samedi 28 novembre 2015

L 'enquête interdite ( 2)


Je vais vous résumer mon enquête qui devint vite parallèle aux enquêtes officielles. N'hésitez pas à m'interrompre en cas d'incompréhension, c'est un peu compliqué, mais vous avez l'habitude des situations tordues. 
  Le premier meurtre est celui du curé dans l'église d'Aumont d'Aubrac. Les gendarmes n'ont trouvé aucun indice probant, à part la disparition de son porte monnaie et la certitude que le décès est dû à deux coups de couteau portés en plein cœur, vraisemblablement par un droitier placé derrière la victime, chaque coup fut mortel. L'auteur de l'agression devait avoir une force certaine pour déplacer le corps de presque 100 kg, ce qui les a conduits, comme moi, à orienter leurs recherches plutôt vers un homme. Les prélèvements ADN sur les vêtements de la victime et sur les lieux de l'agression ont révélés de nombreux profils hommes et femmes, ce qui n'est pas étonnant chez un personnage publique. Aucun rapprochement n'a pu être établi avec le Fichier national informatisé des empreintes génétiques. Je présume que vous avez de bonnes notions de ce qu'est l'ADN ?
- oui. L'acide désoxyribonucléique, la molécule miracle en double hélice qui renferme l'ensemble des informations nécessaires au développement et fonctionnement d'un organisme, capable de muter et de mille autres choses. Par contre je dois vous avouer ne connaître de son exploitation par la police que ce que montrent les séries télévisées.
- Chacun d'entre nous sème à tout instant des traces ADN : cheveux, morceaux de peau, salive, sueur, larmes, sperme, sang, sécrétions. Ces traces sont porteuses de notre  spécificité. On admet aujourd'hui que les chances de trouver les mêmes séquences des 4 bases azotées          A C T G dans 13 locus chez deux humains sont proches de un sur un milliard.
- locus ?
- Vous ne connaissez pas le terme ? C'est étonnant ! On appelle locus l'emplacement d'un gène sur un chromosome. L'interprétation des analyses doit toutefois se faire avec beaucoup de circonspection. On peut identifier un individu s'il figure au fichier ou apporter la preuve que deux scènes de crime concernent un même auteur. Bien entendu l'ADN seule n'indique au mieux qu'une présomption de présence sans préjuger d'une responsabilité dans les actes reprochés, sauf pour les viols où les traces d'ADN sont déterminantes et encore !          
  On a vu des criminels particulièrement retords déposer sur leur victime des cheveux ou d'autres éléments d'identification appartenant à des personnes complètement étrangères aux faits incriminés. Le FNIEG ne répertorie dans sa base de données que des personnes mises en cause ou condamnées pour des assassinats, délits sexuels ou des traces relevées à l'occasion de tels délits. Aucune corrélation n'a pu être établie dans cette affaire. L'enquête de voisinage n'a rien donné non plus, aucun témoin, il pleuvait très fort ce jour là et il y avait beaucoup de brouillard. Tout est donc resté provisoirement au point mort, bien que la thèse privilégiée soit celle d'un petit vol ayant mal tourné dans l'église, le premier "Church Jacking" de l'histoire.

- ha, vous voyez, Eden n’a rien à voir dans tout ça, vous le dites vous-même.

- Le second meurtre est celui de l'employé communal dans l'église de GREALOU. L'autopsie du corps  a révélé que la mort était due à trois coups de couteau  portés par un droitier, le premier coup ayant glissé sur une côte, les deux suivants furent mortels. La victime avait eu un rapport sexuel trois heures environ avant son décès. Comme il était connu dans la région pour ses nombreuses relations extraconjugales, les soupçons se portèrent tout naturellement sur l'époux de sa maîtresse du moment, d'autant qu'on retrouva plusieurs des cheveux de l'époux malheureux sur le cadavre. Le pauvre mari en plus d'être cocufié fut gardé à vue, présenté au juge d'instruction qui proposa son incarcération préventive. Il a passé huit jours au trou avant qu'on ne vérifie que son alibi était béton.                                                           
     Les cheveux retrouvés s'étaient sans doute déposés sur la victime lors de sa relation sexuelle adultère perpétrée dans le lit conjugal de sa maîtresse. Les gendarmes actuellement font encore des recherches du côté des autres maris trompés, voire même des maîtresses délaissées. Ils privilégient la thèse d'un tueur local très intelligent qui aurait voulu brouiller les pistes. Si l'assassinat du curé d'Aumont parait parfaitement réalisé, le second ressemble à une mauvaise copie du premier, comme si le responsable avait voulu écarter les soupçons d'un coupable local. En attendant il est surprenant de constater combien cet employé communal avait de succès, sans doute disposait il d'un talent caché.                                                            Si j'osais je dirais qu'il faut modifier le dicton bien connu, ce n'est pas femme qui rit mais femme qui s'ennuie qui est à moitié dans le lit d'un amant opportuniste. Point mort provisoire également pour cette affaire du côté des enquêteurs locaux, ils n'ont jamais imaginés un criminel unique, il y a plus de pieds nickelés dans nos régions que d'Hannibal Lecter, le tueur du "silence des agneaux".                                                                                                                      Deux premiers crimes dans deux églises, mais....un seul ecclésiastique et un employé communal n'ayant aucun rapport avec la religion. Bien que le meurtre des écossais n'ait rien à voir avec les églises, mon instinct me criait que tous ces meurtres résultaient de l'obsession d'un seul individu, le fil rouge étant le chemin de saint Jacques. Je me suis partiellement trompée, je le sais maintenant  grâce à vous. Le fait déclencheur de chaque agression est en lien avec la petite enfance d'Eden, soit un homme habillé en noir dans une église, soit la suite d'une relation sexuelle ressentie comme dégradante.                                                                  J'ai essayé d'établir à ce moment des concordances entre tous les éléments en ma possession mais c'était trop tôt. Un serial killer a toujours un "mode opératoire ", une sorte de rituel obligatoire qu'il utilise lors de chaque agression, une signature. Ici, pas de mode opératoire. S'il s'agit en majorité de meurtres commis à l'aide d'un poignard, le nombre de coups n'est pas constant et le séminariste a eu la nuque brisée.                                                                       Exit donc le serial killer, par contre pour moi commençait à se dessiner le profil psychologique d'une femme ou d'un homme psychopathe ayant subi dans son enfance des attouchements ou agressions sexuelles de la part d'un membre du clergé ou assimilé et cherchant à se venger aveuglément arrivé à l'âge adulte. Il ne s'agit donc pas d'un serial killer, qui lui, tue pour satisfaire ses instincts. Mais pourquoi ici et maintenant ? Vous avez répondu parfaitement à ces questions.                                                                                                             
 Le troisième meurtre, celui de la québecquoise, a mis tout le monde hors circuit, moi y compris. Le lieu, la couleur et le genre des habits ne correspondaient pas, en plus la victime était une femme complètement inconnue, elle n'avait pas subi d'agression sexuelle, rien à part bien sûr le coup de couteau. Les enquêteurs présumèrent que le meurtrier avait été dérangé avant d'avoir pu assouvir ses pulsions et ils avaient un suspect, Patrice Villemagne  le stéphanois obsédé. Lorsqu’on apprit plus tard la nationalité canadienne de la victime, j'ai failli abandonner ma piste ou déconnecter ce meurtre de mon enquête, rien ne le rattachait aux autres. Là encore, c'est vous qui aviez la réponse, un attouchement sexuel considéré par Eden comme dégradant a déclenché la réplique mortelle.  Vous devenez un collaborateur précieux, je pourrai bientôt vous embaucher dans ma Vidocq Society. Je commençais à penser la chose suivante, personne n'a rien vu à aucun moment, à aucun endroit, malgré la quantité de gens qui passent. Pour ne pas être vu, il faut être soit invisible, soit s'intégrer parfaitement dans le paysage. Qui peut passer sans être vu sur un chemin de pèlerinage ?

- Un pèlerin.

- Exactement. La quatrième affaire par contre fut le début des soupçons de ma petite équipe parallèle, le grain de sable sur le chemin d'Eden. Benoit et Louis, mes collaborateurs retraités m'ont appelée un jour très excités : « Venez vite, je crois qu'on tient quelque chose. » Les rendez vous avec eux étaient toujours discrets, je ne voulais pas qu'on sache qu'ils travaillaient pour moi, mes collègues les prennent pour des vieux cons, je tiens à ma réputation. Quand je suis arrivée chez eux, j'ai d'abord cru qu'ils se foutaient de moi : «  En relisant les PV d'auditions, nous avons constaté que la femme de ménage de l'ancien couvent de La Romieu avait trouvé un billet de train Cajarc/Cahors dans la poubelle d'une chambre louée à une femme seule, marcheuse sur le chemin. Elément sans intérêt pour tous sauf pour nous. Nous avons une chance inouïe que l'enquêteur l'ait noté quand même. Je vous disais bien que la gendarmerie avait été très pro et presque tatillonne.  »
  Son interlocuteur intervient.

- Je ne vois pas en quoi cela constitue une piste.

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