mardi 1 décembre 2015

On l'a vue sur la place , puis elle disparait !




   L'interlocuteur de Laurence intervient.
- Je ne vois pas en quoi cela constitue une piste.
- C'est exactement ce que je leur ai dit, mais ma Vidocq society connait bien le profil  "St Jacques de Compostelle" pour l’avoir fait eux même.
- Les pèlerins ont, m'ont ils expliqué, une démarche intellectuelle très particulière. Avez vous déjà "pèleriné" ?
- Non.
- Ces gens viennent de tous horizons, métiers, cultures, de divers pays, ils sont animés par de multiples motivations, mais ils ont tous un point commun.
- Lequel ?
- Passés les trois premiers jours pendant lesquels beaucoup renoncent, ils attrapent le virus du "Pèlerin", ils deviennent "addicts" et pour rien au monde n'accepteraient de faire du stop ou de prendre quelque moyen de locomotion que ce soit. Ce serait pour eux trahir leur rêve, car il s'agit vraiment d'une envie restée très longtemps au stade de fantasme, certains ont attendu des années avant de se retrouver là. Ils marchent sous la pluie, le soleil, ils endurent la faim, la soif, le froid, la chaleur, les douleurs musculaires, les ampoules aux pieds et malgré çà ils avancent, entre 20 et 30 kms par jour. C'est un voyage dans le passé. Quand on pense que les tribunaux du moyen âge condamnaient certains criminels à faire le pèlerinage sans chemise, sans chaussures, les fers aux pieds, ça laisse songeur… Ma Vidocq Society considère qu'il est impossible qu'un pèlerin ordinaire prenne le train, sauf en cas de blessure ou maladie grave. La marcheuse en question paraissait en pleine forme, elle devait donc avoir une raison impérieuse pour se déplacer ainsi, sans doute fuyait elle le lieu de ses exploits.
- C'est un peu tiré par les cheveux.
- Vous avez la même réaction que mes supérieurs qui m'ont ri au nez, pour eux les meurtres des Ecossais d' Eauze étaient solutionnés depuis le premier jour. Devant ma détermination, ils m'ont interdit de poursuivre cette piste du tueur psychopathe, trop dangereuse pour l'économie de la région, c'est un peu comme si je ressuscitais la bête du Gévaudan. Les journalistes, eux, ne se sont pas gênés pour vendre leur papier en criant au serial killer, de ce fait sans le vouloir ils ont verrouillé toute possibilité d'explorer officiellement cette voie. Mon instinct me hurlait que j'avais raison, c'est à ce moment que j'ai décidé de garder toutes mes réflexions pour moi et de ne revenir à la charge qu'avec un dossier en acier trempé.
- Excusez ma curiosité, ma profession m'oblige à tout comprendre et à tout expliquer , puis-je me permettre de vous demander quelles relations vous avez avec vos collègues ?
- Je comprends, je suis comme vous. Quand je suis arrivée au service, rue de la Fontaine, j'étais la seule femme à la brigade de recherche, de plus célibataire jeune et sans enfant. Mes collègues masculins ont commencé par m'appeler bombasse, surnom qui m'est resté, puis chaudasse et sans doute connasse derrière mon dos, surtout quand les premières tentatives de drague se sont soldées par une bonne paire de claques. Depuis les contacts se sont pacifiés et je crois qu'ils aiment bien travailler avec moi, certains m'appellent poupée ou bébé mais dans l'ensemble je les adore, même si je les traite de tronche de cake et les appelle parfois "les couilles" façon Josiane Balasko dans "les Keufs". Pour cette affaire, par contre, je dois avouer que je l'ai jouée perso, contrainte et forcée. Si je solutionne tout çà comme je l'espère, pour moi c'est le jackpot professionnel. Voilà votre curiosité satisfaite, revenons à nos moutons , en l'occurrence une fameuse brebis.
J'avais enfin un fil à tirer et une description physique assez précise. A mon grand étonnement la suspecte était une femme, une grande jeune femme blonde très belle, c'était déjà beaucoup après le vide absolu. Je n'avais que cette piste, j'ai alors fait un travail de fourmi en essayant de reconstituer son voyage.                                                                                                                           
  Avec ma Vidoc Society gersoise, nous nous sommes répartis le boulot. Nous avons contacté chaque hôtel, chaque chambre d'hôte, chaque gîte depuis le Puy en Velay et bingo, j'ai pu reconstituer son périple. Avec son physique, elle n'est pas passée inaperçue aux étapes, voilà l'inconvénient d'être trop belle.
   Un peu de jalousie se devine dans sa voix. Elle ouvre son carnet secret.
- Tout est noté là :                                                                                                                                                                             
  Eden a couché à Aumont d'Aubrac le mercredi 5 mai veille du premier meurtre.                                                          
 Le jeudi 6 mai, meurtre du curé, le soir elle était à Estaing à plus de 60kms.                                                           
  Le 9 à Figeac, près de Gréalou ou a eu lieu le deuxième meurtre le 10, puis le 10 au soir elle a couché à l'hôtel de la gare de Cahors, 50kms parcourus dans la journée.
 Elle n'est quand même pas superwoman ! Ce qui me prouve qu’elle n’est absolument pas là pour le pèlerinage mais bien dans un autre but, celui de tuer, de plus le réceptionniste se souvient de son tee shirt tâché de sang, elle a dit avoir saigné du nez.                                                                                                                                        
  Le 12 mai elle était à l'hôtel du Luxembourg à Moissac ou elle a partagé sa chambre avec une marcheuse. Je vous rappelle qu'on a découvert le corps d'une femme inconnue dans les bois quelques kms après Moissac.
 On la retrouve seule, à Saint Antoine, Lectour, La Romieu ou a lieu le quatrième meurtre dans la collégiale, puis Larresingle. Etait-elle à Eauze chez les Ecossais ? Rien ne le prouve, ici personne ne l’ayant aperçue, mais moi je l'affirme et les analyses ADN le confirmeront.
 On l'a vue sur la place de Lamothe à dix kms d'Eauze, en grande discussion avec le vieux fou du village puis elle disparait, comme si elle n'avait jamais existé et les meurtres cessent. Plus rien, nada, nothing, que dalle !
                                                                                                                                            

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