Le Psychiatre et la pré-ado.
Aussi loin que mes souvenirs me portent je n'avais
encore jamais été confronté à un tel problème, pourtant croyez-moi, souffrances psychiques, perversions et folies humaines me sont familières !
La plaque en laiton de mon cabinet porte la mention : X X…, psychiatre libéral et expert près des tribunaux… on pourrait
rajouter roi des salauds, mais qu’y puis-je !
Il va me falloir apprendre à vivre avec ce poids sur
la conscience.
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Un matin de novembre, sagement assises sur les deux
fauteuils placés face au grand miroir ancien une femme et une fillette d'une
quinzaine d'années attendaient leur tour dans ma salle d'attente.
La femme, environ trente-cinq ans, belle comme un
cœur, portait un jean troué et une veste à capuche largement ouverte sur un
tee-shirt portant le mot Impatiente
floqué sur la poitrine. Ses cheveux blonds très clairs presque blancs étaient
coiffés comme le sont ceux des danseuses du Crazy
Horse, une longue frange cachait son front et les pointes de ses cheveux
lissés frôlaient ses épaules.
La pré-ado, nous l'appellerons Manon, que toutes les
innocentes Manon me pardonnent, vêtue du même jean troué, d'un tee-shirt floqué Impertinente, de la même veste à
capuche, arborait une coiffure identique, copiée collée.
Côte à côte elles semblaient être un tableau achevé
exposé près de son esquisse. Admiratif je suis resté quelques secondes à les
contempler.
Atteint d'une
curiosité pathologique me poussant à tenter de deviner au premier coup d'œil ce
qui amène les personnes à consulter, j’ai parié tout de suite pour un problème
de symbiose mère-fille fusionnelle excessive. Ce pari allait se révéler
rapidement être un doux euphémisme.
Elles sont entrées dans mon cabinet en se tenant par
la main.
Assises elles restèrent serrées l’une contre l’autre,
après un court moment de gêne la mère s’est décidée :
"Nous venons de la part du docteur L…, le
psychologue. Ma fille a subi plusieurs traumatismes, la pauvre, et il nous a
conseillé de vous consulter pour un second avis, il m'a remis cette lettre pour
vous "
La gamine me
fixait en souriant gentiment, je lui ai souri également.
Son doux regard noisette m'a fasciné. Pour moi les
yeux sont la fenêtre de l'âme, peu importe leur forme ou leur couleur, seul
leur expression les rend beaux, les siens reflétaient… comment dire ? une force
tranquille et inquisitrice, ils semblaient lire dans ma tête !
Après avoir rempli le dossier administratif préalable
: état civil, caisse de sécurité sociale, mutuelle, antécédents de santé etc…je
me suis déplacé pour m'asseoir près d'elles. Il y a quelques années un vieux
film américain dont le titre m'échappe m'avait marqué : Richard Gere grimpait
sur un mur en disant : pour comprendre
qui je suis il faut venir où je suis ! Depuis je ne m'assieds plus face à
mes patients mais à côté d'eux et cela change tout.
Manon, âgée en réalité de douze ans, " douze ans
et neuf mois, bientôt treize " a-t-elle rectifié et revendiqué, est déjà
très jolie, presque troublante pour un homme mûr comme moi. Une petite poitrine commençait à pointer sous
son tee-shirt, elle pianotait sur son smartphone sans me quitter des yeux.
- Dans peu de temps elle sera "canon" comme
vous, ai-je complimenté sa maman qui me foudroya du regard.
La seule parole dont on n'est pas prisonnier étant
celle qu'on n'a pas prononcée, une bonne occasion de me taire venait d'être
perdue !
La lettre confraternelle provenait d'un de mes anciens
élèves, installé à Cannes.
" Cher ami et cher maître je vous adresse Manon
en consultation. Cette enfant a perdu son petit-frère il y a trois ans dans un
accident domestique à la suite duquel ses parents ont divorcé. Placée sous la
garde de sa mère elle prétend avoir subi une agression sexuelle de la part de
son nouveau compagnon qui est actuellement détenu pour ce fait à la prison de
Grasse. Bien qu'elle paraisse avoir surmonté ces traumatismes elle m'inquiète
parfois, sa relation avec sa mère sur laquelle elle s'est repliée me parait
excessive, je me demande s'il ne faudrait pas qu'elles se séparent un peu.
Peut-être envisager une mise en pension ou demi-pension pendant l'année
scolaire, mais je crains de faire une bêtise, souvenons-nous de l'aphorisme
d'Hippocrate : « Primum non nocere » premièrement
ne pas nuire (au patient). J'aimerais avoir votre avis. Sentiments
cordiaux."
J'ai proposé à la mère :
- Un entretien en tête à tête avec votre fille me
parait indispensable si vous me le permettez. Vous pourrez patienter dans la
salle d'attente, mon assistante vous servira un thé ou un café.
A l'idée de se
séparer des larmes perlaient dans leurs yeux. A regret la mère a lâché la main
de sa gamine, elle est sortie après un dernier regard attendri et m’avoir
longuement dévisagé d'un air inquiet et suspicieux.
Manon et moi étions maintenant seuls dans mon cabinet,
un timide soleil illuminait mon bureau.
- Que puis-je
faire pour vous ?
Question ouverte. Il est important de commencer un tel
entretien par une question ouverte. Je ne tutoie jamais mes patients, même les
enfants quel que soit leur âge et leur parle toujours comme je parlerais à des
adultes. Contrairement à ce que la majorité des gens pensent ils comprennent
beaucoup plus de choses que l'on ne peut imaginer, ils sont très forts pour
dissimuler leur vrai nature et jouer aux petits anges lorsque cela les arrange.
Il faut se
méfier, ils n'ont pas les mêmes rapports que nous avec les notions de bien et
de mal.
- J'aime trop ma maman parait-il.
- Comment pourrait-on trop aimer une mère ?
Elle a ri
silencieusement.
- C'est bien ce que je dis toujours au docteur L....
Quand mon petit frère est mort mes parents se sont séparés et je suis allée
habiter avec maman, on est trop bien toujours ensemble nous deux, j'ai une
chambre pour moi toute seule mais souvent je dors dans son lit. Elle a trouvé un copain, Kevin. Je ne
l'aimais pas, je ne pouvais pas supporter qu’il ne l’embrasse ni qu'il la
touche, alors un jour en pleurant j'ai dit qu'il avait essayé de mettre sa main
sous ma jupe et maman l'a mis à la porte. Le mois dernier elle a eu un nouveau
copain, Julien. Un soir il a dormi chez nous, dans la nuit j'ai entendu maman
gémir et crier, j'ai vomi.
- Il est normal que votre maman ait une vie
sentimentale, non ?
- Non. Elle est à moi, à moi seule. Le lendemain
Julien est resté mangé. Maman et lui ont discuté, ils parlaient d'essayer de
vivre bientôt ensemble alors quand j'ai descendu les poubelles j'ai fouillé
dans le sac et récupéré un des deux préservatifs contenant le sperme de Julien.
Elle racontait cela comme on rapporterait une bonne
blague, une abomination me semblait poindre à l'horizon.
Déstabilisé, ne sachant plus quoi dire j'ai biaisé :
- Vous connaissez ces mots : préservatif, sperme ?
- Bien sûr, au collège on regarde des pornos sur nos
tablettes et celles qui ont déjà couché
nous expliquent comment ça se passe. Moi je n'ai pas encore couché, j'ai peur
que ça me fasse mal.
- Quand un
premier partenaire a un peu d'expérience et qu'il est doux il est rare que
cela fasse mal, bien au contraire, mais vous êtes encore bien jeune pour vous
préoccuper de cela.
- Je n'ai pas couché mais je suis en couple.
- En couple ?
- Oui, je sors avec Farid depuis au moins quinze
jours, on se fait des bisous. Il est trop beau … Vous aussi vous êtes très beau
pour un vieux.
On s'éloignait dangereusement du sujet, elle essayait
de me manipuler mais je n'étais pas dupe, comment une si jeune fille
pourrait-elle trouver séduisant un sexagénaire ?
- Que disiez-vous, ah oui vous me parliez de poubelles
?
- Oui, quand j'ai descendu les poubelles j'ai fouillé
dans le sac et récupéré un des deux préservatifs contenant le sperme de Julien.
- Et après ?
- Après, maman est allée faire les courses. J'ai dit
que j'avais mal à la tête et me suis enfermée dans ma chambre, Julien était
resté pour regarder un match de foot à la télé et me garder. J'ai rentré trois doigts entre mes jambes
jusqu'à ce que ça saigne un peu, j'ai versé quelques gouttes de sperme sur mon
ventre et jeté le préservatif dans les toilettes.
Je retenais mon souffle, des perversités de toutes
natures m'avaient déjà sidéré, mais là ….
- Quand maman est rentrée c'était la mi-temps, Julien
est parti tout de suite rejoindre ses copains pour regarder la fin du match
avec eux, jouer à la Playstation et boire des bières. Maman a frappé à ma porte
que j'avais fermée à clé, je pleurais à gros sanglots. J'ai ouvert et lui ai
raconté que Julien avait voulu rentrer son zizi dans ma nounoune. Zizi,
nounoune il fallait bien que je parle comme une enfant non ? maman croit
que je suis encore une petite fille.
Elle a vu le sang entre mes jambes, elle a appelé les gendarmes, un
docteur m'a examiné et ils ont fait un prélèvement avec un coton tige sur mon
ventre. Ils ont arrêté
Julien le soir. Depuis il est en prison à Grasse et nous sommes à nouveau
seules toutes les deux, c'est trop bien. Je détruirai tous ceux qui veulent me
séparer de maman.
Muet, abasourdi, je me suis rassis derrière mon bureau
pour consulter internet. Le site de Nice
Matin parlait dans un article de l'emprisonnement de l'infortuné Julien qui
clame toujours haut et fort son innocence, mais tout est contre lui : le sang
et les déclarations de la gamine, les analyses ADN du sperme sur son ventre.
Sauf éléments nouveaux sa vie est foutue, heureusement
mon intervention pouvait le tirer de là.
Je me voyais
déjà berger sauveur de l'agneau reconnaissant perdu au milieu de la horde des
loups accusateurs.
Une autre folle interrogation m'est venue à l'esprit
et m'a glacé. Sans m'en rendre compte immédiatement, passant spontanément au
tutoiement je lui ai demandé avec toute la douceur dont j'étais capable :
- Tu aimes ton papa ?
- Non il me prenait ma maman
- Tu aimais ton petit frère ?
- Non. Il me prenait aussi ma maman.
- Que lui est-il arrivé ?
- Un jour qu'elle était partie, pendant que papa
jouait sur son ordinateur, j'ai emmené mon petit frère sur le balcon et je lui
ai dit : on s'amuse à monter sur la barrière ? on habitait au quatrième étage.
Il avait un peu peur mais je me suis moqué de lui alors je l'ai aidé à
monter et … je l'ai poussé. J'ai dit
que j'avais voulu le retenir mais que je n’avais pas pu. Maman n'a jamais
pardonné à papa de ne pas l'avoir surveillé, ils ont divorcé et je suis restée
seule avec elle. Nous deux on est trop heureuses maintenant.
Aussi loin que mes souvenirs me portent je n'avais
encore jamais été confronté à un tel problème, pourtant croyez-moi les
souffrances psychiques, les perversions et les folies humaines me sont
familières !
Tous mes logiciels intellectuels avaient bugué :
Qu'y avait-il
de vrai dans son récit, que faire, vous imaginez mon dilemme ? Pourquoi m'avoir
raconté tout cela, inconscience ou perversité folle ? Normalement je suis tenu
au silence par le secret médical mais la vie d'un homme apparemment innocent
est en cause, d'autre part elle dit avoir tué son petit frère, est-ce la vérité
ou une pure invention, qui sait ce qu'elle peut encore inventer comme saloperie
pour défendre sa relation fusionnelle, il me fallait parler de tout cela
immédiatement à la mère, alerter la justice et…
La gamine coupa
court à mes velléités de redresseur de tort, elle avait sa réponse à mes
questions :
- Tu diras à maman que je vais très bien et qu'on doit
rester toutes les deux. Si tu racontes ce que je viens de t'expliquer personne ne te croira toi et je dirai que tu as essayé de me toucher
la poitrine et les fesses. Maman me croira… moi, elle avale tout ce que je lui dis. Elle t'a entendu dire que j'étais belle, elle se méfie de tous
les hommes qui m'approchent maintenant tu es coincé !
La fillette me
regardait en souriant gentiment, sûre d'elle, de sa stratégie et de son bon
droit.
Dans un premier
temps son chantage ne m'a fait ni chaud ni froid, ce serait sa parole contre la
mienne.
J'ai vérifié sur internet ce que je savais déjà,
l'amant de la mère encourt jusqu'à 5 ans de réclusion si les faits sont
qualifiés d'agression sexuelle et 15 ans s'il s'agit d'un viol.
Sauf éléments
nouveaux sa vie est foutue, heureusement mon intervention allait le
tirer de là ? J'allais sauter sur
mon téléphone pour prévenir le procureur qui me connait bien quand l'histoire
du malheureux maire de Vence emprisonné plusieurs années pour viol sur simple
et fausse accusation de son petit-fils, innocenté depuis, s'est imposée à ma
mémoire. C'est à ce moment que j'ai regretté ma réflexion, pourtant sans nulle
ambiguïté, sur la beauté naissante de la petite.
Attendez deux
secondes, j'ai une magnifique maison avec piscine et vue sur mer, deux voitures
de luxe, un bateau, une famille sans histoire, un fils et une fille ayant de
très belles situations.
Ma retraite est
programmée dans quinze mois, un acquéreur est prêt à sortir une grosse somme
dont une partie conséquente en « black » pour acheter mon cabinet et
récupérer ma patientèle (mot pudique inventé par les médecins pour éviter de
parler de clientèle).
Imaginez que la
gamine mette ses menaces à exécution, voici exactement comment cela se
passerait :
La justice serait ravie de mettre un psychiatre en
garde à vue pour suspicion d'attouchements
sur mineure par personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions,
puis de le placer immédiatement et à tout hasard en détention préventive, le
procureur ne me connaîtrait plus et les journalistes se délecteraient à l'idée
de mettre ma photo en première page.
Même blanchi plus tard le mal serait fait et pour longtemps.
" Il n'y a pas de fumée sans feu "
colporteraient mes bons amis, si on ne dit pas du mal des copains de qui
va-t-on va dire du mal ?
Après tout ce Julien n'est rien pour moi, pourquoi
devrais-je prendre le risque de tout perdre pour lui ?
Après avoir longuement peser le pour et le contre,
décrochant mon téléphone pour finalement le reposer, j'ai fait rentrer la mère,
discuté quelques instants avec elle pour la forme et conclu :
- Rassurez-vous, il n'y a rien d'inquiétant chez votre
fille, elle me parait avoir bien surmonté ses traumatismes, elle est très
résiliente grâce à votre relation fusionnelle. Je ne peux que vous conseiller
de la garder près de vous, il serait même contre-productif de vous éloigner
l'une de l'autre. Trop d'amour n'a jamais nuit à personne.
Je pensais exactement le contraire.
En les raccompagnant jusqu'à la porte, Manon a tenu à
me faire un gros baiser humide et sonore sur chaque joue en rajoutant,
faussement innocente et bêtifiante :
- Maman, le docteur a été très gentil, il m'a redit plusieurs
fois que j'étais belle.
En rougissant un peu elle a enfoncé le clou, achevant de noircir mon image et me démolissant
préventivement au regard de sa mère :
- Et il m'a dit que coucher la première fois avec
quelqu'un ayant de l'expérience ne faisait pas mal.
Elle savait déjà verrouiller les situations et
perverse elle en jouissait, le message était clair ! Je plains son futur mari.
Si les yeux de la mère avaient été des pistolets ma
veste aurait ressemblé à une passoire !
De retour vers mon cabinet, ma tête réfléchie dans le
grand miroir ancien me parut être une allégorie de la lâcheté, une grosse envie
de vomir a tutoyé mes lèvres.
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La nuit suivante une mauvaise idée m'est venue. Le
confrère qui m'a adressé les deux femmes a sans doute été l'objet du même
chantage de la part de la gamine sinon il n'aurait pas écrit dans sa lettre que j'ai relue plusieurs fois : elle
prétend avoir subi une agression sexuelle. Il a voulu
me "refiler le bébé" pour ne pas avoir à décider, maintenant il dort
du sommeil du juste… lui.
Primum non
nocere, premièrement ne pas nuire ? L'Enfoiré !
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Quelques semaines plus tard la justice me confia une
expertise psychiatrique concernant un pédophile.
Un nommé
Julien.
Que fallait-il faire ?
- " Remettre en cause la version du viol de
Manon, au moins émettre quelques doutes ou brosser un tableau plutôt flatteur
de l’accusé ", dites-vous ?
Non, c'est bien trop dangereux, on voit bien que vous
ne risquez pas votre réputation et le confort de votre vie future.
Certains de mes confrères évoquent souvent une
irresponsabilité pénale pour les pédophiles, pas moi, j'ai toujours été
impitoyable avec eux ! Le juge s'attend sans doute à ce que mes conclusions
soient sanglantes pour le prévenu, je ne peux pas le décevoir !
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La plaque en laiton de mon cabinet porte cette mention
: X X…, psychiatre libéral et expert près des tribunaux… on pourrait
rajouter : roi des salauds !
Il va maintenant falloir que je vive avec ça !
la semaine prochaine : @lucifer.com
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