jeudi 21 juin 2018

Les tribulations d'un Lyonnais en Provence : histoire n° 13


 

 
 


 

 

La vérité sur le masque de fer ? 

 

Ce jour-là je longeais la rivière La Siagne  en direction du pont des Reys nommé aussi pont des Moulins situé en amont.
 Un quart d'heure après avoir dépassé la passerelle,  à travers les buissons apparut ce qui semblait être une bifurcation oubliée, un sentier perdu que je n'avais jamais remarqué jusqu'alors. Son entrée était défendue par des ronces

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Je m'égratigne les bras et les jambes pour en forcer l'accès, le descends sur une trentaine de mètres et me fige, émerveillé.

Il se termine par quelques marches d'escaliers maçonnés menant à une tour ronde invisible du chemin, construite en pierres en partie sur de gros rochers parsemant la rivière et partie sur la berge.
 La porte d'entrée de cette merveille est protégée par une grille fermée par un cadenas, un petit volet au rez de chaussée et un à l'étage condamnent deux fenêtres. Remarquablement préservée cette bâtisse est vraisemblablement occupée épisodiquement.

 

En ce doux matin d'automne la rivière coule doucement en clapotant. Un homme  assis sur un des rochers observe les remous autour de lui, il ne m'a pas vu ni entendu, je m'approche prudemment l'environnement est glissant. Il m'aperçoit enfin et me sourit, je m'assieds à côté de lui après avoir posé mon sac à dos sur la berge. Il me salue:

- Bonjour comment vas-tu ?

Manifestement très à l'aise il n'éprouve aucune difficulté à tutoyer les inconnus, contrairement à moi.

- Très bien merci et vous?

Brun, beau garçon, une barbe noire de trois jours mange ses joues, l'homme entame la conversation en jetant une brindille dans le courant.

- Aujourd'hui je ne travaille pas, je regarde passer l'eau et je pense.

Silencieusement le même fil de l'eau emporte avec lui quelques secondes précieuses de mon existence, puis je demande:

- Vous pensez à quoi?

- A la vie, à la mort, au masque de fer.

Celle-ci on ne me l'avait jamais faite, pourquoi et comment l'énigme historique du masque de fer peut-elle le préoccuper ?

 Il poursuit :

- Hier je suis allé en bateau avec ma famille jusqu'aux iles de Lérins, nous avons mangé en bord de mer à Saint-Honorat puis nous sommes allés voir la prison du masque de fer. Depuis je n'arrive pas à sortir cette histoire de ma tête, qui pouvait bien être ce pauvre type? Ce mystère me hante, toute la nuit j'ai lu ce que j'ai pu trouver sur le sujet, et je ne suis pas plus avancé.

Je comprends mieux qu'il puisse être obsédé par cette histoire hallucinante, ayant connu les mêmes interrogations jusqu'à ce que  ma mère me révèle sa vérité sur ce sujet ardu .

Après avoir suggéré  au tourmenté :

- Je peux peut-être vous aider

incrédule il me dévisage, avec plus de considération me semble-t-il.

- Tu connais son nom  ?

Le tutoiement me pose toujours autant de difficultés :

 - Vous posez mal, tout le monde pose mal le problème, voila pourquoi personne ne trouve la solution.

- Toi tu le poses mieux ?

- Oui, il me semble .  C'est une des plus grandes manipulations de l'histoire.
Voltaire entendit parler d'un prisonnier dont le visage était quelquefois revêtu d'un " loup " en velours.
Ce malheureux resta trente-quatre ans enfermé et mourut en prison, toujours gardé et exhibé masqué par Monsieur de Saint-Mars gouverneur de la forteresse de Pignerol puis gouverneur des Iles au large de Cannes. Plus tard pour dénoncer les excès de l'absolutisme royal, Voltaire, constamment  prêt à se battre contre les injustices, le transforma dans ses écrits en détenu portant en permanence un masque de fer plus propre à frapper les consciences qu'un masque de velours intermittent.

 Alexandre Dumas, considérant qu'il est permis de violer l'histoire à condition de lui faire de beaux enfants, lui emboîta le pas et écrivit un roman qui ne tient pas debout sur un prétendu jumeau de Louis XIV mis au secret dans des conditions ignobles dès sa naissance, ce qui est méconnaître totalement la réalité monarchique française :

 Les reines de France accouchaient en public, on voit mal comment un des deux enfants aurait pu être soustrait à la vue des nombreuses sages-femmes et de la centaine de courtisans qui se pressaient autour d'Anne d'Autriche ( qui malgré son nom était espagnole) et attendait depuis plus de vingt ans de consolider sa position de reine en donnant un héritier mâle viable à Louis XIII.
Elle avait déjà fait plusieurs fausses couches et à une époque  où la mortalité infantile était très importante la venue au monde de deux héritiers aurait été considérée comme une bénédiction et aurait rehaussé la réputation virile du roi qui était plutôt  moqué jusque là comme un bande - mou, certaines rumeurs prétendaient même qu'il préférait les hommes à sa femme ce qui est faux. De plus toute personne de sang royal par la grâce de Dieu était intouchable et Anne d'Autriche fut une mère exceptionnelle qui adorait ses enfants, elle aurait défendu comme une tigresse le jumeau si jumeau il y avait eu... 

 - Alors?

   - Aucun personnage important dont la disparition aurait été suivie de l'apparition d'un homme masqué n'étant absent de la scène publique de l'époque, il me semble que la solution de l'énigme est à chercher, non du côté du prisonnier dont le nom ne dira rien à personne, mais du côté du geôlier.
Monsieur de Saint Mars jouissait d'une grande notoriété, il fut le gardien de Nicolas Fouquet surintendant des finances de Louis XIV et du premier Duc de Lauzun, celui dont le mariage inspira à Madame de Sévigné la fameuse lettre : c'est la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse etc. et qui poussa l'insolence dit-on jusqu'à se cacher sous le lit du roi quand celui-ci honorait un jour Madame de Montespan, juste pour savoir ce qui se disait de lui en haut-lieu.
La grande noblesse de ces captifs "people" avant l'heure  donna à l'époque à Monsieur de Saint Mars une gloire considérable. Sa célébrité  commença à se ternir lorsque Fouquet mourut peu après une visite de Colbert et que de Lauzun fut libéré.
Ma conclusion est donc la suivante: Pour rester au top de la "Jet Set" du 17e siècle et se faire mousser, il inventa un captif mystérieux propre à enflammer les imaginations d'une cour qui n'avait en tête que fantaisies, divertissements, intrigues. Le roi soleil, expert en manipulation lui aussi a bien dû s'amuser. En tout cas Saint Mars a moyennement réussi son coup au regard de l'Histoire, le souvenir de son prisonnier  est resté, pas le sien.

Les yeux de mon interlocuteur brillaient :
 
- Si je comprends bien, en résumé le masque de fer n'a jamais existé, le détenu au masque de velours intermittent était un faire-valoir attrape-nigaud parfaitement inconnu et anonyme. Depuis on cherche désespérément et inutilement son nom mais une fois trouvé il ne dira rien à personne, il pourrait être n'importe qui, Dupont, Durand ?

- Oui, exactement. Il n'est qu'une création de Saint Mars, son identité n'a aucun intérêt. Qui connait le nom de la créature de Frankenstein ?

Il me regarde longuement, admiratif, et me dit :

- Tu es génial.

En jetant une brindille dans l'eau, je réponds en baissant modestement la tête.

- Je sais....

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Bon d'accord, je suis un peu prétentieux,  mais vous êtes bien obligés de reconnaître que je suis fabuleusement intelligent. Hé hé ! 

 Ma femme me surnomme Narcisse, je n'ai jamais trop compris  pourquoi.
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 Cette histoire est extraite du livre :



 

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