout fermé par un lien en cuir également.  La petite femme m'a demandé de ne pas le lire avant dimanche mais maintenant elle est morte alors la promesse ne tient plus, quelques heures en plus ou en moins ne comptent pas face à l'éternité.
 
L' Eternité, c'est très long non? ce concept est difficile à imaginer.  Un an dix ans sont des périodes qu'on se représente aisément mais éternel ? Je ne réalise pas très bien, que fera-t-on pendant tout ce temps et avec qui ? Passer l'éternité avec certaines personnes ne me tente guère !

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 Une calligraphie élégante couvre une dizaine de pages, diverses  couleurs d'encre montrent que l' auteure s'y est reprise à plusieurs fois comme il sied ( du verbe seoir) habituellement  à la rédactrice d'un journal intime pour décrire les mille et une petites péripéties de son existence :

" Je m'appelle Maria Collado, je suis mariée depuis quinze ans avec Christopher Larksons. Mon mari est un peintre talentueux natif de Suède, je l'ai toujours beaucoup admiré. Nous avons vécu longtemps à Paris dans le Marais où nous avions déniché un appartement en rez de jardin avec un atelier d'artiste  orienté plein nord, offrant ainsi la lumière idéale pour un peintre. Nous n'avons pas eu d'enfant.

 Notre rencontre date du jour où jeune étudiante en architecture j'assistai à un cours de dessin donné par Christopher. Le choc fut réciproque je crois, il cherchait un modèle pour un tableau, le lendemain j'étais chez lui et le soir même dans son lit, de ce jour nous ne nous sommes plus quittés. Notre amour était de ceux que l'on décrit comme fusionnels, un jour sans lui m'était inenvisageable, je serais morte étouffée par l'angoisse s'il s'était éloigné plus d'une demi-journée de moi. J'aimais tout de lui, son odeur, sa voix, ses cheveux, ses yeux, sa peau, tout ! Nous étions heureux jusqu'à ce jour du  20 décembre 2013 où cela a commencé. Je suis entrée dans son atelier pour lui apporter du café, il m'a regardée comme s'il me voyait pour la première fois  et m'a demandé:

-  Je peux vous aider madame, vous cherchez quelque chose?

Bien sûr j'ai cru tout d'abord qu'il plaisantait mais l'expression de son visage m'a terrifiée,  ses beaux yeux bleus étaient vides, il ne me reconnaissait pas. Heureusement une minute plus tard  mon Christopher, mon magnifique Suédois me souriait, il était de retour là devant moi je croyais avoir rêvé.

Depuis quelque temps j'avais remarqué qu'il perdait par moment la mémoire, il cherchait des mots, des dates, il s'égarait parfois dans Paris. J'en étais venue à  le soupçonner d'avoir une maîtresse et d'utiliser cette excuse pour expliquer ses heures d'absence, ce temps d'amour qu'il me volait. Il était si beau et il était à moi, je n'aurais pas supporté qu'une autre me le prenne, j'aurais mieux aimé le voir mort.

Deux jours plus tard je l'ai retrouvé en larmes assis par terre, il avait détruit son tableau à coups de couteau. Craignant un méchant état dépressif je l'ai traîné chez un de nos amis médecin généraliste qui nous a reçu en urgence.

Il a ausculté Christopher :

Taille 1m80

Tension 13 / 7

Poids  80 kgs

Pouls 60

Température 37.2 °

Il a même vérifié l'état de sa prostate puis lui a posé des questions.

- Peux-tu compter de 100 à 0 en retranchant 9 chaque fois .

Mon bel amour a décompté rapidement 100, 91, 82, 73, 64 etc… sans se tromper une seule fois, déclenchant mon admiration j'aurais bien été incapable de faire de même. Je commençais à me rassurer.

- Quelle est ta date de naissance ?

- 1er juillet 1959

- En quelle année et quel jour sommes-nous ?

- 2011. Le jour je ne sais pas .

 Le médecin m'a regardé, dubitatif, nous étions en 2013

- Qui est président de la république ?

- Jacques Chirac.

La bonne réponse était François Hollande.

J'ai lu je ne sais où que la perte de la mémoire récente est un signe inquiétant, sur mon insistance il a appelé immédiatement un neurologue de sa connaissance.

Après une I r m, un Pet scan, une analyse du liquide Céphalo-rachidien, le diagnostic fut posé, terrifiant, il s'agissait vraisemblablement d'un début de maladie d'Alzheimer.

Je vous passerai les explications techniques nombreuses et variées: plaques séniles protéines amyloïdes protéines Tau, derrière lesquelles les médecins s'abritèrent pour nous avouer qu'ils ne connaissaient rien de cette maladie. Il n'existe aucun traitement à part une légère régression des symptômes pour ceux bénéficiant d'une activité physique régulière et du régime alimentaire dit régime méditerranéen.

Cette saloperie d'Alzheimer est mortelle à coup sûr, espérance de vie  8 ans.

Christopher a été très courageux, il m'a fait promettre de lui permettre d'avoir une mort digne avant qu'il ne soit devenu un légume.

Nous avons vendu immédiatement tous nos biens et sommes venus habiter à Callian. Malgré nos longues promenades journalières et la mise en place du fameux régime méditerranéen  chaque jour mon beau suédois se transformait et dégénérait un peu plus. Une seule chose le raccrochait encore à l'humanité: la peinture. Il a peint pour moi pendant ces derniers mois sa plus belle toile me représentant sous la cascade près du petit pont romain.

Hier  il a fait une crise de démence, en hurlant comme un loup il m'a saisi à la gorge et a serré très fort. Je ne me suis pas débattue, je l'ai regardé droit dans les yeux sans un mot, il m'a lâchée, pendant les rares minutes où il a retrouvé un peu de conscience il a dit en pleurant :

- Maria tue moi avant que la bête qui est en moi ne te tue.

Lors de notre mariage le prêtre m'avait fait répéter :

" Christopher je te prends pour mon époux, pour t’avoir et te garder dès ce jour et à l’avenir, que tu sois meilleur ou pire, plus riche ou plus pauvre, en maladie ou en santé, pour t’aimer et te chérir jusqu’à ce que la mort nous sépare selon la sainte ordonnance de Dieu et sur cela je t’engage ma foi."

Je ne suivrai pas les préceptes de la religion, il n'est pas question que la mort nous sépare. J'ai promis de lui permettre d'avoir une fin humaine, pour moi la seule fin digne de lui est celle où nous décidons de mourir ensemble, vendredi nous avalerons chacun un tube entier de somnifères pendant un de ses rares moments de lucidité, il s'en ira ainsi comme un homme. Je l'accompagnerai dans son dernier voyage je ne peux pas le laisser partir seul, que ferait-il si loin sans moi pour m'occuper de lui ? J'ai terriblement peur de la mort mais j'ai encore plus peur de la vie sans lui, j'espère que j'aurai le courage nécessaire au dernier moment. Quand vous lirez ceci nous serons en route pour le pays d'où personne ne revient, pensez quelquefois à nous.
Christopher je ne quitterai jamais, je t'aimerai toujours. "

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 Quelques gouttes d'émotion pure  perlent discrètement au coin de mes yeux malgré moi, ma femme s'inquiète:       

 - Mais tu pleures ?

 Je l'ai prise dans mes bras et l'ai serrée très fort après lui avoir tendu le carnet, je ne pouvais pas parler. Cinq minutes plus tard elle était en larmes à son tour.

L'après-midi, au rayon poissonnerie du magasin Leclerc je discutais du drame de Callian avec Mathieu, Sofiane et Sylvie, un gros homme rougeaud s'est mêlé à notre conversation:

- Il faut vraiment être con pour se suicider ainsi.

Je lui ai répondu :

- Il n'y a pas plus jouissif que d'être pris pour un con par un imbécile.

Il est parti fâché en me maudissant.

 
Demain je descendrai jusqu'au petit pont romain et jetterai deux roses dans la rivière en souvenir de Maria et Christopher, ce sont eux qui ont écrit la plus  belle histoire d'amour qui se puisse imaginer, elle s'est terminée par "je t'aimerai toujours " comme le voulait Maria.

 La petite femme m'a infligé deux belles leçons sans le savoir :

- humilité pour l'écrivain

- humanité pour l'homme …

et suscité des questionnements propres à  alimenter un gros cafard :

- Y a-t-il quelque chose après la mort, si oui où va-t-on, Maria accompagnera-t-elle éternellement son beau Suédois, celui-ci aura-t-il retrouvé son intégrité intellectuelle, retournerai-je à la poussière dont toute chose est issue ou survivrai-je ad vitam aeternam?

En attendant les réponses je vais m'auto-médicamenter pour soigner ce blues existentiel. Le seul remède connu contre cette indisposition psychologique passagère est la dégustation d'une bonne grosse côte de bœuf grillée au feu de bois servie avec des frites bien grasses, le tout arrosé d'un ou plusieurs verres de bourgogne ou de bordeaux, en compagnie de quelques vieux potes prompts à dire du mal de gens que l'on connait. ( si on ne dit pas du mal des gens que l'on connait de qui  va-t-on dire du mal ?)

Bordeaux, bourgogne? encore une interrogation angoissante.

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 Un mois plus tard  je ressors le carnet et relis plusieurs fois la confession de Maria.  Je ressens tout d'abord le même trouble puis après avoir pris un peu de distance émotionnelle une anomalie m'interpelle. Le texte, bien que de diverses encres, semble rédigé en une seule fois sans rature ni faute, y compris les termes médicaux compliqués, je vous défie d'écrire : la maladie d'Al…..mer ou protéines am…..es  correctement du premier coup, essayez. Sans doute recopié après mise en forme et corrections il est trop parfait pour ne représenter qu'un journal intime mis de côté  provisoirement et repris au gré des évènements comme il  paraissait l'être en première lecture.

 Bien sûr cela ne signifie pas  grand-chose mais la nuit suivante je reste éveillé, une phrase du message posthume tourne en boucle dans ma tête:

 "Il était si beau et il était à moi je n'aurais pas supporté qu'une autre me le prenne, j'aurais mieux aimé le voir mort."
 

Je commence à douter. Au début ce n'est qu'un jeu intellectuel, une hypothèse folle qui se transforme en une curiosité angoissante me déchirant le ventre, l'angoisse devient un besoin impérieux je n'en dors plus il faut absolument que je sache.

Ma recherche sur internet : Christopher Larksons peintre Paris obtient 409 000 réponses et une adresse quartier du Marais en 0,49 secondes.
 
Quinze jours plus tard je propose à ma femme un petit voyage en amoureux.
Notre fille s'occupe de la maison et des animaux, nous prenons le TGV à Saint Raphaël et montons à Paris (les gens du Sud "montent" à Paris alors que les Parisiens "descendent " à Cannes bien que sur une sphère il n'y ait ni haut ni  bas.) Après avoir joué aux homo touristicus près des monuments incontournables de la capitale nous abordons le quartier du Marais et nous improvisons  détectives…

 Je  suis terriblement excité par le résultat de notre enquête. En fait de couple  fusionnel le beau Christopher était plus couvert de maîtresses qu'un chien ne l'est de puces et Maria  lui pourrissait la vie en le poursuivant d'une jalousie morbide, non sans raison. Ils se sont donnés une dernière chance et ont déménagé pour le Sud de la France il y a trois mois.  A son départ Christopher était en pleine forme physique, il jouissait également de toutes ses facultés intellectuelles d'après le barman de son bistrot préféré qui lui procurait souvent des alibis foireux ne dupant personne. Ses retours au foyer après avoir caressé ses  conquêtes étaient souvent houleux comme on peut l'imaginer.

Dans le train qui nous ramène vers le sud, fort de ces nouvelles informations j'élabore une hypothèse:

- Maria voulait peut-être se suicider en entraînant avec elle son mari malgré lui, elle l'aurait drogué puis empoisonné pour se venger d'avoir été bafouée et opportunément profité de notre rencontre inopinée pour inventer une belle histoire où elle se donne le beau rôle en prétendant  mourir pour lui ?

Ma femme se moque ouvertement de moi:

- Mon pauvre homme on voit que tu ne connais pas les femmes, la réalité est sûrement bien plus monstrueuse et perverse, je vais te dire ce qui a dû se passer : Maria n'avait aucunement envie ni intention de mourir, elle a empoisonné son mari et simulé son propre suicide, je le sens depuis le début, mes intuitions me trompent rarement.

Je n'ose souligner sa mauvaise foi lorsqu'elle prétend avoir tout compris depuis le début, comme moi elle a été émue donc leurrée lors de la première lecture du carnet en cuir, elle  poursuit :

 - En partant de Paris tout était sans doute déjà calculé dans son esprit  afin de garder définitivement son mari pour elle seule, à sa manière. Elle écrit dans son journal : il était à moi, je n'aurais pas supporté qu'une autre me le prenne,  j'aurais mieux aimé le voir mort. J'ai retenu et appris par cœur  cette phrase incroyablement lucide qui devrait figurer sur la première page de la déclaration des droits de la femme.  Elle révèle enfin la révolte qui gronde face à la grande injustice dont est victime le sexe féminin.

 
Et là, épouse modèle mais militante, elle inspire profondément avant de m'asséner en apnée cet ahurissant morceau de bravoure qui me laisse sans voix :

- Vous autres grossiers machos imaginez naïvement qu'après avoir usé notre jeunesse à torcher vos marmots, à privilégier votre carrière au détriment de notre épanouissement personnel, à vous serrer dans nos bras pour vous consoler de vos échecs, de votre médiocrité, l'âge venant et notre beauté se flétrissant peu à peu, après avoir été successivement maîtresses, épouses, domestiques et même mamans de nos maris ingrats, nous allons tranquillement vous laisser partir faire les jolis cœurs et les beaux gosses avec une plus belle ou plus  jeune qui  profitera des fruits de tous nos sacrifices sans  avoir rien fait pour les mériter. C'est trop facile messieurs, vous  rêvez.  Plutôt vous voir  crever !

 
Elle reprend son souffle après cette belle envolée lyrique en hommage à la grandeur et décadence du sexe masculin, je profite de l'accalmie pour suggérer timidement  des circonstances atténuantes:

- Tu n'exagères pas un peu ? Christopher témoigne d'un grand amour en acceptant de quitter Paris pour et avec elle.

- Pas du tout, Maria se doutait bien que déménager sous prétexte de se donner une dernière chance ne faisait que déplacer le problème et cachait un piège. Christopher s'octroyait une bonne conscience à bon compte, un jour ou l'autre il l'aurait quittée et serait remonté à Paris libéré de son boulet en la laissant ici ! Cette perspective  étant insupportable, en arrivant à Callian elle a commencé à le droguer pour accréditer la thèse d'une maladie dégénérative.

- Mais pourquoi m'avoir donné son journal intime, je n'ai rien à voir avec eux ?

- Votre rencontre a été l'olive  sur son anchoïade, peut-être même avait-elle repéré le but de tes promenades et s'est-elle placée sur ton chemin, tu es tellement prévisible. Le carnet qu'elle t'a remis en espérant faire le buzz grâce à ta notoriété régionale l'aurait fait passer, après son suicide raté, pour une héroïne digne d'une tragédie grecque, c'était bien joué. Même le coup de la crise de démence où Christopher lui aurait serré le cou, le foulard censé cacher les traces d'étranglement, la difficulté de déglutir sonnent juste, du grand art pour se faire plaindre.  Le jour du drame elle l'a empoisonné, a avalé également des somnifères en croyant avoir tout prévu, elle comptait sur l'arrivée de la femme de ménage pour être sauvée, n'oublie pas qu'à ce moment elle était la seule a être encore en vie.

- Pourtant elle est morte.

- Malheureusement quelque chose n'a pas  fonctionné parfaitement dans la mise en œuvre de son crime parfait, peut-être tout simplement un retard de la femme de ménage, une insuffisance cardiaque préexistante insoupçonnée ayant pu déclencher un malaise mortel pour quelques cachets de trop, que sais-je ?

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 Tout ceci n'est qu'hypothèse, Maria était peut-être un ange, probablement un démon, certainement un mélange des deux comme nous le sommes tous ce n'est pas à moi d'en juger,  par contre je crains qu'elle n'ait inculqué de mauvaises idées à une certaine féministe  prompte à se radicaliser qui conclut perfidement  :

-" Moi je ne commettrai pas ces erreurs de débutante, je ne laisserai rien au hasard !"

 
Eberlué je crois avoir mal compris et lui demande de répéter cette dernière phrase en précisant si les verbes commettrai (s) et laisserai (s) sont, dans son esprit, au conditionnel ou au futur, elle répond avec gravité.

- Mes verbes sont au futur. Je ne commettrai pas d'erreur lorsque je te tuerai dans un avenir plus ou moins proche sois-en certain, je préparerai mon affaire d'une manière plus professionnelle, j'ai déjà quelques idées… J' me comprends ! Tu croyais que je n'avais pas remarqué ton manège avec cette petite merdeuse de T……

 
Coupable on tient toujours prêtes les réponses adéquates mais lorsqu'on a rien à se reprocher il est difficile de trouver les mots justes pour se défendre, tous les innocents vous le diront.  Après quelques dénégations maladroites j'ai l'horrible sentiment de n'avoir pas su plaider efficacement pour obtenir le non-lieu que je méritais pour cette accusation précise.
 En réalité entre vous et moi elle n'a pas ciblé le bon objectif, ce n'est pas de la jolie T…. dont elle doit se méfier, ses intuitions la trompent quelquefois tout de même hé hé !

   Désormais prudent, je préfère  me faire ma cuisine, me servir mes boissons moi-même
 

et

 

 si vous apprenez un jour que je suis atteint de démence ou que je me suis suicidé,

 

 de grâce n'en croyez pas un mot.

 
 




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Pour obtenir un exemplaire dédicacé, un contact, accéder aux liens marchands :

Site web : http://serge.boudoux.fr
 
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mercredi 14 mars 2018

Cancer gentil cancer













Cancer, gentil cancer




Ave Cancer morituri te salutant
 « Salut Cancer, ceux qui vont mourir (ou pas) te saluent ».

Cancer tue !
Qu'enserres-tu ?
Quand cerf tue
Quand sers-tu ?
Quand serf tue
Quand serres tuent.
Quand serres-tu ?
Khan, serres-tu ? (Khan : souverain mongol)
Khan sers-tu ?
Camp, sers-tu ?
Kant, serres-tu ?  (Kant : philosophe allemand)
Kant, sers-tu ?
Kant, erres-tu ?
Qu'en sais-tu ?
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Tout d’abord régalons-nous de quelques citations se rapportant au problème abordé, le sujet est trop grave pour ne pas s’en moquer : 
- La recherche a besoin d'argent dans deux domaines prioritaires : le cancer et les missiles antimissiles. Pour les missiles antimissiles, il y a les impôts. Pour le cancer, on fait la quête.


- Le cancer ça coûte cher et on n’est même pas sûr de mourir guéri.

- Quand il lut quelque part que fumer provoquait le cancer il cessa de lire.

- Horoscope
    Balance : perdez du poids
    Poissons : vous nagez entre deux eaux
    Cancer : faites un dépistage

Dans les années 80 Desproges ironisait :
- Moi le Cancer je ne suis pas pour ! Il avait raison d’être contre, il en est mort.
 Aujourd’hui cette maladie est si commune qu’elle en est presque banale, sans être devenue bénigne pour autant :
- Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés (La Fontaine, parlant d’une autre peste).
 Pour parodier Séguéla affirmant :
- Si à 50 ans on n’a pas une Rolex c’est qu’on a raté sa vie (montrant ainsi une curieuse conception de la syntaxe et d’une existence réussie), on pourrait presque dire :
- La personne ne s’étant pas découvert de cancer à 70 ans a mal cherché.

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Jocelyn

Lorsque mon médecin m'appela après une biopsie pour me proposer d'acheter ma maison en viager je commençai à me douter de quelque chose. (Vieille plaisanterie incontournable.)
  Un PSA dosé à 13 me donnait déjà depuis quelque temps une autorité indéniable sur mes voisins, petits joueurs qui ne dépassaient pas 4 ou 5.
" PSA à 13 ça sent mauvais " m'avait dit mon généraliste, pourtant je n'avais aucun symptôme aucune douleur ni gêne, peut-être se trompait-il ?
Huit jours plus tard les résultats tombèrent, moi qui n'avais jamais réussi aucun examen cette fois j'étais comblé, reçu haut la main avec mention bien : cancer de la prostate avec score de Gleason 3 + 4, donc moins agressif que ceux notés 4 + 3 bien que les résultats des additions soient identiques.

L'urologue m'annonça avec un brin de sadisme :
- Nous allons vous castrer chimiquement puis vous aurez droit à deux mois de radiothérapie, vous paraîtrez sans doute vingt ans de plus que votre âge d'ici peu et serez impuissant quelque temps mais rassurez-vous c'est normal !
Vingt ans de plus que mon âge c'est normal ? En bon négociateur à la retraite j'ai proposé un marché :
- On coupe la poire en deux ? Dix ans de plus que mon âge me parait suffisant, et s'il ne me restait que trois mois à vivre pourrais-je avoir juin, juillet et août ?
 Vous n'allez pas me croire mais l'annonce de cette maladie ne me faisait ni chaud ni froid, j'ai survécu à bien d'autres catastrophes alors ce n'est pas un cancer qui allait me terroriser ou faire disparaître mon sens de l'autodérision !
 J'écris sciemment : un cancer et non pas mon cancer comme le nomme la plupart des gens mordus par la bête.
Utiliser le possessif mon m'exposerait à être atteint du syndrome de Stockholm, phénomène psychologique observé chez des otages ayant vécu durant une période prolongée avec leurs geôliers et qui ont développé une sorte d'empathie, de contagion émotionnelle vis-à-vis de ceux-ci selon des mécanismes complexes d'identification et de survie (d’après Wikipédia).
Il est important de bien identifier et qualifier ses ennemis. Je n'ai rien de commun avec ce parasite, il ne m'appartient pas il n'est pas mon mais un. On dit : un étranger et non mon étranger et comme je n'ai pas de sympathie particulière pour les immigrants illégaux souhaitant abuser de mon hospitalité j'utilise le pronom indéfini un, j'éviterai ainsi de m'attacher à lui et si je le traite avec brutalité et mépris peut-être partira -t-il vers d'autres corps plus accueillants.


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 Josie la Tumeur.
 Je vivais au chaud, entourée de milliers d'amies. Elles faisaient leur boulot quelque temps et disparaissaient rapidement, moi je poursuivais mon bonhomme de chemin en voyant bien que je n'étais pas comme les autres, j'étais immortelle et heureuse de l'être.
Seule de mon espèce je m'ennuyais un peu alors j'ai décidé de me diviser.  Contrairement à la majorité des organismes vivants qui utilisent une solution complexe appelée reproduction sexuée, nous, humbles cellules, utilisons la scissiparité pour nous reproduire, fonctionnement simple et efficace.
Les hormones de notre sympathique hôte me nourrirent un peu au début mais au bout de quelques jours de division intense nous étions déjà un groupe important, soudé et très affamé.
Nous avons créé alors notre propre réseau d'alimentation que les humains appellent angiogenèse.
Je n'avais pas d'animosité particulière à l'encontre de celui chez qui nous étions installées, après tout il nous faisait vivre. Je m'évertuais à expliquer aux jeunes que sa mort serait la nôtre, pour vivre heureuses il valait mieux vivre cachées disais-je, mais les cellules adolescentes se croient toujours plus intelligentes que les anciennes, elles sont malignes mais peu futées. Nous avons pu retenir un temps les plus agitées d'entre nous, les métastases, mais elles voulaient absolument voir d'autres paysages, à force d'agitation il arriva ce qui devait arriver, on découvrit notre existence, ce fut le début de nos ennuis.

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 Jocelyn.
 Je dois le reconnaître, ma surprise fut totale. Pendant des années j'ai suivi à la lettre toutes les instructions du corps médical, mangeant des quintaux de tomates et très peu de viande rouge, buvant des hectolitres de jus de grenade, me tenant à l'écart du tabac, de l'alcool et de toute drogue, saupoudrant ma nourriture avec du Curcuma, marchant une heure et demie chaque jour et surtout veillant à respecter les 21 éjaculations mensuelles consécutives à autant de pénétrations (les émissions séminales dues à la masturbation ne comptent pas), respectant ainsi scrupuleusement les préconisations des pervers en blouse blanche.
 Vingt et une éjaculations mensuelles, c'était déjà trop peu et frustrant pour moi, vaillant descendant d'homo-erectus le bien-nommé. Maintenant que voulez-vous, s'il faut absolument réduire quelque temps ma libido pour mon traitement je me délesterai de quelques maîtresses, tant pis, soyons raisonnable la santé avant tout ! De toutes façons la castration chimique m’a bien calmé. Les bouddhistes ont raison : toute souffrance existentielle procède du désir, je n’ai donc plus aucune souffrance autre que physique.

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 Josie la Tumeur.
 Je suis inquiète, malgré tous mes efforts pour rester cachée la prostate a secrété l'antigène spécifique appelé PSA, révélateur de ma présence.
Suite à cela Jocelyn mon bienfaiteur a passé une IRM, je crois que la machine m'a vue distinctement, huit jours plus tard une aiguille a arraché des petits bouts de tissu mou tout autour de moi, je me suis fait toute petite mais après quelques tâtonnements elle a piqué juste là où il ne fallait pas.
 Heureusement la scintigraphie qui suivit ne révéla pas de migration de métastases, on avait réussi à les raisonner, peut-être va-t-on nous laisser tranquilles mais je crains la suite…
 Quelques semaines plus tard une injection de Decapeptyl m'a anesthésiée, on ne peut pas dire que ce fut douloureux mais la testostérone qui contribuait à ma croissance a totalement disparue, l'angiogenèse se bloque alors je me suis mise en hibernation en attendant des jours meilleurs.

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 Jocelyn.
 C'est très amusant, lorsque que j'annonce :
-  J'ai un cancer de la prostate
Mon interlocuteur, quel qu'il soit, prononce toujours les deux mêmes phrases :
- Oh, merde !
Puis
- Mais c'est un cancer qui se soigne bien.
Tu parles s'il se soigne bien, absence de testostérone et irradiation commencent sérieusement à me fatiguer, j'ai vieilli je ne me reconnais pas, le plus déstabilisant reste cette impression de vivre dans le corps d'un autre mais la situation est réversible. Mon charme irrésistible reviendra, m’a-t-on dit, comme au temps de mon ignorance du problème.
En ce temps-là je m'entendais carrément bien avec la bête, aucun signe, aucune douleur, finalement le remède est pire que le mal, c'est en cela qu'on le reconnait.
Pour me consoler je me dis que cela aurait pu être plus ravageur, un AVC ou un infarctus laisse parfois certaines séquelles difficiles à digérer.

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 Josie la tumeur
 Je crois que je ne passerai pas l'hiver. Les rayons sont terriblement destructeurs, j'ai commencé à maigrir, je ne me sens pas très bien, j'ai peur de la mort. J'espère qu'il y a un paradis pour les gentils cancers ayant très peu péché.

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Ce cancer a toujours maudit sa destinée
Et quand vient le moment de mourir il faut voir
Cette tumeur en pleurs " c'est là que je suis née
Je meurs sur ta prostate et j'ai fait mon devoir ".


Elle a fait son devoir c'est-à-dire que oncques
Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut
Aucun rêve de lune aucun désir de jonque
Voguant sur des artères dans un corps inconnu

Toutes sont ainsi fait, vivre la même vie
Pour cellules malignes cela n'est point hideux
Ce cancer n'a qu'un but : vivre en mangeant ma vie
Nous verrons à la fin qui gagnera des deux.


Pauvre cancer avant d'atteindre ta chimère
Ta membrane rompue, du sang plein ton noyau
Toi qui n'a jamais eu de ta vie père ou mère
Tu mourras comme un chien ou bien comme un idiot


 Craignez donc les humains tumeurs terrifiantes
Jamais vous ne pourrez vivre plus longtemps qu'eux
Ils savent désormais vous transformer en fiente
Les bourgeois sont contents d’éliminer les gueux !

 Texte inspiré de Jean Richepin

Mort, où serait ta victoire ?



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Cette histoire est extraite du livre vendu sur Amazon, Fnac, Cultura etc...


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