jeudi 26 avril 2018

Histoires décapantes : parution n° 6 par Serge BOUDOUX




La Chapelle Saint Saturnin



En route pour la chapelle Saint Saturnin j'étais loin de me douter que j'allais résoudre un des mystères les plus lancinants de ces dernières années.


Après le petit pont romain, la mini cascade et les anciens lavoirs que vous connaissez déjà le chemin monte, descend, remonte, je traverse deux fois l'aqueduc à ciel ouvert qui achemine l'eau potable à Grasse et Cannes, une fois dans le sens ascendant une fois dans celui descendant, franchis un petit ravin sur une passerelle de fortune faite de quelques poteaux téléphoniques en bois joints par de grosses tiges en fer boulonnées.
 Une des rares tortues d'Herman vivant  encore en liberté croise mon chemin, du haut d'un chêne un écureuil agonit d'injures Happy ma petite chihuahua indignée. Elle feint toutefois l'indifférence, ne se considérant pas du même milieu social que ce rongeur-grimpeur sauvage et mal poli.
 Les animaux ont, tout comme nous, une bourgeoisie qui se méfie des gueux !


.Après une heure de marche  la  chapelle se découvre au dernier moment au détour du chemin, loin de tout, au milieu de nulle part. C'est une bâtisse basse rectangulaire en pierres grossièrement crépies, mangée par le lierre sauvage, son toit est couvert de tuiles rondes, un porche arrondi tenu par un gros pilier rond central peint en blanc protège l'entrée.

Je pose mon sac à dos sur la banquette en pierre située sous le porche, donne un peu d'eau à Happy avant de m'abreuver, tire la chevillette pour faire choir la bobinette comme préconisé par la mère-grand du petit chaperon vert ( vu par un  daltonien) et pousse la porte d'entrée.
Je ne sais pas si comme moi, durant des années vous vous êtes demandés ce que pouvait bien signifier "la bobinette cherra" avant de comprendre qu'elle avait chu ?

L'intérieur est tout petit, à peine éclairé par quatre meurtrières étroites grillagées et un minuscule œil de bœuf, il fait presque froid, le contraste avec la température extérieure est saisissant. Une statue de Notre Dame de la Salette surmonte l'autel sur lequel sont posés une photo du pape Jean Paul premier, quelques cahiers d'écoliers, un crayon de papier et deux stylos billes. Trois  bancs en bois de dimensions différentes, un balai constituent  tout le mobilier de la chapelle, une petite banquette maçonnée carrelée en terre cuite court le long des murs.

Je m'assieds sur un banc et feuillette les cahiers, livres d'or improvisés dans lesquels des générations de marcheurs de toutes nationalités ont confié leurs impressions.

Un texte récent retient mon attention : " mon frère est mort, il disparait peu à peu de la mémoire des vivants comme un voilier s'éloignant à l'horizon, puisse Dieu le mener à bon port jusqu'à son paradis dont cette chapelle parait l'antichambre."

C'est joliment dit, non ?

Certains ont écrit en anglais, d'autres en allemand, en italien, en mauvais français mais tous, je présume, soulignent la sérénité et la beauté du lieu.

En tournant les pages, un autre message daté d'avril 2011 m'interpelle:

 " X.. doit me rejoindre ici demain, que dieu nous pardonne de toute cette horreur et nous protège !  Isabelle. "

 Propos sibyllins et inquiétants.

 Sous les regards bienveillants de notre Dame de la Salette et Jean Paul Premier on peut imaginer que la protection et le pardon divins demandés devraient être accordés à ladite Isabelle sauf  péchés gravissimes classés dans la catégorie " mortels " par les dévots.

Des aboiements m'arrachent à ma lecture, je sors rapidement, ma petite chienne ne craignant ni dieu ni diable j'ai toujours peur qu'elle prenne une vipère à partie, si elle était mordue ici vous imaginez les dégâts.

En fait de vipère Happy aboie en grattant frénétiquement le sol au pied d'un des murs de la chapelle. Après quelques secondes émerge de terre un objet brillant  qu'elle saisit entre ses mâchoires et dépose fièrement à mes pieds, je la récompense avec un morceau de biscuit gardé en réserve il faut bien se permettre un excès de temps à autre.


L'objet maculé de terre est gluant de salive canine, il s'agit d'une boite rectangulaire en plastique transparent. Je la nettoie, l'ouvre et en extrais une clé USB entourée de papier essuie- tout.

Après mon casse-croûte j'allume mon ordinateur et introduis ma découverte sur le côté.

Vous connaissez l'expression " le ciel me tombe sur la tête ", oui ? Bon eh bien là les bras m'en tombent, jugez-en par vous-même.


Contenu de la clé USB :

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Montauroux le 15 Avril 2011.

Pour ma sœur bien-aimée.

 En Mars 2010, X.. m'a transmis ce message:

 " Isabelle, je suis ruiné, au fond du trou. Si ça tourne mal, je n’ai que deux solutions, me foutre en l’air avec ma voiture ou foutre le feu à la baraque quand tout le monde dort. Je suis très sérieux, lucide et sous l’emprise d’aucune drogue ni d’aucun alcool. Je serai donc fin août-début septembre au pied du mur avec une décision définitive à prendre : suicide seul ou suicide collectif… "

Tu comprends mieux pourquoi X.. me fait peur mais je l'aime, je l'ai dans la peau. Quand nous nous sommes rencontrés à Nantes il cherchait une secrétaire, j'ai immédiatement été séduite par cet homme si attirant, je l'admirais il brassait tellement d'affaires. Nous nous sommes aimés malgré qu'il soit marié mais il m'a promis de tout quitter pour moi, femme et enfants.

Ses affaires ont mal tourné, il a été obligé de me licencier je suis revenue dans le Var près de toi ma sœur bien-aimée, c'est là que j'ai appris le drame mais je ne crois pas ce qu'écrivent  les journalistes , il ne peut pas avoir fait ça.

 Je ne t'ai rien dit mais il a repris contact avec moi, j'ai passé la nuit du 12 avril avec lui à l'auberge de Cassagne au Pontet. Hier il m'a appelée de Roquebrune sur Argens, il me demande de lui trouver une cachette sûre pour quelques jours, à l'écart du monde il a insisté sur ce point, et de prévoir son ravitaillement.

La seule cachette sûre à l'écart du monde que je connaisse est la portion ancienne et désaffectée du canal qui traversait la colline, il y a plus confortable mais personne ne va jamais là-bas, c'est la bouche d'entrée de l'enfer dit-on aux enfants pour qu'ils s'en  tiennent loin.

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J'ai déjà une petite idée de l'identité de X.. mais il n'y a  pas de connexion internet ici pour vérifier mes intuitions et mon mobile ne capte rien.
Je range précieusement la clé USB dans mon sac, plie mes affaires, siffle Happy et repars. Je vais jusqu'à l'aqueduc et suis ses berges en remontant le courant.


Trente minutes plus tard  l'entrée de la portion ancienne désaffectée me fait face, telle une bouche édentée.




Je pénètre dans ce petit tunnel noir et avance courbé pendant une cinquantaine de mètres. Arrêté par des troncs d'arbres qui bouchent le passage, je débarrasse les quelques gros cailloux placés sur le haut de la pile de rondins. La lampe de mon portable éclaire un petit réduit,  ils sont là, une femme et un homme d'après leurs vêtements, enfin ce qu'il en reste. Une carabine 22 long rifle, quelques sacs en plastique sont posés au sol, l'odeur est insupportable je pose un mouchoir sur mon nez, ressors en catastrophe et vomis mes tripes.


Revenu chez moi Google interrogé confirme mes intuitions, la dernière trace qu'on ait de lui est un retrait de 30 € à un distributeur du village de Roquebrune sur Argens situé à 36 kms de Montauroux. le 23 juin 2011 des spéléologues ont fouillé une quarantaine de cavités naturelles du rocher de Roquebrune à sa recherche.

X. est fortement soupçonné mais toujours présumé innocent du meurtre de sa femme et de ses quatre enfants  aussi je vous laisse le soin de trouver son nom vous l'avez sans doute déjà deviné, en tout cas pour moi il est allé au bout de sa logique meurtrière.
 Comme lui, en 1993 un faux médecin avait exécuté sa femme, ses deux enfants et ses parents avant de louper sa sortie en avalant des barbituriques périmés depuis dix ans, il avait épargné sa maîtresse d'extrême justesse. Goebbels le ministre de la propagande nazie avait fait encore plus fort, empoisonnant ses six enfants et  se donnant la mort avec sa femme comme on dit dans les livres, je crois que personne ne le regretta, dommage qu'il ait tant attendu pour porter sa vilaine âme à son ami le diable.

Vous et moi sommes maintenant les seuls êtres sur terre à savoir la vérité sur la cachette de celui que tout le monde recherche, nous la garderons pour nous provisoirement, mais nous avons troqué la résolution d'un mystère  contre deux énigmes  encore plus obsédantes :

- Que peut-il se passer dans la tête d'un homme pour que ses échecs l'amènent à supprimer tous les gens qui l'aiment. Est-ce la marque d'un Ego démesuré? Comme beaucoup d'entre nous j'ai connu bien des échecs, je ne sais pas s'ils m'ont rendu plus fort comme on le prétend mais je n'ai jamais pensé à détruire qui que ce soit, je suis juste plus prudent.

- Pourquoi Isabelle a-t-elle enterré en catastrophe cette clé USB en guise de bouteille à la mer au pied du mur de la chapelle ? Peut-être X.  est-il arrivé avec la carabine à la main ce qui lui a ôté ses peaux de saucisson des yeux, le saura-t-on un jour ? Si vous avez d'autres explications je suis preneur.

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 De peur de choquer certaines ou certains j'ai beaucoup hésité à vous faire part  de certaines réflexions plus tardives. Si vous me  promettez de ne pas m'en vouloir je vous les livre.
D'accord, vous êtes sûr ? Alors voici :
La protection divine réclamée par Isabelle dans son message écrit  sur la page du cahier d'écolier n'a manifestement pas été accordée.

 Quant au pardon espéré, vu le carnage il est à craindre que la proximité et le parrainage de Notre Dame de la Salette et Jean Paul Premier ne suffisent pas, mais sait-on jamais, les exemples fameux de bienveillance complice et inexplicable du ciel ne manquent pas :

Les foudres célestes détruisirent Sodome dont les habitants voulaient un peu caresser les fesses de deux anges tentateurs descendus sur terre mais elles  épargnèrent le nommé Loth apparemment innocent comme l'agneau au milieu d'une horde de loups.

Sa vieille femme à peine transformée  en statue de sel par suite d'une vilaine curiosité, Loth  se laissa enivrer par ses propres filles et s'empressa de forniquer avec elles en toute ingénuité et simplicité. Notez bien que la responsabilité de l'inceste revint aux filles, les hommes ne sauraient être coupables de telles perversions ( ben tiens donc), la bible insiste sur le fait ce n'est pas moi qui l'invente.
Et le grand manitou ne trouva rien à redire !

 Les mêmes forces jupitériennes, pourtant toutes puissantes si l'on en croit le sort réservé à Sodome, auraient donc pu arrêter l'abomination des camps de la mort mais elles ne furent pas employées.

 Il est à croire que les quelques six millions d'humains, femmes, enfants, hommes, vieillards exterminés dans des souffrances abominables ne méritaient pas quelques éclairs défensifs et protecteurs, peut-être a-t-on considéré en haut lieu éternel que les fesses des victimes n'étant pas touchées ni lorgnées avec concupiscence on pouvait fermer les yeux.

 Les voies du Saigneur ( le seigneur étant absent quand on a besoin de lui) sont vraiment impénétrables.

 Contrairement aux filles de Loth !


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Vous avez promis de ne pas m'en vouloir  je vous le rappelle !



Cette histoire est extraite du livre :



Pour un exemplaire dédicacé, un contact ou accéder aux liens marchands :




Prochaine parution : Au sommet du Mont Vinaigre.


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