vendredi 28 juin 2019

Monstres ordinaires : Histoire n°3





Saint Jacques de Compostelle






Mes vacances d'été furent d'abord des voyages organisés.

Le voyage organisé est un concept bizarre.
Vous vous retrouvez embarqué avec obligation de vous amuser dans des pays où les habitants ne mangent presque jamais à leur faim, en compagnie d'hommes et de femmes qui abordent souvent le troisième âge avec un tour de taille très confortable indiquant un surpoids proportionnel à leur réussite sociale.
Surpoids étant une tournure littéraire charitable pour ne pas dire obésité.

La principale préoccupation de ces homo-touristicus, dignes représentants d'une nouvelle branche de l'humanité présente depuis peu sur terre car issue d'une évolution récente due à une sélection naturelle impitoyable, les pousse à poser plusieurs fois par jour la question existentielle fondamentale suivante :
- à quelle heure le repas est-il servi ?
 Question pleine de finesse posée un guide blasé tentant désespérément mais en vain de les intéresser à quelque sculpture ou monument censé dater de plusieurs siècles et révélateur du génie ancestral des habitants de l'endroit. Malheureusement chez certains le chemin du cerveau est bouché au niveau du carrefour de l'estomac.

 En réalité leur obsession est formulée ainsi :
- A quelle heure on va manger ? ce qui est moins élégant. (On : pronom imbécile qui qualifie celui qui l'emploie)
 Ce qui ne l'est guère plus, ils n'hésiteront pas sur le coup de midi pétante à se précipiter sur les buffets offerts à leur convoitise et s'empiffrer sans vergogne sous les yeux incrédules voire indignés d'indigènes malades de sous-alimentation et riches de besoins primaires insatisfaits comme aurait dit Maslow. (Voir sur Google : échelle des besoins hiérarchisés de Maslow.)

La nourriture étant pour moi une nécessité très secondaire et considérant le sandwich jambon-beurre comme le sommet de la gastronomie, vous pensez bien que ce genre d'occupation n'allait pas me séduire très longtemps.
Je décidai donc un beau jour de laisser tout ce beau monde organiser sa grande bouffe sociologiquement nauséabonde sans moi, chaussai une paire de bonnes chaussures, endossai un gros sac contenant mon matériel de survie et me lançai sur les beaux chemins de France, direction Saint Jacques de Compostelle, vieille envie récurrente.

Rassurez-vous, je ne vais pas vous saouler avec les sempiternelles plaintes du marcheur de base croyant lors de son retour glorieux captiver son auditoire par la description de ses ampoules aux pieds, alpha / oméga et intérêt majeur de son aventure pour lui. Là n'est pas mon objectif je n'ai jamais d'ampoules aux pieds.
Le sentier historique de ce pèlerinage, le Camino Francès démarre traditionnellement au Puy en Velay où à la cathédrale on vous délivre la crédenciale, passeport religieux du pèlerin courageux que la pluie du matin est censée ne pas arrêter.
Muni de ce sésame, après avoir prononcé la formule d’usage :  Ultreia (plus loin plus haut !) me voilà parti.
Le dépaysement est total. Le Camino Francès nommé également Via Podiensis traverse le plateau de l'Aubrac, rejoint Conques (village prospère au Moyen-âge grâce à la tête de Sainte Foy dérobée aux moines d'Agen, les catholiques adorent contempler des os renommés reliques), Moissac, St Jean pied de Port, avant de pénétrer en Espagne par le col de Roncevaux. 

En ce lieu, Roland le neveu de Charlemagne trahi dit-on par le félon Ganelon, prit une pâtée, non face à des Sarrasins (légende tenace) mais par les Vascons (précurseurs des Basques) fâchés que Charlemagne ait dévasté Pampelune pour se venger d'avoir échoué à se faire ouvrir les portes de Saragosse. Ces temps étaient barbares.
Permettez - moi une petite digression sur la dureté de ces époques révolues : Saint Louis, seul roi de France canonisé fut quand même le deuxième enfoiré ( le premier étant le pape Innocent III ) qui imposa en 1269 le port de l'étoile jaune aux juifs,  innovation qui lui vaudrait sans doute aujourd'hui la réprobation d'une moitié de la communauté internationale et les félicitations de l'autre moitié.
 Il inventa également les maisons closes pour cacher les prostituées, ce qui lui sera plus volontiers pardonné personne n'étant obligé de frapper à leur porte pour la déclore !
O tempora, o mores : Autres temps autres mœurs !

Cette partie française du pèlerinage s'étend sur plus de 800 kms de sentiers. Parcourus à raison de 30 kms par jour le périple est plié en moins d'un mois.

J'ai adoré ces moments de solitude extrême et vécu le bonheur absolu.
Retrouvant les odeurs, les bruits de la nature, un plaisir animal fait de souffrances et d'exaltation, de rencontres improbables, j’avais enfin l'impression de vivre libre et de parcourir un univers infini.

Enthousiaste j'ai sillonné trois fois cette partie française du camino sans jamais entrer en Espagne, désirant absolument ne jamais arriver au bout du chemin.
Ne cherchez pas à décrypter cette idée curieuse ayant germé dans ma tête : ne jamais arriver au bout du chemin. Ma femme me surnomme l'extra-terrestre, désespoir ou hommage à mes bizarreries comportementales.
Cela mérite tout de même une explication. Mon esprit est compliqué mais mes idées sont simples :
- Le bonheur est un voyage jamais une destination, au même titre qu'un fantasme est un désir qu'il ne faut pas assouvir.
Saint Jacques de Compostelle étant pour moi un lieu mythique, un endroit hors du monde, un ailleurs, mon petit plaisir consistait à imaginer cet endroit où je n'arriverais jamais. L'imagination est souvent moins décevante que la réalité.

Et puis patatras, une année à la mi-juillet, sous l'emprise d'une faiblesse psychologique passagère je me suis laissé entraîner à aller visiter Saint Jacques de Compostelle, en voiture, frémissant d'horreur et sachant que cela n'allait pas me plaire. Certains « Oui » de complaisance sont lourds de conséquences
Après une étape à Bayonne, nous voici en Galice, environnés de brouillard, 15° au thermomètre. Pour un méditerranéen le climat océanique est semblable à celui du cercle arctique, les ours polaires en moins. Le plus surprenant était tout ce vert qui couvrait le sol, contraste absolu avec l'herbe de notre Côte d'Azur transformée depuis plusieurs mois en un méchant tapis jaunâtre

Arrivés à Santiago comme disent les Autochtones, nous stationnons notre auto sous la Prazza de la Galicia et rejoignons la cathédrale en empruntant les rues piétonnes noires de monde. Les pèlerins odorants arrivent en rangs serrés, des mendiants agenouillés tendent leur sébile aux passants qui passent sans les voir, évitant soigneusement de croiser leur regard. Le plus dur pour ces gens qui mendient doit être cette sensation de ne pas exister.
 
La cathédrale est gigantesque mais hideuse. Les Espagnols ont la religion triste et semblent avoir une aptitude particulière à prendre pour de la grandeur ce qui pour moi est laideur, notamment en ce qui concerne la majorité de leurs édifices religieux. Passez un jour à l'Alhambra de Grenade vous comprendrez mieux la sévérité de mon appréciation, le contraste entre les élégants bâtiments mauresques et les constructions grossières de Charles Quint est écrasant.

Curieux et critique de nature, ce que je découvris à l'intérieur de l'édifice monstrueux fit resurgir de ma mémoire beaucoup de souvenirs réjouissants acquis lors de mon passage au catéchisme.
 Fils d'ouvrier misérable une phrase du nouveau testament m'avait toujours égayé et rempli d'espoir, je cite :
- Je vous le dis en vérité, un riche entrera difficilement dans le royaume des cieux (Matthieu 19.23).
Au cas où l'on n'aurait pas compris, la condamnation est immédiatement réitérée dans le verset suivant :
- Je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu (Matthieu 19.24)
Je ne sais pas ce que Judas qui tenait la bourse du groupe d'apôtres en pensait. On dit toujours beaucoup de mal de lui pourtant il avait d'excellentes fréquentations !

Salauds de riches ! pensais-je à l'époque, persuadé alors que les pauvres forcément honnêtes devaient leur dénuement aux riches systématiquement malhonnêtes, et que le Messie, Rabbin des bois avant l'heure, ne tarderait pas à rectifier la situation en donnant aux démunis le superflu subtilisé habilement dans les poches des nantis.
Depuis j'ai appris à ne pas accabler les opulents, on ne sait jamais ce que l'on va devenir et on est toujours le riche de quelqu'un. Quarante ans de travail acharné m'ont procuré une aisance raisonnable qui pourrait bien être assimilée à de la fortune par plus malheureux ou moins travailleur que moi si je n'y prends garde.

Saint Jacques étant un apôtre de celui qui avait prononcé avec force cette sentence sans appel envers les fastueux je m'attendais donc naïvement à me retrouver face à d'humbles restes humains : quelques antiques ossements enfermés dans une modeste sépulture en pierres du pays devant laquelle je pourrai faire quelques amicales et affectueuses révérences.
 Que nenni, le tombeau est réalisé entièrement en argent.
 Une statue colossale couverte d'or, de joyaux et d'argent glorifie les mânes de ce Jacques de Zébédée surnommé Jacques le Majeur qui eut pour principal mérite d’être incidemment sur le chemin de Jésus et d'avoir converti au christianisme neuf personnes en quatre ans de présence en Espagne, ce qui fait cher du disciple et ne démontre pas une efficacité redoutable dans le prosélytisme.

Croyant fermement que Dieu abominait les idolâtres comment ne pas être ébahi de voir tous ces gens se prosterner devant cette sculpture !
Il faut reconnaître tout de même qu'il y eut des précédents :
Moïse en son temps ayant à peine tourné les talons pour aller négocier les termes des dix commandements avec l'Eternel, les Hébreux s'étaient empressés de fabriquer un veau d'or pour avoir quelque totem à adorer, rendant ainsi grognon le Patron un tantinet jaloux.

Les hommes sont ainsi faits, ils aiment se fabriquer des dieux qui n'existent pas et les couvrir d'or extrait en détruisant la nature.
" L'Homme est l'espèce la plus insensée, il vénère un dieu invisible et massacre une nature visible sans savoir que cette nature qu'il massacre est ce dieu invisible qu'il vénère ! « (citation anonyme improprement attribuée à Hubert Reeves)

 Pauvre Jésus, il ne méritait pas ça. Il doit être écœuré de s'être sacrifié pour un peuple s’agenouillant devant une vieille statue démesurée et ridicule après être passé rapidement devant des nécessiteux sans les voir…Il me semble pourtant l'avoir entendu dire : ce que vous ferez au plus petit d'entre vous c'est à moi que vous le ferez.
Je plains surtout le malheureux Jacques. Riche comme les hommes l'ont fait en le revêtant de tout cet or, il n'est pas près d'entrer dans le royaume du Père, quoique …c'était quand même un copain du Fils !

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Vous êtes scandalisés ?
 Par le veau d'or ou par mon discours indigné que certains croiront, à tort, indigne ou blasphématoire ce qui serait trop d’honneur ? Jésus ayant été condamné à la crucifixion pour… blasphème, entre autres prétextes !
Les critiques ne me surprendraient pas, il n’y aurait rien de nouveau sous le soleil, les hommes sont toujours prêts à condamner ceux qui ne pensent pas comme eux.








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Histoire extraite du livre :





site web     http://serge.boudoux.fr 

A la semaine prochaine 

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