jeudi 5 avril 2018

Histoires décapantes, parution n° 3, par Serge Boudoux

Le petit pont romain : épisode 3 / 3


 
Une phrase du message posthume tourne en boucle dans ma tête:

 "Il était si beau et il était à moi je n'aurais pas supporté qu'une autre me le prenne, j'aurais mieux aimé le voir mort."

Je commence à douter. Au début ce n'est qu'un jeu intellectuel, une hypothèse folle qui se transforme en une curiosité angoissante me déchirant le ventre, l'angoisse devient un besoin impérieux je n'en dors plus il faut absolument que je sache.

Ma recherche sur internet : Christopher Larksons peintre Paris obtient  en 0,49 seconde  409 000 réponses et une adresse dans le quartier du Marais.

Quinze jours plus tard je propose à ma femme un petit voyage en amoureux. Notre fille s'occupe de la maison et des animaux, nous prenons le TGV à Saint Raphaël et montons à Paris (les gens du Sud "montent" à Paris alors que les Parisiens "descendent " à Cannes bien que sur une sphère il n'y ait ni haut ni  bas.) Après avoir joué aux homo touristicus près des monuments incontournables de la capitale nous abordons le quartier du Marais et nous improvisons  détectives…

 
Je  suis terriblement excité par le résultat de notre enquête. En fait de couple  fusionnel le beau Christopher était plus couvert de maîtresses qu'un chien ne l'est de puces et Maria  lui pourrissait la vie en le poursuivant d'une jalousie morbide, non sans raison. Ils se sont donnés une dernière chance et ont déménagé pour le Sud de la France il y a trois mois.  A son départ Christopher était en pleine forme physique, il jouissait également de toutes ses facultés intellectuelles d'après le barman de son bistrot préféré qui lui procurait souvent des alibis foireux ne dupant personne. Ses retours au foyer après avoir caressé ses  conquêtes étaient souvent houleux comme on peut l'imaginer.

Dans le train qui nous ramène vers le sud, fort de ces nouvelles informations j'élabore une hypothèse:

- Maria voulait peut-être se suicider en entraînant avec elle son mari malgré lui, elle l'aurait drogué puis empoisonné pour se venger d'avoir été bafouée et opportunément profité de notre rencontre inopinée pour inventer une belle histoire où elle se donne le beau rôle en prétendant  mourir pour lui ?

Ma femme se moque ouvertement de moi:

- Mon pauvre homme on voit que tu ne connais pas les femmes, la réalité est sûrement bien plus monstrueuse et perverse, je vais te dire ce qui a dû se passer : Maria n'avait aucunement envie ni intention de mourir, elle a empoisonné son mari et simulé son propre suicide, je le sens depuis le début, mes intuitions me trompent rarement.

Je n'ose souligner sa mauvaise foi lorsqu'elle prétend avoir tout compris depuis le début, comme moi elle a été émue donc leurrée lors de la première lecture du carnet en cuir, elle  poursuit :

 - En partant de Paris tout était sans doute déjà calculé dans son esprit  afin de garder définitivement son mari pour elle seule, à sa manière. Elle écrit dans son journal : il était à moi, je n'aurais pas supporté qu'une autre me le prenne,  j'aurais mieux aimé le voir mort. J'ai retenu et appris par cœur  cette phrase incroyablement lucide qui devrait figurer sur la première page de la déclaration des droits de la femme.  Elle révèle enfin la révolte qui gronde face à la grande injustice dont est victime le sexe féminin.

 
Et là, épouse modèle mais militante, elle inspire profondément avant de m'asséner en apnée cet ahurissant morceau de bravoure qui me laisse sans voix :

- Vous autres grossiers machos imaginez naïvement qu'après avoir usé notre jeunesse à torcher vos marmots, à privilégier votre carrière au détriment de notre épanouissement personnel, à vous serrer dans nos bras pour vous consoler de vos échecs, de votre médiocrité, l'âge venant et notre beauté se flétrissant peu à peu, après avoir été successivement maîtresses, épouses, domestiques et même mamans de nos maris ingrats, nous allons tranquillement vous laisser partir faire les jolis cœurs et les beaux gosses avec une plus belle ou plus  jeune qui  profitera des fruits de tous nos sacrifices sans  avoir rien fait pour les mériter. C'est trop facile messieurs, vous  rêvez.  Plutôt vous voir  crever !

 
Elle reprend son souffle après cette belle envolée lyrique en hommage à la grandeur et décadence du sexe masculin, je profite de l'accalmie pour suggérer timidement  des circonstances atténuantes:

- Tu n'exagères pas un peu ? Christopher témoigne d'un grand amour en acceptant de quitter Paris pour et avec elle.

- Pas du tout, Maria se doutait bien que déménager sous prétexte de se donner une dernière chance ne faisait que déplacer le problème et cachait un piège. Christopher s'octroyait une bonne conscience à bon compte, un jour ou l'autre il l'aurait quittée et serait remonté à Paris libéré de son boulet en la laissant ici ! Cette perspective  étant insupportable, en arrivant à Callian elle a commencé à le droguer pour accréditer la thèse d'une maladie dégénérative.

- Mais pourquoi m'avoir donné son journal intime, je n'ai rien à voir avec eux ?

- Votre rencontre a été l'olive  sur son anchoïade, peut-être même avait-elle repéré le but de tes promenades et s'est-elle placée sur ton chemin, tu es tellement prévisible. Le carnet qu'elle t'a remis en espérant faire le buzz grâce à ta notoriété régionale l'aurait fait passer, après son suicide raté, pour une héroïne digne d'une tragédie grecque, c'était bien joué. Même le coup de la crise de démence où Christopher lui aurait serré le cou, le foulard censé cacher les traces d'étranglement, la difficulté de déglutir sonnent juste, du grand art pour se faire plaindre.  Le jour du drame elle l'a empoisonné, a avalé également des somnifères en croyant avoir tout prévu, elle comptait sur l'arrivée de la femme de ménage pour être sauvée, n'oublie pas qu'à ce moment elle était la seule a être encore en vie.

- Pourtant elle est morte.

- Malheureusement quelque chose n'a pas  fonctionné parfaitement dans la mise en œuvre de son crime parfait, peut-être tout simplement un retard de la femme de ménage, une insuffisance cardiaque préexistante insoupçonnée ayant pu déclencher un malaise mortel pour quelques cachets de trop, que sais-je ?

 
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Tout ceci n'est qu'hypothèse, Maria était peut-être un ange, probablement un démon, certainement un mélange des deux comme nous le sommes tous ce n'est pas à moi d'en juger,  par contre je crains qu'elle n'ait inculqué de mauvaises idées à une certaine féministe  prompte à se radicaliser qui conclut perfidement  :

-" Moi je ne commettrai pas ces erreurs de débutante, je ne laisserai rien au hasard !"

 
Eberlué je crois avoir mal compris et lui demande de répéter cette dernière phrase en précisant si les verbes commettrai (s) et laisserai (s) sont, dans son esprit, au conditionnel ou au futur, elle répond avec gravité.

- Mes verbes sont au futur. Je ne commettrai pas d'erreur lorsque je te tuerai dans un avenir plus ou moins proche sois-en certain, je préparerai mon affaire d'une manière plus professionnelle, j'ai déjà quelques idées… J' me comprends ! Tu croyais que je n'avais pas remarqué ton manège avec cette petite merdeuse de T……

 
Coupable on tient toujours prêtes les réponses adéquates mais lorsqu'on a rien à se reprocher il est difficile de trouver les mots justes pour se défendre, tous les innocents vous le diront.  Après quelques dénégations maladroites j'ai l'horrible sentiment de n'avoir pas su plaider efficacement pour obtenir le non-lieu que je méritais pour cette accusation précise.
 En réalité entre vous et moi elle n'a pas ciblé le bon objectif, ce n'est pas de la jolie T…. dont elle doit se méfier, ses intuitions la trompent quelquefois tout de même hé hé !

   Désormais prudent, je préfère  me faire ma cuisine, me servir mes boissons moi-même
 

et

 

 si vous apprenez un jour que je suis atteint de démence ou que je me suis suicidé,

 

 de grâce n'en croyez pas un mot.

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Pour obtenir un exemplaire dédicacé  ou notifier STOP ou ENCORE

Site web : http://serge.boudoux.fr 

 


Prochaine histoire : tour sarrasine, tour assassine ? 


 Cette histoire est extraite du livre :



https://www.amazon.fr/Tribulations-dun-Lyonnais-Provence/dp/2407003837/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1511252708&sr=8-1&keywords=les+tribulations+d%27un+lyonnais+en+provence&dpID=61Ijen1JwjL&preST=_SY291_BO1,204,203,200_QL40_&dpSrc=srch


https://livre.fnac.com/a11163855/Serge-Boudoux-Les-tribulations-d-un-lyonnais-en-Provence?omnsearchpos=1

également : Cultura ( uniquement en ligne, stock magasin épuisé))
                    Decitre,
                    Chapitre
 
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