lundi 13 août 2018

Les Tribulations d'un Lyonnais en Provence. Histoire n°18







 LE HUITIEME MEDECIN !

Après avoir lu cette histoire vous ne verrez plus jamais le monde médical du même œil.




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Il se trouve que je suis né avec une petite anomalie cardiaque, trois fois rien, mon cœur s'arrête parfois.

Revenons un peu en arrière.
Une nuit de novembre 1958, j'avais dix ans, mon cœur fit l'impertinent et décréta subitement, tel un syndicaliste français de base, un mouvement de grève sans concertation ni négociations préalables. (Que les syndicats se rassurent je me gausse uniquement des gens que j'aime bien.)
Après quelques secondes angoissantes, en syncope je fus projeté dans un lieu inconnu et enchanteur, un champ couvert de fleurs colorées et odorantes.
 Lorsque les pulsations reprirent spontanément, arraché contre mon gré à ce lieu paradisiaque je me retrouvai bêtement dans mon lit, désespéré et me répétant en boucle :
- Je viens de vivre un moment d'éternité.

A ce moment de l'histoire la narration parait bien banale, il s'agit d'un beau rêve pensez-vous.
Un beau rêve à quelques détails près : le lendemain j'avais acquis une mémoire monstrueuse, la capacité de lire une page complète en une fraction de seconde et d'autres particularités qui me valurent bien des déboires.
Cette mémoire était insupportable, je ne pouvais rien oublier. Toutes les plaques minéralogiques des voitures aperçues, tous les numéros de téléphone composés ou d'appels reçus depuis des mois, chaque mot lu, étaient définitivement gravés dans ma mémoire, faisant de moi une vraie bête de foire.

 Je ne parlai jamais à personne de cet incident qui se reproduisit régulièrement, c'était mon secret.


Lyon, an de grâce 1974.

Âgé de  26 ans, mon cœur, cet impertinent qui ne bat que pour vous jolie lectrice, se met toujours en grève quelques secondes de temps à autre, me procurant ainsi de très belles syncopes qui me sont maintenant habituelles.
Ayant frôlé un accident de voiture je consultai enfin.
Après moults examens le corps médical unanime décida de me faire bénéficier d'une toute nouvelle découverte, le pacemaker.
 L'opération étant réputée bénigne un cardiologue implanta donc sous la peau de mon pectoral droit, reliée à mon cœur par une sonde intraveineuse se terminant en une électrode métallique, une pile au lithium de la dimension d'un paquet de gitanes dite pile sentinelle , ce qualificatif étant dû à sa capacité à  ne se déclencher qu'au-dessous d'une certaine fréquence pour relancer " la pompe". 
Au début l'intervention d'une force étrangère forçant le cœur à taper plus vite est très désagréable, puis on s'habitue et finalement on est rassuré, même ravi d'être devenu " bionique". Une carte d'invalidité définitive me fut délivrée par un organisme officiel nommé la Cotorep.

Huit ans plus tard le cardiologue changea la pile qui s'usait puisqu'on s'en servait (clin d'œil à tous ceux qui se crurent obligés de m'asséner inlassablement la plaisanterie d'usage que les moins de trente ans ne peuvent pas apprécier à sa juste valeur: la pile Wonder ne s'use que si l'on s'en sert, les cons !)

Dix ans plus tard nouveau changement par le même médecin. L'implant magique était plus discret maintenant grâce aux progrès technologiques et me valait un joli succès et une fouille au corps à chaque voyage en avion, interdiction m'étant faite de passer sous les portiques de détection.

En pleine forme, très sportif et dans la force de l'âge : course à pied, haltères, aérobic, musculation j'avais oublié mon pacemaker.

Lors d'une visite de contrôle mon fidèle cardiologue qui vieillissait plus mal que moi m'annonça qu'il convenait de prévoir d'urgence un remplacement, l'objet miraculeux censé soutenir mon cœur étant vide de son énergie, sans doute depuis plusieurs semaines.

Vous allez me trouver soupçonneux mais il me sembla voir briller dans ses yeux des lueurs peu médicales : supplément d'honoraires, marge sur implant etc…

Je demandai donc à une équipe médicale indépendante une nouvelle évaluation de mon système cardio-vasculaire.
Le résultat fut sans ambiguïté mais pas sans surprise :
- Pourquoi vous a-t-on implanté ce pacemaker dont vous n'avez pas besoin ?
Mes syncopes avaient totalement disparues malgré la pile hors d'usage, d'après ces jeunes médecins elles étaient vraisemblablement causées par, je cite :
- une altération du faisceau de His congénitale bien stabilisée maintenant, considérée comme mineure, ne nécessitant aucun appareillage particulier.


Mon cardiologue, chagrin de la remise en cause de son bisness me retira l'objet litigieux mais grognon laissa dans mon corps la sonde, fin câble métallique recouvert de plastique de 30 cms de long.
Il ne savait comment extraire ce fil intégré au muscle cardiaque depuis si longtemps.

Je l'oubliai et la vie continua.

Ne vous impatientez pas, le drame couve, il ne saurait tarder. Vous avez vraiment pris de mauvaises habitudes.


Début 2008.

Depuis plusieurs jours je ne me sens pas bien, quelque chose cloche dans la belle mécanique de mon beau corps ( si on ne fait pas sa pub soi-même…).
Je traite cette indisposition par le mépris, avec un cousin nous entreprenons de faire le parcours de santé dans le bois contiguë au stade du défens. Mens sana in corpore sano. Ce parcours est parsemé d'agrès de toutes natures. Arrivés aux barres asymétriques je tente un rétablissement osé et cogne violemment mon torse à une poutre.

Dans la nuit une douleur thoracique atroce déchire ma poitrine avec une sensation d'étouffement qui s'amplifie à chaque respiration.

Vous voilà rassurés ? la tragédie est là, ouf !


Tout ce qui suit est une pure réalité.


Premier médecin :

Le lendemain je pars à pied, 800 m, chez mon généraliste à qui je raconte mon histoire, il m'ausculte sommairement et conclut à une petite déchirure musculaire, je repars avec un tube de doliprane.

Trois jours après, je ne vais pas mieux, il écoute mes poumons " qui crépitent joyeusement"  annonce-t-il, " rien de grave, un peu d'emphysème. "


Second médecin.

Je vais mal, rendez-vous est pris chez un pneumologue de Fréjus. La côte d'Azur n'étant pas vraiment un désert médical l'accès aux divers spécialistes n'est ni long ni compliqué.
 Je lui raconte mon histoire et signale que je suis porteur d'une sonde, information sans intérêt pour lui, il la balaie d'un revers de main. Le brave homme pense que j'ai une côte cassée.

 Quelques jours plus tard sur ma demande il se décide à me faire passer une IRM qui révèle des séquelles d'embolie bilatérale, en clair des caillots ont bouché mes deux poumons, ce qui entraîne la mort immédiate dans 50% des cas. Affolé il me prescrit des anticoagulants et m'adresse à une cardiologue pour un second avis.


Troisième médecin.

La cardiologue me reçoit en urgence quatre heures plus tard. Auréolée du titre d'ex chef de clinique du CHU d'une grande ville du sud-ouest, elle écoute mon histoire d'une oreille distraite et me fait une piqûre intramusculaire d'anticoagulant censée parer au plus pressé en attendant l'effet des cachets.


Je vais de plus en plus mal, chaque après-midi sur le coup des 16 heures une grande fièvre me fait claquer des dents.


Quatrième médecin.

Des analyses faites par un laboratoire spécialisé montrent que les caillots responsables probables du problème se forment spontanément suite à une anomalie génétique. Le médecin du labo m'explique gravement qu'il convient d'alerter mes frères et sœurs vraisemblablement nés avec la même tare.

Ma première règle de vie étant : ne jamais croire une information sans l'avoir vérifiée par moi-même, je lis les conclusions jusqu'au bout, lecture édifiante. Une petite ligne signale que les résultats sont totalement faux si le sujet est traité par anticoagulants.

- Vous auriez pu me dire que vous étiez sous traitement, ronchonne le médecin privé de ce patient anormal, déçu comme un enfant à qui on retire un jouet.

J'ose suggérer :

- Vous auriez pu me le demander.


J'absorbe scrupuleusement les cachets d'anticoagulant prescrits mais je vais de plus en plus mal, je m'essouffle à chaque pas, je me sens mourir, j'ai pris vingt ans en trois mois.


Cinquième médecin.

Sur la recommandation d'un voisin anesthésiste un grand pneumologue Lyonnais me reçoit en priorité. Il me garde dix minutes en consultation : cinq pour tenter désespérément de soigner son ordinateur défaillant, deux pour écouter mes poumons avec un antique stéthoscope, deux pour me conseiller de poursuivre mon traitement anticoagulant et deux pour demander à sa secrétaire de me présenter ses honoraires, cent euros.
 Oui je sais le total fait onze minutes, je voulais voir si vous suiviez et vous prouver que la médecine n'est pas une science exacte.


Je ne peux plus monter mes escaliers.

Sixième médecin

Un autre voisin m'a conseillé son généraliste qu'il considère comme génial.  C'est une remplaçante qui me reçoit, pour faire baisser ma fièvre j'ai droit à huit jours d'antibiotiques, miracle je me sens mieux. Quinze jours après la fin des antibiotiques la fièvre revient.

Dix jours plus tard je ne peux plus lever mes bras pour me doucher, je suis trop fatigué, je ne peux plus porter mes petits-enfants sur mon dos, chaque soir je me prépare  à mourir dans la nuit. J'ai noté sur un registre mes instructions et mes dernières volontés.


Septième médecin.

Le généraliste génial est là. Il m'écoute attentivement, (on rencontre parfois des médecins qui écoutent leurs patients, certains même les entendent  mais l'espèce est en en voie de disparition)  décroche son téléphone et appelle Monsieur M.. pneumologue à Draguignan, ce gars-là va me sauver la vie.


Huitième médecin.

Monsieur M.. pose les bonnes questions et comprend immédiatement ce qui se passe. Il ne prend pas de précautions oratoires:

- Trois sortes d'embolie peuvent vous tuer : les caillots circulants, les embolies médicamenteuses et les emboles dus à une infection.
 La sonde de votre pacemaker étant un corps étranger les bactéries trouvent là un refuge idéal pour se développer et former des colonies.
 Le choc dû au coup dans votre poitrine a vraisemblablement libéré des sacs bactériens qui sont partis dans votre circulation sanguine et sont restés bloqués dans vos poumons, heureusement. Ils auraient très bien pu déclencher un infarctus ou un AVC. Le problème maintenant est que cela peut recommencer d'un instant à l'autre
. Risque supplémentaire un choc septique dû à l'infection peut vous tuer à tout moment et dernier impératif absolu, stoppez immédiatement les anticoagulants, ils peuvent être à l'origine d'une hémorragie incontrôlable. 


J'arrête là cette histoire, sachez seulement que je fus opéré en extrême urgence à La Timone ( Marseille ) par une des rares équipes françaises capable d'extraire d'un corps humain vivant un câble d'acier présent là depuis près de 35 ans.

Ils me le retirèrent difficilement mais ne purent accéder à l'électrode de 4 mm2 enkystée dans mon cœur.

 Il s'avéra que cette sonde était  infectée par quatre races différentes de bactéries, j'hébergeais un vrai zoo, je restai donc six semaines sous perfusion de Vancomycine, antibiotique de dernier recours.

Le chirurgien me confia que près d'un pacemaker sur deux était implanté inutilement. 

Si votre garagiste répare mal votre voiture vous changez de garagiste ? si votre médecin  n'améliore pas votre état consultez-en un autre, conseil d'un vieux patient impatient et si on veut vous implanter un pacemaker ou vous enlever la prostate en un tour de main demandez un second, voire un troisième avis avant d'être mutilé.


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A cette époque j'avais créé avec un ami Cannois une société de marchand de biens qui achetait des petits appartements pour les revendre après rénovation. J'en assurais toute la partie administrative.

Mon associé, les yeux humides, me confia un jour qu'il s'était fait beaucoup de soucis. J'étais très ému de constater l'intérêt et l'affection qu'il me portait. Je me faisais des illusions, il me répéta:

- je me suis fait un de ces soucis, en cas de malheur qui aurait fait les papiers ?

Quelle leçon d'humilité ! " Vanité des vanités, tout est vanité " dit l'Ecclésiaste

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Aujourd'hui je vais merveilleusement bien, merci. On vit très bien avec une électrode fichée dans le cœur, et contrairement à ce que prophétisait le pneumologue, grâce à mes randonnées  j'ai retrouvé l'intégralité de mes capacités respiratoires réduites par les embolies.

Je ne sais pas comment vous auriez réagi, moi j'ai appelé les six premiers médecins pour les traiter d'incompétents, leurs excuses embarrassées m'ont fait du bien et peut-être vont-ils enfin apprendre à écouter …On peut toujours rêver ! En tous cas il me semble que la santé est un bien trop précieux pour être confié à ceux qui ne sont pas sourds mais ne veulent rien entendre. 


Hier chez ma coiffeuse je suis tombé sur un petit bouquin expliquant que nous avons tous un ange gardien guérisseur. Notre environnement paranormal doit être très encombré car beaucoup de médecins emplumés circulent continuellement et invisiblement autour de nous parait-il.
L'auteur du livre a l'air de bien connaître le fonctionnement de nos Séraphins thaumaturges,  manifestement il discute souvent avec eux grâce à une ligne directe avec le ciel. Il convient, prévient-il, de les prier trois fois pour espérer leur intervention.

 Je me demande ce qu'ils peuvent bien faire pendant les deux premières prières, ils dorment, jouent aux cartes avec les copains ou savourent notre soumission? et si on ne les prie pas, ils s'en foutent ? Alors là-haut c'est comme ici-bas il faut supplier pour être entendu ?

Bon dans ce cas je vais rester encore un peu dans notre vallée de larmes.

Août 2018.

Transféré par les pompiers à l'hôpital de Grasse pour douleurs dans la poitrine je suis rentré chez moi de ma propre initiative après quatre jours sans diagnostic ni traitement.. Ma cardio a réglé le problème.
Croyez-le ou non, la situation hospitalière s'est encore dégradée.  Il n'y a même plus de médecins pour se tromper. Ce n'est pas plus mal, au moins ils ne pourront pas me tuer...

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Cette histoire est extraite du livre :





 Pour un exemplaire dédicacé, un contact ou accéder aux liens marchands :



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