samedi 26 octobre 2019

Un ami dans le coffre de ma voiture.







Un vrai ami.


Cette histoire horrible  est presque vraie.

Fayence (Var), novembre 2016.

Ahmed est caché dans le coffre de ma vieille Clio. J'espère qu'il se tiendra tranquille et restera silencieux, son enfermement volontaire ne devrait pas durer très longtemps.
 Complètement défoncé il dort à poings fermés et son téléphone est actuellement placé en mode avion pour éviter toute sonnerie intempestive
Samantha s'assied sur le siège passager, comme il est trop tard pour aller à l’hôtel nous partons vers notre coin tranquille habituel. On ne peut pas s'éclater chez elle, sa vieille mère ne veut pas me voir.
- Pas d'arabes chez moi, dit-elle.
Il y a bien longtemps que je ne me vexe plus des méchancetés imbéciles et racistes des " français de souche". Cette expression m'amuse beaucoup, plus français de souche que moi cela n'existe pas, je suis né à Fayence (Var) et n'ai jamais mis les pieds dans un pays du Maghreb ou de la péninsule arabique, mais glissons.
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Mon frère aîné Rachid et moi-même habitons encore chez nos parents dans la plaine. Mon prénom est Samih ce qui signifie " le bienveillant ". J'ai 19 ans.
Ce samedi, Ahmed qui réside au village près du château a insisté pour que je l'emmène à une soirée Drink and Drug chez des potes à lui, ils organisent une pendaison de crémaillère à l'occasion de leur installation dans une petite maison sur la route de Saint Paul en Forêt.
Une précision, n'ayant pas tout à fait 18 ans Ahmed ne peut pas conduire, il compte sur moi pour le véhiculer.
 Information mineure me direz-vous, détrompez-vous. Il se trouve que par suite d'une vitesse vraiment excessive mon permis m'a été retiré pour quinze jours depuis une semaine, alors pour lui faire plaisir j'ai pris le risque de conduire illégalement en prenant les petites routes. Je ne sais rien lui refuser, c'est mon meilleur ami depuis notre plus tendre enfance.     
   Pour le taquiner, je lui dis souvent : au nom du père, du fils et du simple d'esprit, Ahmed ! Heureusement il a le sens de l'humour.
Ordinairement je ne bois pas beaucoup d'alcool mais ce soir-là nous avions envie de faire la fête. Après de nombreux verres et quelques chichons, nous étions tous bien chauds.
Peu avant minuit Samantha, belle couguar de quarante-cinq ans, friande de jeunes hommes harmonieusement musclés m'a transmis ce texto tentateur :
- Viens vite, j'ai envie de toi !
Enfin une femme qui sait parler aux hommes, c’est assez rare pour être signalé. Son vrai prénom est Suzanne mais elle croit que se faire appeler Samantha est plus érotique, cela m'est égal je ne sors pas avec elle pour disserter sur la beauté comparative des prénoms.
Ahmed dormait dans un coin, inerte. Je l'ai pris sous les bras, l'ai déposé dans le coffre de ma vieille Clio et prévenu l'Impatiente :
- J'arrive
La réponse fut immédiate :
- Je t'attends.
Elle est toujours prête pour moi, c'est bien pratique.  Elle n'aime pas Ahmed, dieu sait pourquoi, peut-être parce qu'il a un look de faux islamiste : cheveux longs volant à tous les vents et barbe hirsute, alors j'ai caché mon ami dans le coffre. N'ayant pas le cœur à faire un détour et des kilomètres inutiles je le déposerai chez lui après !
 Dans l'état où il était je ne suis pas sûr qu'il ait vraiment compris ni réalisé où il se trouvait.
La Gourmande étant récupérée à Montauroux, nous avons pris la direction de Mons puis bifurqué sur Saint Cézaire. Cette route, souvent déserte la nuit, est dangereuse. Très étroite elle suit un ravin au fond duquel coule une rivière, la Sagniole.
Arrivés dans notre coin tranquille, un renfoncement taillé dans le rocher pour un stationnement d'urgence, nous avons fait nos affaires. J'aime bien Samantha, elle n'est pas compliquée et me donne toujours l'impression d'être un étalon extraordinaire, elle a tout compris des hommes. Ensuite nous avons fumé quelques chichons et j'ai voulu faire demi-tour pour la ramener chez elle.
En temps normal la manœuvre est déjà délicate, là mon esprit étant un peu obscurci par l'alcool, les étreintes brûlantes répétées et le shit j'ai trop reculé. L'arrière de la voiture a glissé doucement et nous nous sommes retrouvés dans le fossé, heureusement un petit arbuste nous a arrêté, la bouche noire du ravin était tout près, prête à nous avaler.
J'ai appelé mon grand frère avec mon portable, dix minutes plus tard il était là, très en colère contre moi :
- Tu es complètement fou de conduire sans permis.
Il a raison mais " vivre sans folie n'est pas très sage " dit le proverbe.
 Nous avons raccordé l'avant de ma voiture à l'arrière de son 4 x 4 au moyen d'une grosse corde et il a tiré. La Clio était quasiment sortie du fossé quand la corde a lâché, l'arbuste n'a pas résisté cette fois et la voiture a dévalé la pente sur une vingtaine de mètres, se fracassant sur un rocher.
Mon estomac était nauséeux et mes idées avaient sombré dans un brouillard épais. Nous sommes repartis en 4 x 4, par une nuit si noire que pouvions nous faire de plus ?
Mon frère a dit qu'il préviendrait les secours dès demain puis il a mis sa main sur la cuisse de Samantha qui ne l'a pas repoussé. Ayant le sens de la famille je ne serais pas opposé à un plan à trois mais pour aujourd'hui nous avons eu assez d'émotions.
Arrivé à la maison je me suis jeté sur mon lit tout habillé, un terrible mal de tête serrait mes tempes et m'interdisait toute pensée cohérente.
Vers les quatre heures du matin un horrible sentiment m'a réveillé, celui d'avoir oublié quelque chose d'important mais quoi ?
Ce n'était pas quoi mais QUI.
Nous avions oublié Ahmed dans le coffre de la Clio !
J'ai secoué mon frère
- Rachid, viens il faut retourner vers la Clio.
Il s’est tourné dans l'autre sens en me maudissant.
- Rachid réveille-toi !
Il a enfin ouvert un œil.
- On a oublié Ahmed, il est dans le coffre de la Clio
 Jaillissant du lit il a enfilé son jean :
- Ahmed est dans le coffre, qu'est-ce qu'il fait là ?
- Il s'était caché pour ne pas me gêner le temps que je baise Samantha, il faut lui porter secours, vite !
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Les ténèbres étaient encore très épaisses. A la lueur des lampes de nos portables nous avons vu le coffre ouvert et vide, Ahmed n'était plus là !
Après quelques minutes nous l'avons retrouvé inanimé à une dizaine de mètres de la voiture, sans doute éjecté par le choc, son I phone intact près de lui.
Rachid a tenté de tâter son pouls.
- Rien, il est mort !
J'étais affolé et horrifié, ma vie était foutue.
Mon frère a confirmé mes craintes :
- Conduite illégale en période de retrait de permis sous l'emprise d'alcool et de stupéfiants, homicide involontaire, ça va être cher, de plus la famille d'Ahmed va te couper en morceaux.
  Pour me sortir de cette galère il a pris la direction des opérations, lucide et efficace :
- Ni vu ni connu on va l'emmener loin d'ici et le mettre dans le lac de Saint Cassien pour brouiller les pistes. Mettons-nous d'accord sur une version officielle : tu l'as ramené près de chez lui, il t'a dit qu'il repartait avec des copains. Ta meuf Samantha pourra témoigner qu'il n'était pas avec toi, après je te couvre !
Nous avons remonté son corps avec difficulté et l'avons chargé dans le 4 x 4 enveloppé dans une couverture.
 Après une dizaine de kilomètres nous nous sommes garés juste après le pont qui enjambe le lac, il était presque cinq heures du matin. Après avoir remis l'I phone dans sa poche nous avons tiré le corps dans les bois avant de le déposer dans l'eau sous des branches.
Un portable en mode avion n'est pas détecté par les antennes, nul ne pourra donc retracer son itinéraire.
A huit heures sa mère inquiète m'a appelé.
- Samih, Ahmed n'est pas rentré, il est avec toi ?
Mon frère m'a arraché le téléphone des mains.
- Samih a déposé Ahmed à minuit et demi sur la place. Il devait repartir avec des copains.
Ahmed fut retrouvé flottant entre deux eaux vers dix heures.
Une autopsie fut réalisée : il avait de l'alcool et des stupéfiants en grande quantité dans le sang, un traumatisme crânien et de l'eau dans les poumons. L'heure de sa mort fut estimée à cinq heures du matin à une demi-heure près. Ses parents étaient effondrés.
Samantha témoigna en toute bonne foi : vers une heure moins le quart nous étions ensemble, seuls dans l'auto, ce qui accrédita ma thèse par laquelle j'assurais avoir déposé Ahmed près de chez lui un peu plus tôt. Mon frère et mes parents affirmèrent que nous étions rentrés at home après l'accident vers deux heures et n'avions plus bougé.
Mes alibis étaient tout simplement inattaquables.
L'épave de la Clio fut vendue cent € symboliques au propriétaire d'une casse automobile, à charge pour lui de la sortir du ravin.
Les policiers abandonnèrent l'enquête après quelques semaines, personne ne comprit jamais ce qui était arrivé à Ahmed.
Les adeptes de la théorie du complot imaginèrent un règlement de comptes plus ou moins mafieux lié à un hypothétique trafic de drogue.
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" L'autopsie est formelle - nous a confirmé son père - il avait de l'eau dans les poumons."
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Ce qui signifie qu'il est mort noyé et non des suites d'un choc dû à l’accident.  
 Il respirait donc et était encore vivant lorsque Rachid et moi l'avons jeté dans le lac !
Prions le ciel que personne ne sache jamais la vérité.
Pauvre Ahmed, je passe régulièrement chez ses parents pour les consoler, c'est quand même le moins que je puisse faire, non ? On parle de lui, cela leur fait du bien, souvent on regarde des photos ensemble.
- C'était un bon fils, dit sa mère.
Ils m'ont fait promettre de chercher à comprendre ce qui avait bien pu lui arriver, j'ai promis.
Chaque fois ils me remercient chaleureusement d'être venu.
Chaque fois je leur réponds :
- C'est bien naturel, c'était un vrai ami.
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Sans ses cheveux qui volent 
j'aurai dorénavant 
des difficultés folles 
à voir d'où vient le vent...


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Cette histoire est extraite du livre vendu sur Amazon, Fnac, Cultura etc...


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site web     http://serge.boudoux.fr 



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