dimanche 1 avril 2018

Histoires décapantes, parution n° 2, par Serge Boudoux

 

Le petit pont romain : épisode 2/3


Je rentre en catastrophe chez moi, fouille mon sac à dos et en sors le carnet désormais orphelin. Mesurant environ 18 cms par 12 cms il est constitué d'une cinquantaine de feuilles en papier grossier reliées ensemble, la première et dernière page sont collées contre la couverture en cuir brut, le tout fermé par un lien en cuir également.  La petite femme m'a demandé de ne pas le lire avant dimanche mais maintenant elle est morte alors la promesse ne tient plus, quelques heures en plus ou en moins ne comptent pas face à l'éternité.
 Eternité, c'est très long non? ce concept est difficile à imaginer.  Un an dix ans sont des périodes qu'on se représente aisément mais éternel ? Je ne réalise pas très bien, que fera-t-on pendant tout ce temps et avec qui ? Passer l'éternité avec certaines personnes ne me tente guère !

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 Une calligraphie élégante couvre une dizaine de pages, diverses  couleurs d'encre montrent que l' auteure s'y est reprise à plusieurs fois comme il sied ( du verbe seoir) habituellement  à la rédactrice d'un journal intime pour décrire les mille et une petites péripéties de son existence :

" Je m'appelle Maria Collado, je suis mariée depuis quinze ans avec Christopher Larksons. Mon mari est un peintre talentueux natif de Suède, je l'ai toujours beaucoup admiré. Nous avons vécu longtemps à Paris dans le Marais où nous avions déniché un appartement en rez de jardin avec un atelier d'artiste  orienté plein nord, offrant ainsi la lumière idéale pour un peintre. Nous n'avons pas eu d'enfant.

 Notre rencontre date du jour où jeune étudiante en architecture j'assistai à un cours de dessin donné par Christopher. Le choc fut réciproque je crois, il cherchait un modèle pour un tableau, le lendemain j'étais chez lui et le soir même dans son lit, de ce jour nous ne nous sommes plus quittés. Notre amour était de ceux que l'on décrit comme fusionnels, un jour sans lui m'était inenvisageable, je serais morte étouffée par l'angoisse s'il s'était éloigné plus d'une demi-journée de moi. J'aimais tout de lui, son odeur, sa voix, ses cheveux, ses yeux, sa peau, tout ! Nous étions heureux jusqu'à ce jour du  20 décembre 2013 où cela a commencé. Je suis entrée dans son atelier pour lui apporter du café, il m'a regardée comme s'il me voyait pour la première fois  et m'a demandé:

-  Je peux vous aider madame, vous cherchez quelque chose?

Bien sûr j'ai cru tout d'abord qu'il plaisantait mais l'expression de son visage m'a terrifiée,  ses beaux yeux bleus étaient vides, il ne me reconnaissait pas. Heureusement une minute plus tard  mon Christopher, mon magnifique Suédois me souriait, il était de retour là devant moi je croyais avoir rêvé.

Depuis quelque temps j'avais remarqué qu'il perdait par moment la mémoire, il cherchait des mots, des dates, il s'égarait parfois dans Paris. J'en étais venue à  le soupçonner d'avoir une maîtresse et d'utiliser cette excuse pour expliquer ses heures d'absence, ce temps d'amour qu'il me volait. Il était si beau et il était à moi, je n'aurais pas supporté qu'une autre me le prenne, j'aurais mieux aimé le voir mort.

Deux jours plus tard je l'ai retrouvé en larmes assis par terre, il avait détruit son tableau à coups de couteau. Craignant un méchant état dépressif je l'ai traîné chez un de nos amis médecin généraliste qui nous a reçu en urgence.

Il a ausculté Christopher :

Taille 1m80

Tension 13 / 7

Poids  80 kgs

Pouls 60

Température 37.2 °

Il a même vérifié l'état de sa prostate puis lui a posé des questions.

- Peux-tu compter de 100 à 0 en retranchant 9 chaque fois .

Mon bel amour a décompté rapidement 100, 91, 82, 73, 64 etc… sans se tromper une seule fois, déclenchant mon admiration j'aurais bien été incapable de faire de même. Je commençais à me rassurer.

- Quelle est ta date de naissance ?

- 1er juillet 1959

- En quelle année et quel jour sommes-nous ?

- 2011. Le jour je ne sais pas .

 Le médecin m'a regardé, dubitatif, nous étions en 2013

- Qui est président de la république ?

- Jacques Chirac.

La bonne réponse était François Hollande.

J'ai lu je ne sais où que la perte de la mémoire récente est un signe inquiétant, sur mon insistance il a appelé immédiatement un neurologue de sa connaissance.

Après une I r m, un Pet scan, une analyse du liquide Céphalo-rachidien, le diagnostic fut posé, terrifiant, il s'agissait vraisemblablement d'un début de maladie d'Alzheimer.

Je vous passerai les explications techniques nombreuses et variées: plaques séniles protéines amyloïdes protéines Tau, derrière lesquelles les médecins s'abritèrent pour nous avouer qu'ils ne connaissaient rien de cette maladie. Il n'existe aucun traitement à part une légère régression des symptômes pour ceux bénéficiant d'une activité physique régulière et du régime alimentaire dit régime méditerranéen.

Cette saloperie d'Alzheimer est mortelle à coup sûr, espérance de vie  8 ans.

Christopher a été très courageux, il m'a fait promettre de lui permettre d'avoir une mort digne avant qu'il ne soit devenu un légume.

Nous avons vendu immédiatement tous nos biens et sommes venus habiter à Callian. Malgré nos longues promenades journalières et la mise en place du fameux régime méditerranéen  chaque jour mon beau suédois se transformait et dégénérait un peu plus. Une seule chose le raccrochait encore à l'humanité: la peinture. Il a peint pour moi pendant ces derniers mois sa plus belle toile me représentant sous la cascade près du petit pont romain.

Hier  il a fait une crise de démence, en hurlant comme un loup il m'a saisi à la gorge et a serré très fort. Je ne me suis pas débattue, je l'ai regardé droit dans les yeux sans un mot, il m'a lâchée, pendant les rares minutes où il a retrouvé un peu de conscience il a dit en pleurant :

- Maria tue moi avant que la bête qui est en moi ne te tue.

Lors de notre mariage le prêtre m'avait fait répéter :

" Christopher je te prends pour mon époux, pour t’avoir et te garder dès ce jour et à l’avenir, que tu sois meilleur ou pire, plus riche ou plus pauvre, en maladie ou en santé, pour t’aimer et te chérir jusqu’à ce que la mort nous sépare selon la sainte ordonnance de Dieu et sur cela je t’engage ma foi."

Je ne suivrai pas les préceptes de la religion, il n'est pas question que la mort nous sépare. J'ai promis de lui permettre d'avoir une fin humaine, pour moi la seule fin digne de lui est celle où nous décidons de mourir ensemble, vendredi nous avalerons chacun un tube entier de somnifères pendant un de ses rares moments de lucidité, il s'en ira ainsi comme un homme. Je l'accompagnerai dans son dernier voyage je ne peux pas le laisser partir seul, que ferait-il si loin sans moi pour m'occuper de lui ? J'ai terriblement peur de la mort mais j'ai encore plus peur de la vie sans lui, j'espère que j'aurai le courage nécessaire au dernier moment. Quand vous lirez ceci nous serons en route pour le pays d'où personne ne revient, pensez quelquefois à nous.

Christopher je ne quitterai jamais, je t'aimerai toujours. "

 
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Quelques gouttes d'émotion pure  perlent discrètement au coin de mes yeux malgré moi, ma femme s'inquiète:       

 - Mais tu pleures ?

 Je l'ai prise dans mes bras et l'ai serrée très fort après lui avoir tendu le carnet, je ne pouvais pas parler. Cinq minutes plus tard elle était en larmes à son tour.

L'après-midi, au rayon poissonnerie du magasin Leclerc je discutais du drame de Callian avec Mathieu, Sofiane et Sylvie, un gros homme rougeaud s'est mêlé à notre conversation:

- Il faut vraiment être con pour se suicider ainsi.

Je lui ai répondu :

- Il n'y a pas plus jouissif que d'être pris pour un con par un imbécile.

Il est parti fâché en me maudissant.

 

Demain je descendrai jusqu'au petit pont romain et jetterai deux roses dans la rivière en souvenir de Maria et Christopher, ce sont eux qui ont écrit la plus  belle histoire d'amour qui se puisse imaginer, elle s'est terminée par "je t'aimerai toujours " comme le voulait Maria.

 La petite femme m'a infligé deux belles leçons sans le savoir :

- humilité pour l'écrivain

- humanité pour l'homme …

et suscité des questionnements propres à  alimenter un gros cafard :

- Y a-t-il quelque chose après la mort, si oui où va-t-on, Maria accompagnera-t-elle éternellement son beau Suédois, celui-ci aura-t-il retrouvé son intégrité intellectuelle, retournerai-je à la poussière dont toute chose est issue ou survivrai-je ad vitam aeternam?

En attendant les réponses je vais m'auto-médicamenter pour soigner ce blues existentiel. Le seul remède connu contre cette indisposition psychologique passagère est la dégustation d'une bonne grosse côte de bœuf grillée au feu de bois servie avec des frites bien grasses, le tout arrosé d'un ou plusieurs verres de bourgogne ou de bordeaux, en compagnie de quelques vieux potes prompts à dire du mal de gens que l'on connait. ( si on ne dit pas du mal des gens que l'on connait de qui  va-t-on dire du mal ?)

Bordeaux, bourgogne? encore une interrogation angoissante.

 
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Un mois plus tard  je ressors le carnet et relis plusieurs fois la confession de Maria.  Je ressens tout d'abord le même trouble puis après avoir pris un peu de distance émotionnelle une anomalie m'interpelle. Le texte, bien que de diverses encres, semble rédigé en une seule fois sans rature ni faute, y compris les termes médicaux compliqués, je vous défie d'écrire : la maladie d'Al…..mer ou protéines am…..es  correctement du premier coup, essayez. Sans doute recopié après mise en forme et corrections il est trop parfait pour ne représenter qu'un journal intime mis de côté  provisoirement et repris au gré des évènements comme il  paraissait l'être en première lecture.

 Bien sûr cela ne signifie pas  grand-chose mais la nuit suivante je reste éveillé, une phrase du message posthume tourne en boucle dans ma tête:

 "Il était si beau et il était à moi je n'aurais pas supporté qu'une autre me le prenne, j'aurais mieux aimé le voir mort."
 
Je commence à douter. Au début ce n'est qu'un jeu intellectuel, une hypothèse folle qui se transforme en une curiosité angoissante me déchirant le ventre, l'angoisse devient un besoin impérieux je n'en dors plus il faut absolument que je sache.

La suite Jeudi prochain ou  procurez-vous le livre :



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https://livre.fnac.com/a11163855/Serge-Boudoux-Les-tribulations-d-un-lyonnais-en-Provence?omnsearchpos=1

Les habitants du canton de Fayence le trouveront à :

Intermarché

Mag 'presse galerie Leclerc

Casino place du clos Montauroux

Espace culturel Leclerc
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Site web : http://serge.boudoux.fr

 

 

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