Le petit pont romain : épisode 2/3
Je rentre en catastrophe chez moi,
fouille mon sac à dos et en sors le carnet désormais orphelin. Mesurant environ
18 cms par 12 cms il est constitué d'une cinquantaine de feuilles en papier
grossier reliées ensemble, la première et dernière page sont collées contre la
couverture en cuir brut, le tout fermé par un lien en cuir également. La petite femme m'a demandé de ne pas le lire
avant dimanche mais maintenant elle est morte alors la promesse ne tient plus,
quelques heures en plus ou en moins ne comptent pas face à l'éternité.
Eternité, c'est très long non? ce concept est difficile à imaginer. Un an dix ans sont des périodes qu'on se représente aisément mais éternel ? Je ne réalise pas très bien, que fera-t-on pendant tout ce temps et avec qui ? Passer l'éternité avec certaines personnes ne me tente guère !
Eternité, c'est très long non? ce concept est difficile à imaginer. Un an dix ans sont des périodes qu'on se représente aisément mais éternel ? Je ne réalise pas très bien, que fera-t-on pendant tout ce temps et avec qui ? Passer l'éternité avec certaines personnes ne me tente guère !
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Une calligraphie élégante couvre une dizaine
de pages, diverses couleurs d'encre
montrent que l' auteure s'y est reprise à plusieurs fois comme il sied ( du
verbe seoir) habituellement à la
rédactrice d'un journal intime pour décrire les mille et une petites péripéties
de son existence :
" Je m'appelle Maria Collado, je
suis mariée depuis quinze ans avec Christopher Larksons. Mon mari est un
peintre talentueux natif de Suède, je l'ai toujours beaucoup admiré. Nous avons
vécu longtemps à Paris dans le Marais où nous avions déniché un appartement en
rez de jardin avec un atelier d'artiste
orienté plein nord, offrant ainsi la lumière idéale pour un peintre.
Nous n'avons pas eu d'enfant.
Notre rencontre date du jour où jeune
étudiante en architecture j'assistai à un cours de dessin donné par
Christopher. Le choc fut réciproque je crois, il cherchait un modèle pour un
tableau, le lendemain j'étais chez lui et le soir même dans son lit, de ce jour
nous ne nous sommes plus quittés. Notre amour était de ceux que l'on décrit
comme fusionnels, un jour sans lui m'était inenvisageable, je serais morte
étouffée par l'angoisse s'il s'était éloigné plus d'une demi-journée de moi.
J'aimais tout de lui, son odeur, sa voix, ses cheveux, ses yeux, sa peau, tout
! Nous étions heureux jusqu'à ce jour du
20 décembre 2013 où cela a commencé. Je suis entrée dans son atelier
pour lui apporter du café, il m'a regardée comme s'il me voyait pour la
première fois et m'a demandé:
-
Je peux vous aider madame, vous cherchez quelque chose?
Bien sûr j'ai cru tout d'abord qu'il
plaisantait mais l'expression de son visage m'a terrifiée, ses beaux yeux bleus étaient vides, il ne me
reconnaissait pas. Heureusement une minute plus tard mon
Christopher, mon magnifique Suédois
me souriait, il était de retour là devant moi je croyais avoir rêvé.
Depuis quelque temps j'avais remarqué
qu'il perdait par moment la mémoire, il cherchait des mots, des dates, il
s'égarait parfois dans Paris. J'en étais venue à le soupçonner d'avoir une maîtresse et
d'utiliser cette excuse pour expliquer ses heures d'absence, ce temps d'amour
qu'il me volait. Il était si beau et il était à moi, je n'aurais pas supporté
qu'une autre me le prenne, j'aurais mieux aimé le voir mort.
Deux jours plus tard je l'ai retrouvé
en larmes assis par terre, il avait détruit son tableau à coups de couteau.
Craignant un méchant état dépressif je l'ai traîné chez un de nos amis médecin
généraliste qui nous a reçu en urgence.
Il a ausculté Christopher :
Taille 1m80
Tension 13 / 7
Poids
80 kgs
Pouls 60
Température 37.2 °
Il a même vérifié l'état de sa
prostate puis lui a posé des questions.
- Peux-tu compter de 100 à 0 en
retranchant 9 chaque fois .
Mon bel amour a décompté rapidement
100, 91, 82, 73, 64 etc… sans se tromper une seule fois, déclenchant mon
admiration j'aurais bien été incapable de faire de même. Je commençais à me
rassurer.
- Quelle est ta date de naissance ?
- 1er juillet 1959
- En quelle année et quel jour
sommes-nous ?
- 2011. Le jour je ne sais pas .
Le médecin m'a regardé, dubitatif, nous étions
en 2013
- Qui est président de la république
?
- Jacques Chirac.
La bonne réponse était François Hollande.
J'ai lu je ne sais où que la perte de
la mémoire récente est un signe inquiétant, sur mon insistance il a appelé
immédiatement un neurologue de sa connaissance.
Après une I r m, un Pet scan, une
analyse du liquide Céphalo-rachidien, le diagnostic fut posé, terrifiant, il s'agissait
vraisemblablement d'un début de maladie d'Alzheimer.
Je vous passerai les explications
techniques nombreuses et variées: plaques séniles protéines amyloïdes protéines
Tau, derrière lesquelles les médecins s'abritèrent pour nous avouer qu'ils ne
connaissaient rien de cette maladie. Il n'existe aucun traitement à part une
légère régression des symptômes pour ceux bénéficiant d'une activité physique
régulière et du régime alimentaire dit régime méditerranéen.
Cette saloperie d'Alzheimer est
mortelle à coup sûr, espérance de vie 8
ans.
Christopher a été très courageux, il
m'a fait promettre de lui permettre d'avoir une mort digne avant qu'il ne soit
devenu un légume.
Nous avons vendu immédiatement tous
nos biens et sommes venus habiter à Callian. Malgré nos longues promenades
journalières et la mise en place du fameux régime méditerranéen chaque jour mon beau suédois se transformait
et dégénérait un peu plus. Une seule chose le raccrochait encore à l'humanité:
la peinture. Il a peint pour moi pendant ces derniers mois sa plus belle toile
me représentant sous la cascade près du petit pont romain.
Hier
il a fait une crise de démence, en hurlant comme un loup il m'a saisi à
la gorge et a serré très fort. Je ne me suis pas débattue, je l'ai regardé
droit dans les yeux sans un mot, il m'a lâchée, pendant les rares minutes où il
a retrouvé un peu de conscience il a dit en pleurant :
- Maria tue moi avant que la bête qui
est en moi ne te tue.
Lors de notre mariage le prêtre
m'avait fait répéter :
"
Christopher je te
prends pour mon époux, pour t’avoir et te garder dès ce jour et à l’avenir, que
tu sois meilleur ou pire, plus riche ou plus pauvre, en maladie ou en santé,
pour t’aimer et te chérir jusqu’à ce que la mort nous sépare selon la sainte ordonnance
de Dieu et sur cela je t’engage ma foi."
Je ne suivrai pas les préceptes de la
religion, il n'est pas question que la mort nous sépare. J'ai promis de lui
permettre d'avoir une fin humaine, pour moi la seule fin digne de lui est celle
où nous décidons de mourir ensemble, vendredi nous avalerons chacun un tube
entier de somnifères pendant un de ses rares moments de lucidité, il s'en ira
ainsi comme un homme. Je l'accompagnerai dans son dernier voyage je ne peux pas
le laisser partir seul, que ferait-il si loin sans moi pour m'occuper de lui ?
J'ai terriblement peur de la mort mais j'ai encore plus peur de la vie sans
lui, j'espère que j'aurai le courage nécessaire au dernier moment. Quand vous
lirez ceci nous serons en route pour le pays d'où personne ne revient, pensez
quelquefois à nous.
Christopher je ne quitterai jamais,
je t'aimerai toujours. "
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- Mais tu pleures ?
Je l'ai prise dans mes bras et l'ai serrée
très fort après lui avoir tendu le carnet, je ne pouvais pas parler. Cinq
minutes plus tard elle était en larmes à son tour.
L'après-midi, au rayon poissonnerie
du magasin Leclerc je discutais du drame de Callian avec Mathieu, Sofiane et Sylvie, un gros homme rougeaud s'est mêlé à notre conversation:
- Il faut vraiment être con pour se
suicider ainsi.
Je lui ai répondu :
- Il n'y a pas plus jouissif que
d'être pris pour un con par un imbécile.
Il est parti fâché en me maudissant.
Demain je descendrai jusqu'au petit
pont romain et jetterai deux roses dans la rivière en souvenir de Maria et
Christopher, ce sont eux qui ont écrit la plus
belle histoire d'amour qui se puisse imaginer, elle s'est terminée par
"je t'aimerai toujours " comme le voulait Maria.
La petite femme m'a infligé deux belles leçons
sans le savoir :
- humilité pour l'écrivain
- humanité pour l'homme …
et suscité des questionnements
propres à alimenter un gros cafard :
- Y a-t-il quelque chose après la
mort, si oui où va-t-on, Maria accompagnera-t-elle éternellement son beau
Suédois, celui-ci aura-t-il retrouvé son intégrité intellectuelle,
retournerai-je à la poussière dont toute chose est issue ou survivrai-je ad vitam aeternam?
En attendant les réponses je vais
m'auto-médicamenter pour soigner ce blues existentiel. Le seul remède connu
contre cette indisposition psychologique passagère est la dégustation d'une
bonne grosse côte de bœuf grillée au feu de bois servie avec des frites bien
grasses, le tout arrosé d'un ou plusieurs verres de bourgogne ou de bordeaux,
en compagnie de quelques vieux potes prompts à dire du mal de gens que l'on
connait. ( si on ne dit pas du mal des gens que l'on connait de qui va-t-on dire du mal ?)
Bordeaux, bourgogne? encore une interrogation
angoissante.
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Bien sûr cela ne signifie pas grand-chose mais la nuit suivante je reste
éveillé, une phrase du message posthume tourne en boucle dans ma tête:
"Il
était si beau et il était à moi je
n'aurais pas supporté qu'une autre me le prenne, j'aurais mieux aimé le voir
mort."
Je
commence à douter. Au début ce n'est qu'un jeu intellectuel, une hypothèse
folle qui se transforme en une curiosité angoissante me déchirant le ventre,
l'angoisse devient un besoin impérieux je n'en dors plus il faut absolument que
je sache.La suite Jeudi prochain ou procurez-vous le livre :
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https://livre.fnac.com/a11163855/Serge-Boudoux-Les-tribulations-d-un-lyonnais-en-Provence?omnsearchpos=1
Les habitants du canton de Fayence le trouveront à :
Intermarché
Mag 'presse galerie Leclerc
Casino place du clos Montauroux
Espace culturel Leclerc
Pour obtenir un exemplaire dédicacé :
Site web : http://serge.boudoux.fr
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