samedi 23 novembre 2019

Un Envoûtement ?












Histoire vraie. 


Lyon, juin 1999.



Jean Marc.

Madame Ginette hochait la tête, manifestement soucieuse à la vue des cartes retournées : numéros 15, 12, 22, le Diable, le Pendu et le Mat.
Il faut reconnaître que le résultat de ce second tirage faisant suite au précédent au cours duquel beaucoup de cartes néfastes étaient sorties démontrait que la situation était préoccupante.
- Il n'y a plus aucun doute, vous êtes victime d'un envoûtement, me dit-elle.
J'en étais sûr, il y avait trop longtemps que cela durait.

----------

L'armée m'avait viré, stoppant net ma carrière de maître-chien, aucune femme ne voulait rester avec moi, je ne gardais aucun emploi pourtant mes potes buvaient autant que moi et conservaient le leur.
Bon je vous accorde que la tendresse n'est pas particulièrement mon point fort, mais une baffe de temps à autre ne peut pas expliquer que mes copines me quittent régulièrement après quelques semaines de vie commune et je me suis toujours bien tenu à mon travail de chauffeur de cars scolaires. Jamais un accident ni le plus petit accrochage à déplorer, même quand la bière et le cannabis obscurcissaient un peu mon esprit. Les enfants se tenaient à carreaux dans mon bus, je sais me faire respecter.
                                                                                                               
J'ai commencé à me douter de quelque chose lorsque mon dernier employeur, pourtant brave type, m'a licencié en me conseillant " d'aller voir quelqu'un" pour avoir donné un coup de boule à un ado mal poli. Les parents s'étaient plaints, on se demande comment les gens élèvent leurs gosses, si un jour j'en ai un il aura intérêt à marcher droit !

Aller voir quelqu'un ? Ne comprenant pas ce qu'il voulait dire j'ai sollicité l'avis de ma nièce qui interroge chaque matin son jeu de tarots avant de démarrer sa journée.
Gravement elle a réfléchi et m'a donné l'adresse de Ginette, spécialiste en voyance, désenvoûtement et retour d'affection, elle habite un petit appartement au rez de chaussée d'un HLM de la banlieue de l'est lyonnais.

A la première consultation elle m'a vendu un gros lézard empaillé, 150 €, en me conseillant de l'installer dans la boîte à gants de ma voiture, tête dirigée vers le volant, d'après elle les mauvaises ondes seraient ainsi neutralisées.
Mon neveu qui m'avait emprunté un jour la voiture frôla la crise cardiaque en ouvrant ma boîte à gants. Découvrant ce monstre prêt à lui sauter dessus, il l'a jeté aux ordures.

De toutes façons cela n'avait pas suffi, ma dernière conquête m'a quitté après deux semaines de tension maximale, elle est partie à temps car après trois ou quatre bières et quelques chichons j'avais envie de la tuer !
 C'est quand même révélateur que quelqu'un m'a fait quelque chose, non ?

Au second rendez-vous Ginette sembla soucieuse à la vue des cartes retournées : numéros 15 12, 22, le Diable, le Pendu et le Mat.
Le résultat de ce second tirage démontrait que la situation était préoccupante.
- Il n'y a plus aucun doute, vous êtes victime d'un envoûtement, me dit-elle.

Elle insista pour visiter mon appartement, seule, et découvrit derrière la cuvette du w c une petite boîte en carton contenant un crapaud desséché entourée de papiers revêtus de signes mystérieux, preuve supplémentaire d'après elle de la malédiction pesant sur moi. Le rituel de purification de mon habitation nécessita un versement supplémentaire de 150 €, les esprits épurateurs ne travaillant pas gratuitement il faut les encenser sans mégoter.

A la troisième consultation je retournai plusieurs autres cartes apparemment funestes et la conclusion fut sans appel :
- L'envoûtement provient d'une femme brune qui vous en veut, son nom comporte ou commence par la lettre L.
J'ai réfléchi et passé en revue la dizaine de compagnes ayant partagé mon existence plus ou moins longtemps. Une seule correspondait à la description de Ginette, une certaine Laurence, infirmière libérale que j'avais un peu cognée après deux mois de cohabitation. Punition bien méritée, elle avait refusé de me servir mon apéro devant mes copains. La honte pour moi !
 Vous auriez vu sa tête après la correction hé hé ! ça valait bien les quinze jours de prison avec sursis dont j'avais écopé.

Je ne l'avais jamais revue. Cela faisait bien cinq ans que nous nous étions perdus de vue.
Grâce aux réseaux sociaux je l'ai localisée sans difficultés, une infirmière libérale doit un peu communiquer pour son business, elle ne se cache pas. Elle habite à une vingtaine de kilomètres de mon domicile. Après quelques repérages discrets j'ai constaté qu'elle était maintenant maman d'une jolie petite fille.
Elle aurait pu se tenir tranquille, mais non, je ne sais pas pourquoi elle me poursuivait de sa haine ? Pourquoi m'avoir envoûté ? Les femmes sont incompréhensibles.
En tout cas, je ne vais pas me laisser faire.

- Le feu est un remède souverain contre les sorcières et les envoûtements, a dit Ginette.
Elle m'a proposé d'acheter une poupée de chiffons (150 €) qui représenterait l’Envoûteuse. Dotée d'un sortilège mystérieux (100 €) et jetée sur un bûcher plus ou moins Vaudou constitué d’herbes magiques (100 €) le problème serait réglé.
Tout ceci me parut compliqué et bien trop coûteux.
Je tournai le problème dans ma tête. Après quelques bières et deux chichons la solution m'est apparue, évidente et économique…

 Un matin, après un certain nombre de petits verres de tequila et un peu de shit pour me donner du cœur au ventre j'ai aspergé Laurence avec cinq litres d'essence (7 €) et craqué une allumette.

 Un voisin l'a éteinte avec l'extincteur de l'immeuble et en l'entourant d'une couverture.
Tenez-vous bien, cela n'a pas suffi, la malédiction continuait à me poursuivre, le voisin avait noté l'immatriculation de ma voiture, la police m'a retrouvé et arrêté dans la soirée.
 Si même le feu n'agit plus sur les envoûteuses où va-t-on ?

Mon compagnon de cellule prétend que Ginette me manipule et me prend pour un con.
- L'infirmière n'y est pour rien, bois moins et arrête de fumer la moquette tu n'auras pas tous ces problèmes, à 35 ans tu devrais quand même réfléchir un peu, m'a-t-il dit.
 Il n'a rien compris, il est très bête, s'il était intelligent il ne serait pas en prison pour une escroquerie minable !
Moi c'est différent c'était un cas de légitime défense.

 Dès ma sortie de préventive qui ne saurait tarder car mon avocat commis d'office a détecté une erreur de procédure lors de ma garde à vue, puisque le feu est inefficace j'envisage de noyer Laurence pour que ça s'arrête.

Aucun commentaire: