samedi 7 juillet 2018

Les tribulations d'un Lyonnais en Provence : Histoire n° 15


 

La recluse du vieil Antibes.

 

 

Paul, un vieil ami à moi presqu'un frère, habite un quartier chic d'Antibes depuis une vingtaine d'années.
 Il est cité et présenté par celles et ceux qui le connaissent comme le spécimen du mari modèle.
Marié depuis 45 ans avec Thérèse pour laquelle je n'ai pas une estime incommensurable chaque matin il fait les courses, ramène une rose en gage d'amour immortel à son épouse, passe l'aspirateur, de plus il jouit depuis toujours d'une réputation de fidélité et de vertu absolues.
 Aux yeux de tous par rapport à lui Saint Augustin ou Jean-Paul Deux étaient de grands débauchés.
Cette quasi sainteté n'est pas sans générer des comparaisons pas forcément flatteuses pour ceux qui pâtissent d'une notoriété plus douteuse, suivez mon regard dans le miroir.

Un jour, il m'annonça d'un ton de commandement inhabituel:

- Je t'emmène " faire un tour " dans le vieil Antibes.

Après avoir longé les remparts nous sommes arrivés sur la jolie placette du Safranier, et avons descendu les petites ruelles étroites et moyenâgeuses. Avec leur  pavage de pierre, leurs murs tapissés de bougainvilliers colorés de plantes grimpantes et odorantes, les ombres, le silence, on a vraiment l'impression d'être projeté dans un autre monde plusieurs siècles en arrière. J'adore !
La vérité me force toutefois  à reconnaître qu'il y a bien quelques crottes de chiens au sol et une odeur d'urine persistante dans l'air mais j'ai décidé de ne voir que le bon côté des choses.

 

Dans un discret renfoncement Il a sonné à une vieille porte en bois cloutée percée d'un petit judas grillagé, après un léger bourdonnement et un bruit sec la porte s'est entrouverte, sans doute actionnée par un mécanisme invisible.

Un petit chemin avec des pas japonais menait à une maisonnette basse. Sous un arbre de Jérusalem planté devant la terrasse une femme était assise dans un fauteuil en osier, je l'appellerai Emmanuelle pour la circonstance.
Il était difficile de lui donner un âge, peut-être cinquante ou cinquante cinq ans, les femmes d'aujourd'hui ne vieillissent plus. Son physique ne m'a pas laissé une impression inoubliable mais il se dégageait d'elle, je ne sais pourquoi je l'ai ressenti ainsi, une grande tendresse.

 

Mon ami l'a embrassée sur la bouche en disant :

- Bonjour mon cœur.

Il s'est tourné vers moi, très cérémonieux :

- Emmanuelle, je te présente mon ami Serge l'écrivain dont je t'ai déjà parlé, Serge voici Emmanuelle, l'amour de ma vie.

Un silence embarrassé s'installa, je ne comprenais pas ce qui se passait, j'ai pourtant l'habitude des situations ambigües mais imaginez que vous découvriez que le Pape a une maîtresse.
 Dans l'histoire, de nombreux souverains pontifes en eurent plusieurs, mais c'était il y a longtemps on en a perdu l'habitude et maintenant souvent  les religieux préfèrent les jeunes garçons.
Les femmes sont moins harcelées par les curés de nos jours, peut-être un Evêque ou un Cardinal de temps à autre taquine -t-il encore un peu quelque bourgeoise, mais cela reste très marginal…

 

Emmanuelle me regardait, des larmes coulaient lentement de ses yeux.

 D'une petite voix douce elle a prononcé ces mots qui sont restés gravés dans mon esprit :

- Je suis trop heureuse, depuis toutes ces années c'est la première fois que je sors de l'ombre.

 Mon ami agacé  a demandé sèchement:

- Pourquoi pleures-tu? C'est bien ce que tu voulais, non ? tu n'es jamais contente !

 

Gêné, je suis resté muet. Vous savez que je ne suis pas le dernier à me moquer de mes contemporains et de moi-même, mais là je ne savais que penser.
 J'avais envie de la serrer dans mes bras pour la consoler du mal que cet homme lui faisait, manifestement sans s'en rendre compte.

Nous avons bu un café corsé accompagné de navettes provençales, biscuits oblongs à l'anis, parlé de tout et de rien, Emmanuelle jetait de petits regards inquiets vers mon ami.

 

Lorsque nous sommes repartis Paul m'a expliqué:

 

- " Emmanuelle et moi sommes amants depuis une dizaine d'années, j'ai toujours fait très attention à ce que personne ne se doute de cette liaison. Depuis le premier jour j'ai été clair avec elle, elle savait que j'étais marié et que je ne quitterai jamais Thérèse, cela lui ferait trop de peine.
 Je la vois chaque jour, je lui apporte une rose, j'ai organisé ma vie en conséquence.
 Tu es le seul à la connaître, elle avait envie d'exister un tout petit peu aux yeux du monde, alors comme je n'ai confiance qu'en toi je te l'ai présentée, ça va la calmer pour quelque temps, tu sais comment sont les femmes."

 

Il a réfléchi puis prononcé cette phrase dévastatrice:

- En fait, passés les premiers mois de grande passion une maîtresse pose plus de problèmes qu'elle n'en résout, aussi maintenant je me sers de l'une pour supporter l'autre, et vice-versa.

 

Je ne lui ai posé aucune question et fait aucun commentaire, je ressentais une grande culpabilité, toute l'hypocrisie, la lâcheté et l'égoïsme des hommes m'explosaient au visage. Cette femme  vivait ainsi ignorée de tous, recluse volontaire, combien de Noëls solitaires, de vacances désespérantes, d'attentes angoissées d'un appel qui n'arrive pas, d'anniversaires sans joie a-t-elle supportés ?

 

Ne vous trompez pas, je ne voudrais pas donner de leçon à qui que ce soit mais croyez- le ou non, j'ai espacé mes rencontres avec Paul, je l'aime moins parce que je m'aime moins. Pourquoi ai-je éprouvé une telle humiliation ? Il n'y avait aucune misère, s'il y en avait une elle n'aurait pas dépendu de moi, et Paul semblait se satisfaire de cette situation.

 C'est sûrement la faute à Saint-Exupéry, ne manquant par ailleurs pas une occasion de faire dire des conneries à son sale gosse de petit prince insupportable qui m'a toujours gonflé, il pontifiait :

- être homme c'est sentir la honte en face d'une misère qui ne semblait pas dépendre de soi.

 C'est sans doute ça, je suis un homme donc je sens bien la honte.

 

 Je pense souvent à Emmanuelle, à tous ceux et celles dont nous piétinons la vie, nous braves gens sûrs de notre bonne foi et en paix avec notre conscience assurant que nous n'avons rien à nous reprocher .
 
 
Quand revient le temps de l'automne
je pense à tout ce temps perdu
je n'ai fait de mal à personne
je n'ai pas fait de bien non plus
et j'ai ...le cœur gros.

 
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Et je vais me faire encore des copains:

 


- Mesdames méfiez- vous des maris trop parfaits! En particulier ceux qui vous offrent des roses sans raison…

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Cette histoire est extraite du livre :


 
 

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