jeudi 25 juillet 2019

Monstres ordinaires : Histoire n°7








Le son de ta voix


 Lyon 2016.

A quarante - deux ans, je suis agent général d'une grande compagnie d'Assurances.
Travailleur acharné, après avoir racheté à crédit la clientèle (le portefeuille dit-on dans notre jargon d'assureurs) de mon patron j'ai installé mon cabinet dans un joli immeuble de la presqu'île.  Le remboursement des prêts souscrits pour payer le portefeuille, le "pas de porte " et les travaux d'aménagement me contraint à travailler comme une bête, mon objectif ultime étant de prendre ma retraite vers cinquante - cinq ans.

 Bien sûr rien n'aurait été possible sans l'accord et le soutien de Vanessa, mon épouse depuis sept ans, jolie blonde qui m'adore selon toute évidence et je le lui rends bien.
Plus compréhensive et intelligente que toutes ces femmes qui chargent de soucis et de responsabilités leur conjoint comme une mule avant de lui reprocher d'être chargé elle a parfaitement compris ce qu'impliquaient des tels engagements sur le long terme : elle supporte stoïquement mes absences, mes rentrées tardives et ma fatigue chronique. En contrepartie, financièrement elle est gâtée !

Elle ne travaille pas et s'occupe de notre enfant de trois ans. J'ai beaucoup de chance, nous nous entendons harmonieusement, jamais une dispute.
Heureusement, comme moi elle n'est pas" très portée sur la chose ". Les cabrioles du sexe ne m'ont jamais enthousiasmé et, entre nous, je suis un peu éjaculateur prématuré ce qui n'arrange rien. 

Au début de notre mariage, émue devant ma crainte de la frustrer elle m'avait rassuré :
- Pour moi ce qui est important c'est la tendresse.
C'est sûrement vrai, j'ai lu quelque part la maxime suivante :
- Un homme donne de la tendresse pour avoir du sexe, une femme accorde du sexe pour obtenir de la tendresse.
 Finalement ma femme a de la chance, avec moi elle accède directement à la tendresse sans passer obligatoirement par la case " sexe ", de plus ça m'arrange.

Depuis quelque temps une ou deux fois par semaine elle m'appelle dans l'après-midi et me dit :
- J'avais simplement envie d'entendre le son de ta voix. Tu rentres tard ce soir ?
Vous vous rendez compte ? Après sept ans de mariage elle m'appelle juste pour entendre le son de ma voix, j'en ai les larmes aux yeux.
Très cultivée elle me cite souvent Paul Eluard écrivant à Gala sa grande passion amoureuse :          " "J'entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde ".
Une telle comparaison me flatte infiniment…


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Un mercredi matin une jeune femme a poussé la porte de mon cabinet. Je n'avais jamais vu personne si …comment qualifier mes impressions ?
 Vous voyez Demi Moore dans le film " Proposition indécente " ? à la fois très féminine et garçon manqué, réservée et délurée, timide et provocante, trouble, femme enfant et rassurante, toute en contradictions et j'aimais beaucoup cela.
 Elle était belle comme la femme d'un autre !

Elle s'appelait Aline, venait d'aménager dans une grande maison bourgeoise à Saint Cyr au Mont d'or, joli village de la banlieue chic de l'ouest lyonnais et voulait l'assurer. Comme mon cabinet est situé idéalement près de quelques boutiques de fringues de luxe, après avoir squatté une de mes places de parking elle avait fait ses emplettes puis n'eut qu'à pousser ma porte.

 Un démon de passage me fit déroger totalement à mes habitudes consistant à établir le contrat sur simples déclarations. J'affirmai alors que je devais absolument visiter son habitation pour définir des garanties adaptées et calculer la prime au plus juste. Nous les assureurs avons le sens de l'humour quand nous nommons le prix de l'assurance : une prime !
Rendez-vous fut pris pour l'après-midi quinze heures. Je suivais des yeux sa silhouette parfaite quand elle se retourna en refermant la porte et me lança un regard qui fit monter ma tension de quelques centimètres de mercure. Elle monta avec grâce dans un cabriolet BMW et démarra en trombe, elle me manquait déjà.

A quinze heures tapantes le cœur battant comme celui d'un adolescent le jour de son premier rendez-vous, j'arrêtai ma Rover Evoque devant son portail qui s'ouvrit immédiatement et se referma derrière moi. Manifestement elle guettait mon arrivée.
 Elle me proposa de visiter la maison, but officiel de ma visite, et me précéda dans l'escalier. Moulé dans un legging son joli petit derrière, semblait me dire :
- Avez-vous remarqué que j'avais un beau cul ?
Après avoir fait " le tour du propriétaire " (faire le tour de la propriétaire eut été plus rapide vu la minceur de sa taille) elle m'offrit un café.

    Une bonne odeur s'échappait d'une antique cafetière en porcelaine, deux tasses, deux soucoupes et quelques biscuits nous attendaient sur un plateau. Elle me pria de m'asseoir, galamment je remplis les tasses avec précaution pour ne pas renverser de café sur les soucoupes et lui en tendis une, nos mains se frôlèrent. Elle avait de très belles mains avec de longs doigts dont chaque mouvement semblait esquisser une fabuleuse gestuelle sensuelle.

   Mon ventre s'enflamma, la rigidité soudaine de mon sexe me prit par surprise, il ne m'avait pas habitué à un tel comportement offensif jusque-là. Le désir masculin est un grand mystère, il s'invite souvent sans façon quand on ne l'attend pas et timide, refuse parfois de se montrer quand on tente de le convoquer à date prévisible. Une vieille chanson des Seventies disait, au second degré : « Ils font l'amour le samedi les gentils, ils font ça n'importe quand les méchants. » Que dieu nous garde de cette gentillesse imbécile, limitative de nos appétits et nous pardonne nos méchantes mais délicieuses envies spontanées.

Son parfum discret m'enchantait. Elle se rapprocha quand je sortis le contrat provisoire, nos jambes et nos épaules se touchèrent par inadvertance, un frisson parcourut alors mon corps.
   La peur de ne pas pouvoir maîtriser mon membre viril qui ne désarmait pas me troubla. Adolescent, en dansant avec une copine qui me collait de près, j'avais pris une envie subite et éjaculé spontanément dans mon slip ce qui avait beaucoup fait rire la fille quand je le lui avais ingénument avoué, elle m'avait surnommé un peu facilement "Lucky Luke, l'homme qui tire plus vite que son ombre". Vous comprenez maintenant ma crainte de revivre la même mésaventure qui cette fois risquait de ne pas m'amuser du tout.

Subitement, sans prévenir, d'un geste gracieux elle fit passer son pull noir par-dessus sa tête, ébouriffée elle me décocha un petit sourire espiègle, deux petits seins nus, impertinents et adorables me firent face, impatients d'être délicatement câlinés.

Je n'avais jamais trompé Vanessa. Vu les mœurs de notre époque c'est difficile à croire mais c'est vrai, comment mentir et risquer de faire du mal à une femme si loyale ?
 Tétanisé et en panique, envies, doutes et angoisses tournaient dans ma tête, mes mains traîtresses se tendaient déjà pour caresser la belle Aline, un début de culpabilité délicieuse poignait à l'horizon de ma fidélité chancelante quand se produisit l'impensable.

- Attends, me tutoya la jolie tentatrice, j'en ai pour une minute, simple vérification.
Elle prit alors son téléphone :
- Allô chéri, je te dérange ? Non, tout va bien je voulais simplement entendre le son de ta voix. Tu rentres tard ce soir ? 21 h. Ok.  Bisous mon cœur.

Se tournant vers moi, d'une voix douce terriblement sensuelle elle me tint un discours élégant dont la philosophie me donna toutefois la nausée :
- Voilà, mon mari est effectivement enchaîné à son bureau, maintenant on est tranquilles. Il est notaire et comme il a racheté la clientèle de son patron, il travaille beaucoup et rentre très tard, alors il ne s'occupe pas beaucoup de moi il ne peut pas être partout. Bien sûr je suis gâtée financièrement mais cela ne suffit pas toujours. Quelquefois l'Avoir ne satisfait pas pleinement l'Être, dans la journée je m'ennuie terriblement et il faut bien que je m'éclate un peu.

Manifestement décidée à profiter de ma présence pour rassasier son joli corps si délaissé elle exigea :
- Embrasse-moi !

 Je voulais simplement entendre le son de ta voix ? avait-elle dit à son mari.  Mon cœur et mon corps étaient glacés, j'ai rangé mes papiers, suis parti sans un mot et …sans la prime !

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Hier dans l'après-midi quand Vanessa, mon épouse adorée, m'appela juste pour entendre le son de ma voix ma réponse fut :
- Je te manque ? je rentre tout de suite.

En arrivant chez moi cinq petites minutes plus tard il me sembla qu'elle était moyennement contente de mon retour précipité, une odeur de café flottait dans l'air et, ouvrant sournoisement la porte du lave-vaisselle je vis deux tasses rangées  dans le panier du haut.

Relisant un jour la biographie d'Eluard j'ai découvert que Gala, la femme pour laquelle il avait   écrit : " j'entends  vibrer ta voix dans tous les bruits du monde " l'avait longuement et honteusement trompé avec Max Ernst puis s'était finalement mariée avec Salvador Dali...

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A celles qui sont déjà prises
et qui, vivant des heures grises
auprès d'un être trop différent
nous ont, inutile folie, 
laissez voir la mélancolie 
d'un avenir désespérant.







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Cette histoire est extraite du livre vendu sur Amazon, Fnac, Cultura etc...


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site web     http://serge.boudoux.fr 



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