Le paradoxe du grand-père
Attention histoire folle à lire au moins deux fois
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Première
partie : Les fantômes du souvenir
Morestel ( Isère ) Juillet 1965.
Récit de Charlie :
Dans
le champ fleuri proche du petit étang d' Iselet une fille brune était allongée
sur le ventre, presque nue. Bronzée dans
son lit vert où la lumière pleut sa peau couleur miel m'attirait
irrésistiblement, je m'approchai doucement pour ne pas l'effaroucher et la
saluai :
-
Bonjour !
Apparemment
peu craintive, elle referma lentement le magazine " Nous Deux "
qu'elle feuilletait, tourna simplement la tête,
aperçu mes pieds dans l'herbe, s'assit et s'étira avec un petit soupir
de plaisir :
-
Salut, on se connait ?
Elle
avait un adorable petit accent indéfinissable et de grands yeux noirs, de longs
cheveux bruns encadraient et mettaient en valeur son joli visage bruni par le
soleil, elle ressemblait à une princesse indienne. Je n'avais jamais encore vu
fille si belle,
Mal
à l'aise dans mon grand corps de 17 ans émacié par ma pratique du marathon et
de la musculation j'étais très impressionné, presque désespéré, malgré mon
torse musclé mes cheveux blonds frisés et mes yeux verts il me parut impossible
de plaire à une telle beauté. Je bredouillai :
-
Non on ne se connait pas mais justement j'aimerais vous connaître.
-
Pourquoi ?
-
Pourquoi quoi ?
-
Pourquoi veux-tu me connaître ?
Que
répondre à cela ? Je suis resté muet, je n'avais pas encore le sens de la
répartie qui me caractérise aujourd'hui,
heureusement elle fit les questions et les réponses.
J'aimais
bien discuter avec les filles, c'était facile elles avaient toujours des tas de
choses à raconter, celle-ci ne dérogeait pas à la règle. Gentiment elle me
proposa :
- Assieds-toi à côté de moi.
Après un quart d'heure je savais presque tout de sa
vie : Parisienne, âgée de 17 ans également,
en vacances chez ses grands-parents demeurant cité Logirel, elle
s'ennuyait ferme.
Elle
me prit par la main et décréta :
-
Viens on va se baigner !
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Le
lendemain, un jeudi, je la retrouvai
derrière la Poste et l'emmenai sournoisement du côté de la promenade des amoureux baptisée
officiellement chemin de la Manine ( mot
signifiant à peu près petite main ). Après avoir grimpé le versant du demi cratère creusé, disait-on, par une bombe
de la seconde guerre mondiale tombée là par hasard, nous sommes passés sous les barbelés distendus et montés à
travers les bois jusqu'à la petite
falaise.
Loin du monde, elle m'autorisa à l'embrasser
pour la première fois. Un garçon de 17
ans est bien loin d'avoir la maturité d'une fille du même âge aussi j'eus tout
de suite l'impression d'être un jouet entre ses mains, elle m'excitait puis me
reprochait d'être excité ce qui semblait l'amuser beaucoup. Moi j'étais fou
d'elle et ce n'était pas une simple expression
j'avais perdu la raison, je me
retrouvai dingue de cette fille sans me rendre compte que j'aimais bien
au-dessus de mes moyens ( et même de mes extrêmes, le produit des extrêmes
étant égal au produit des moyens, tout bon mathématicien vous le dira )
Le
vendredi un peu avant 13 h nous nous
sommes rejoints aux " Communaux ", elle avait emprunté le solex de sa
grand-mère, moi j'étais venu à pieds.
Distant
environ de deux kilomètres du centre du village, on accède à ce vaste terrain
boisé et rocheux bordant l'étang de
Roche plage en traversant le hameau de Tuile.
Appartenant à la commune comme son nom l'indique cet endroit discret était le paradis des jeunes amants
baby-boomers de ces années 60 magiques
et folles, porteuses d'espoir et de liberté.
Des
chemins ombragés partant en tous sens longent des taillis touffus et rocailleux
propices à la méditation et à d'autres activités plus physiques. En l'emmenant
là j'avais bien l'intention de la caresser tout mon soûl et bien plus vu nos
affinités.
Ce
jour-là un mini short effrangé en jean
soulignant la splendeur de ses jambes, de ses mignonnes petites fesses et une
chemise ouverte de deux boutons sur sa jolie poitrine, nouée à la taille avec
une négligence calculée furent pour moi un véritable supplice de Tantale.
( Tantale étant un fils de Zeus condamné pour avoir
offensé les dieux. Placé au milieu d’un fleuve et sous des arbres
fruitiers, le cours du fleuve s'asséchait quand il se penchait pour en boire,
et le vent éloignait les branches de l'arbre quand il tendait la main pour en
attraper les fruits. Les dieux mythologiques étaient cruels, souffrir de la
soif si près de l'eau…)
Sans mon excellente éducation la bave aurait
sans doute coulé de mes lèvres.
Je lui murmurai à l'oreille
un petit poème naïf imaginé le long du chemin :
- Aujourd'hui comme
hier et sans doute demain
Je rêverai de toi, tu
me prendras la main
Nous marcherons sans
but dans les rues d'un village
Je te chuchoterai :
surtout ne sois pas sage.
Ses
grands yeux faussement innocents me défiaient, moqueuse elle me
provoqua :
-
Je vois bien que tu ne m'aimes plus ! Tu ne m'as pas encore dit combien je suis
belle.
-
Tu es belle.
-
C'est tout ?
Elle
s'approcha, sa main soupesa mon érection majestueuse, presque douloureuse :
-
Bon, là je te crois.
L'affaire
se présentait bien, nous descendîmes tout au bord de l'étang. Assise
nonchalamment sur un rocher ses jolis petits pieds nus faisaient floc floc dans
l'eau, adossée à un jeune chêne elle
prit des poses langoureuses puis se redressant elle se colla à moi :
-
Embrasse- moi.
Je
l'embrassai longuement sans pouvoir me rassasier. J'adorais son haleine
mentholée, sa peau fleurant bon le lilas. Malade de désir et ne pouvant plus me résoudre à attendre son bon vouloir
j'entrepris de baisser son short, dernier rempart dressé face à ma convoitise. Sa main gauche
bloqua traîtreusement mon geste et d'un ton sévère, tout en pétrissant
perfidement de sa main droite mon sexe au bord de l'explosion, elle me dit :
- Hé ! Qu'est ce que tu fais là ?
Comment
auriez-vous réagi à ma place ?
Dieu m'est témoin que je n'avais aucune
intention mauvaise, juste un besoin irrépressible de lui sauter dessus et
d'assouvir mes envies. Croyant à un jeu d'allumeuse dans lequel oui serait oui
et non signifierait " pas chiche ", je revins à
la charge et tentai fébrilement de déboucler sa ceinture, elle me repoussa, je
vis rouge et voulu la reprendre dans mes bras. Après ce qui me sembla n'être
que quelques secondes de lutte elle gisait au sol. Dans la confusion de notre tendre bagarre d'amoureux elle avait
sans doute glissé et sa belle tête maintenant ensanglantée avait certainement
cogné contre le rocher, sur l'instant je ne compris pas comment une telle chose
avait pu se produire…
Je demandai
bêtement :
- ça va ?
Sans réponse je
m'accroupis et collai mon oreille contre son sein gauche , son cœur capricieux
ne battait plus !
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Elle était
morte. Qui croirait à un accident ? on allait sans doute m'accuser de meurtre,
d'agression sexuelle ou que sais-je, en
tous cas ma vie était foutue.
Après quelques instants de
panique j'essayai de raisonner
rationnellement : personne ne nous avait vu ensemble, rien ne la reliait à moi.
J'ignorais si elle avait évoqué notre relation fugace avec ses grands-parents
mais au point où j'en étais autant me donner une chance alors, ne pouvant plus
supporter de voir ses beaux yeux vides fixer le ciel j'ai traîné son corps sublime dans l'étang.
Peut-être penserait-on qu'elle avait glissé, s'était assommée puis
noyée, les
hypothèses les plus simples étant
les plus vraisemblables ( d'après le principe du rasoir d'Ockham dixit notre prof de philo ) en tous cas
ce n'était pas le moment de m'attendrir ni de traîner ici. Après un dernier
regard en direction du solex, unique témoin heureusement muet, je partis
rapidement. Pour un marathonien comme moi franchir les deux kilomètres pour
rejoindre le centre du village en passant par les bois ne prit que quelques
minutes.
Mes parents chez
qui je vivais encore, commerçants travailleurs et prospères, ne rentraient pas
avant le soir. Je passai rapidement chez moi place Saint Symphorien pour
changer mes habits trempés de transpiration puis, vêtu d'un jean et d'une
chemise propres, me montrai ostensiblement devant la mairie qui venait
d'ouvrir.
Le garde-champêtre Jean L… que nous nommions
Jeannot Lapin vint discuter avec moi, discussion qui se termina mal comme
d'habitude. Notre brave garde-champêtre se prenant un peu pour le shérif se
croyait toujours obligé de sermonner interminablement tous les adolescents
passant à sa portée, les soupçonnant de vols de poules, de tapage diurne,
nocturne ou autres forfaits qui, en comparaison
de ceux des gamins du vingt et unième siècle les feraient passer
aujourd'hui pour des saints.
Ensuite j'allai
boire un sirop d'anis à l'hôtel du Nord et me mêlai aux copains entourant le
juke-box. Michaël le chef incontesté de notre bande de copains venait
d'arriver et m'observait du coin de l'œil.
Quand il me dit
:
- " Tu es
bien beau aujourd'hui, copain Charlie, deux chemises différentes dans une même
journée, tu te maries ? " je crus
qu'il avait tout compris. Je me méfiais de lui j'avais toujours l'impression
qu'il savait lire en moi, il ne m'aimait pas Dieu sait pourquoi ?
" Copain " était le mot et le
concept à la mode, nous avions notre chanson fétiche " Le temps des
copains ", l'émission culte d'
Europe n° 1 " Salut les copains", Brassens chantait " Les copains d'abord " et Sheila affirmait à qui voulait l'entendre
" Vous les copains je ne vous oublierai jamais". Pure et amère
illusion, les copains occupent un très court chapitre dans le livre de notre
vie, à peine le mot " aimer "
est-il écrit sur la page de notre adolescence que celle de la vieillesse où
trône le mot " mort " est déjà sous nos doigts.
Depuis peu le
patron des lieux, petit homme maigre à face de rat, avait construit une grande
salle équipée de machines ultra modernes attirant comme des mouches les jeunes
du canton : flippers, bowling et même ce jukebox qui, avalant nos quatre sous
d'argent de poche, permettait d'écouter en boucle les derniers tubes américains
: Le twist de Chubby Checker, les
chansons d'un certain Elvis Presley et celles d'un jeune chanteur français : Johnny
Hallyday. Tous ces sons et ces danses hystériques nous rendaient fous.
Je restai là l'après-midi entier, mon cœur
tapait très fort, le beau regard de ma princesse indienne me hantait comme
celui de Dieu poursuivant Caïn dans sa fuite après le meurtre de son frère Abel :
au
fond des cieux funèbres,
Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l'ombre fixement.
Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l'ombre fixement.
La fin du poème de Victor Hugo
tournait sans arrêt dans ma tête :
Quand on eut sur son front fermé le souterrain
L'œil était dans la tombe et regardait Caïn.
Allais-je moi aussi voir
éternellement cet œil accusateur ?
Vers dix-neuf
heures une rumeur commença à se répandre: on avait retrouvé le corps sans vie
d'une jeune fille flottant dans l'étang de Roche Plage.
Les gendarmes
firent les premières constatations.
L'enquête fut
difficile, personne n'ayant rien vu ni rien entendu. En 1965 l' ADN étant
encore à découvrir on se perdit en
conjectures. Le médecin légiste fixa approximativement l'heure de la mort entre 15h et 17h, sa
conclusion devint parole d'évangile. On envisagea, entre autres, la piste d'un
meurtre mais faute d'éléments probants et de suspect après quelques semaines
l'affaire fut classée dans la catégorie : accident .
Je ne fus jamais
inquiété. De toutes façons à l'heure officielle de la mort je discutais avec
Jeannot Lapin puis passais
l'après-midi avec mes
copains, mon alibi était béton…
A la rentrée des classes je partis poursuivre
mes études en Angleterre puis aux States, mes parents tenant absolument à me
doter d'un solide bagage intellectuel ce dont je les remercie. Ils se
débrouillèrent également pour que, reconnu objecteur de conscience, je sois
exempté du service militaire.
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Aujourd'hui j'ai
soixante-dix ans et je vous jure que pas un jour ne se passe sans que je ne
pense à elle !
Certains soirs de lassitude
Tout en peuplant ma solitude
Des fantômes du souvenir
Je pleure les lèvres absentes
De cette belle passante
Que malgré moi j'ai fait mourir.
Malgré moi ? Je
peux maintenant vous dire la vérité il y a prescription, presque chaque nuit
depuis toutes ces années je revois la scène : fou de frustration je ramasse une
grosse pierre et frappe violemment la jolie tête de ma princesse indienne puis
me frotte fiévreusement contre son corps inanimé avant d'éjaculer dans mon caleçon !
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24 Décembre
2018.
Pour la première fois depuis si longtemps,
contacté par l'intermédiaire des réseaux sociaux, je suis revenu à Morestel à l'occasion d'un banquet
organisé par les copains nés comme moi en l'an de grâce 1948 pour fêter
nos 70 ans.
A l'époque on ne
disait pas " l'année " mais
" la classe 1948 " et les gens de la classe étaient des
"conscrits" !
J'espérais que
cela se passerait bien, j'étais un peu angoissé à l'idée de revenir ici et
croiser le regard de Michaël mais
après tout je ne lui devais rien et peut-être cela m'aurait-il permis
d'exorciser certains dém …
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Morestel (
Isère ) 31 décembre 2018.
Récit de Michaël
Je suis à
la retraite depuis onze ans.
" Ô vie heureuse des bourgeois qu'avril bourgeonne
ou que décembre gèle ils vont fiers et contents "
Les actifs m'envient de couler des jours heureux comme
on dit dans les mauvais livres, en réalité je m'ennuie souvent et
regarde avec horreur mon visage se rider un peu plus chaque jour, je hais ce
miroir qui ne sait pas mentir. Heureusement mon cerveau fonctionne bien !
Il est
important que vous le sachiez : mon
esprit est lucide. J'insiste sur ce fait
car je vais vous raconter une histoire incroyable, je n'ai jamais parlé de cette rencontre à personne on m'aurait pris pour un
fou, moi-même n'ai pas tout compris. Si l'enveloppe et les documents n'étaient
pas devant moi je croirais avoir rêvé.
Août 1966.
Ma vie a
basculé l'année de mes dix-huit ans.
J'habitais
alors près de l'église dans une ancienne maison de maître dauphinoise transformée
en vieux appartements
inconfortables accessibles par un hall commun ouvert à tous les vents.
A cette époque c'était "marche ou
crève" pour les ouvriers : notre père, chauffeur de poids lourds étant
victime d'un grave accident du travail l'ayant conduit en hôpital
psychiatrique, dès le lendemain son patron nous expulsa du logement mis à notre
disposition.
La mairie compatissante nous loua à bas prix
trois pièces insalubres, ma mère et mon petit frère occupaient deux pièces
vétustes infestées de cafards au rez de chaussée, mes ainés (ées) étant partis
vivre leur vie j'avais accaparé la chambre au premier étage et pouvait enfin
profiter de mon indépendance toute neuve.
A cette époque les amis étant de vrais humains
en chair et en os on ne les likait pas on les aimait, aussi après le repas de midi j'empruntai la
rue Auguste Ravier pour rejoindre mon pote Jacky L. quand je me retrouvai face
à une femme d'une quarantaine d'années
surgie de nulle part…
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Je ne
l'avais pas vu arriver.
Il faut
dire qu'une image obsédait mon esprit et cannibalisait mon attention, je fantasmais sur la jolie blonde
rencontrée avant-hier vers Iselet, le petit étang où toute la jeunesse du
canton se retrouvait pour se baigner et plus si affinités. Attiré
irrésistiblement par son beau corps svelte " couvert " de rares
centimètres carrés de tissu, sa quasi nudité paraissant offerte aux passants
comme au soleil je m'étais approché
timidement et nous avions échangé quelques mots.
Originaire
de Lyon et âgée de 19 ans elle se plaignit, en s'étirant langoureusement, de la
monotonie de ses vacances campagnardes.
Elle
frissonna un peu en apprenant ce qui s'était passé près d'ici l'année
précédente. Une jeune parisienne en vacances s'était noyée, toute seule prétendait-on, dans un autre étang proche
nommé Roche plage. Cette histoire bizarre n'avait jamais été vraiment résolue,
la victime portait une plaie à la tête mais l'affaire fut classée malgré des
rumeurs persistantes de meurtre. Un temps j'eus un doute, ce jour là notre
copain Charlie avait une attitude bizarre et vers 14h il n'arborait pas les
mêmes vêtements que ceux qu'il portait le matin. Ce fait me parut curieux,
souvent il restait plusieurs jours sans se laver ni se changer, là il était
propre comme un jeune marié mais je fus bien obligé de me rendre à l'évidence,
à l'heure de l'évènement il écoutait Johnny et dansait le twist avec nous près du juke-box il était donc
insoupçonnable. Dommage, j'ai toujours détesté
Charlie. Trop beau, yeux verts, musclé, sportif accompli, blond, il
représentait tout ce que je ne suis pas et, sans vouloir tomber dans le cliché
ni faire offense aux autres beaux blonds musclés, je le considérais comme
particulièrement bête. En plus il pouvait se payer tout ce qu'il voulait grâce
à la richesse de ses parents !
Bref, cette fille de la ville
m'impressionnait, alors malgré mon envie irrépressible de la caresser je
m'étais borné à discuter, grand échalas mal à l'aise dans ma peau je ne pouvais
raisonnablement espérer plaire à une telle beauté. Nous avons parlé de tout et
de rien, elle logeait encore quelques jours chez ses grands-parents dans une
ferme près d'ici. Après avoir expliqué
où j'habitais et m'être vanté d'être guitariste, ce qui alluma me semble-t-il
quelque lueur d'intérêt dans son beau regard, je la quittai à regret ne sachant
plus quoi dire, déjà malheureux et désespéré. Jamais je n'avais vu ni ne
reverrai de tels yeux bleu-marine déplorai-je…
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Surgie de
nulle part donc la femme d'une quarantaine d'années recula précipitamment pour
m'éviter. Poliment je m'excusai et la saluai :
- Bonjour Madame.
Vous
n'allez pas me croire, elle m'a répondu :
- Bonjour
grand-père
Je me suis
retourné pour voir à qui elle
s'adressait, il n'y avait personne, nous étions seuls tous les deux !
Elle a
répété :
- Bonjour
grand- père, je suis ta petite fille Valentine.
En riant
j'ai objecté :
- Vous
devez vous tromper, il y a bien une Valentine dans la famille mais c'est ma
mère et comment serais-je votre aïeul ( en ce temps-là on appelait un chat un
chat et un grand-père un aïeul) vous avez au moins vingt ans de plus que
moi ce qui altère singulièrement la
crédibilité de votre présentation.
Je parlais
un français châtié très dix-huitième siècle, j'espère que vous apprécierez.
J'ai toujours aimé le beau langage, aujourd'hui en m'exprimant ainsi je ne
serais certainement pas compris par les
intellectuels de la Téléréalité qui communiquent plutôt par cris, onomatopées,
gestes, flatulences verbales, pets et rots sonores confirmant ainsi la théorie
de l'évolution :
l'homme descend …des bières en grande quantité ! Darwin me pardonnera
mais je ne voudrais pas me fâcher avec les singes en évoquant une parenté qui leur semblerait
désobligeante, le simiesque est souvent soupe au lait !
Ce qu'elle
m'a affirmé défiait l'entendement.
- Je viens de l'année 2050 et j'ai 33 ans.
Bon, me suis-je dis, encore une enfant de la
chimère, une assoiffée d'Azur, en un mot une folle.
La gent
féminine me paraissait déjà être une race bizarre, je commençais à me douter
que le fonctionnement des femmes, venant de Vénus, resterait toujours un
mystère pour moi mâle primaire et grossier en provenance de Mars, pour le
moment la seule chose que j'avais compris des filles côtoyées était que je n'y
comprenais rien. Celle-ci méritait la palme de la bizarrerie et confirma mes inquiétudes par ce discours
hallucinant :
-
Papy, je suis venue du futur pour éviter
une catastrophe, avant-hier tu as rencontré une blonde, ce soir elle te
rejoindra dans ta chambre et te demandera de la raccompagner. En chemin elle
voudra faire l'amour avec toi, il ne
faudra surtout pas céder à ses avances.
Mon
interlocutrice, sans doute une familière de la belle Lyonnaise, veut l'empêcher de faire des bêtises, mais
quelle curieuse manière de présenter les choses, ai-je pensé !
- Pourquoi
ne devrais-je pas céder, c'est plutôt une bonne nouvelle ?
Apprendre que la blonde put ainsi me désirer
était extraordinaire et pour tout dire inespéré. J'étais déjà très excité.
- Tu ne la
reverras jamais mais le problème n'est pas là. Suite à votre coucherie elle accouchera d'une fille qui sera la
grand-mère d'une future Hitler en jupons qui déclenchera en 2050 une troisième
guerre mondiale qui fera plus d'un milliard de victimes. ( Cela faisait beaucoup de "qui"
dans une même phrase, mais peut-être parlait-on comme cela dans son futur
imaginaire )
Je ne sais
pas si vous avez déjà observé ce fait : les jolies
passions des uns sont toujours de
laides coucheries pour ceux qui
ne sont pas concernés ou conviés à la fête.
En 1966 les séries Terminator, Retour vers le
futur et autres Hollywooderies n'existaient pas et n'avaient donc pas préparé les esprits à de
tels scénarios. Je restais silencieux, qu'aurais-je pu dire, il est
inutile de contrarier les gens dérangés. Elle a poursuivi:
- Il y a
six mois tu as rencontré la vraie femme de ta vie, J…ma grand-mère, tu lui as
promis amour éternel et fidélité. Tu
l'épouseras dans trois ans, vous aurez trois enfants, deux fils et une fille.
Je suis la fille de ton deuxième fils, donc ta petite-fille
Ben tiens
donc, c'est trop facile ! Il est peu risqué de faire des prophéties puisque
concernant l'avenir nul ne pouvait juger
de la véracité de ses prédictions. Elle a précisé :
- Mes
parents m'ont appelé Valentine en hommage à ta mère trop tôt disparue.
Là elle
exagérait. Pour fixer des limites à ses élucubrations et souligner la gravité
de son délire j'ai appelé ma mère pour
montrer qu'elle était bien vivante :
- Maman,
viens voir.
Elle n'a
pas répondu, sans doute déjà partie faire sa promenade digestive journalière.
- Ne la
cherche pas, elle a rejoint discrètement
son amoureux Maurice M… Il la rend heureuse, pour cela tu ne le hais pas
contrairement à tes frères et sœurs plus âgés, ce dont je te félicite !
Elle a
rajouté alors une phrase que je n'ai jamais oubliée, j'en eus la chair de poule
:
- Tu te
souviens de la Parisienne noyée l'an
dernier ? Tes intuitions ne t'ont pas trompé, c'est ton copain Charlie qui l'a
tuée. Je vais te laisser sa confession, tu la liras.
Que cette
femme puisse connaître tous ces éléments intimes m'a déstabilisé, je lui ai demandé en passant au tutoiement :
- Par quel
miracle as-tu appris de tels détails de notre vie?
- J'ai
trouvé après ta mort le journal intime que tu commenceras à écrire dans
quelques jours, je l'ai lu et trouvé le récit de ton copain daté de 2018 que tu avais recopié.
Evoquer ma
mort m'a perturbé, un trouble m'a envahi, et si elle disait vrai ? Je
commençais à croire à son histoire, en la regardant mieux il me sembla même
discerner une petite ressemblance avec ma mère et, argument décisif pour moi
toujours prompt à m'enflammer face à un joli minois, malgré son physique
plaisant elle ne m'attirait pas, mon inconscient ayant sans doute déjà détecté
une potentialité d'inceste.
Saisi d'un vertige je me suis rapproché sans
le vouloir, elle a reculé de deux pas, affolée :
-
N'approche pas et surtout ne me touche pas, les voyages dans le temps sont
extrêmement dangereux et je dispose de peu de temps.
- Pourquoi
sont-ils dangereux?
- Le voyage
spatio-temporel nécessite une énergie gigantesque pour projeter d'abord un
hologramme 3D avec le schéma d'intrication puis décomposer tous les atomes
intriqués du corps avant de les recomposer de façon cohérente. Si tu me
touches, la force colossale qui me permet brièvement d'être apparente à tes
yeux te foudroiera et si tu meurs avant
d'avoir conçu mon père, je n'existerai pas dans le futur.
Hologramme
3D, schéma d'intrication, atomes intriqués cohérents, n'existerai pas dans le
futur, quelle langue parle-t-elle ? J'ai tenté de la raisonner :
- Si tu
n'existes pas dans le futur tu ne pourras pas voyager dans le temps et me
foudroyer, comme je ne mourrai pas je pourrai épouser ta grand-mère nous
concevrons ton père et tu pourras exister dans le futur, tu pourras alors
voyager dans le temps et si je te touche je serai foudroyé et tu ne pourras pas
exister donc voyager , comme tu ne pourras pas voyager je ne mourrai pas donc
tu……
Ma tête
tournait, quelque chose clochait dans mon raisonnement en forme de cercle
infernal, non ?
Elle m'a
répondu:
- Ne
cherche pas à comprendre, ce que tu décris est un phénomène bien connu que l'on appelle en 2050 : le paradoxe du grand-père. La moindre
manipulation du passé peut entrainer une catastrophe, c'est pourquoi il faut
une autorisation spéciale du comité et une raison impérieuse pour prendre le
risque de voyager dans le temps. De plus un individu ne peut faire qu'un seul court voyage
temporel dans sa vie sous peine de ruiner définitivement sa santé .
Elle a posé
une enveloppe et quelques feuilles de papiers sur le trottoir.
- Dans
cinquante et un ans, en 2017, deux mois après ma naissance ton deuxième fils,
mon père, rencontrera le professeur Laurent Alexandre. Ensemble ils mettront au point un algorithme
d'Intelligence Artificielle forte qui permettra aux humains de faire le bond
évolutif le plus important de tous les temps et révolutionnera le futur.
Malheureusement leur algorithme aura une faille qui permettra à des hackers mal
intentionnés d'inciter notre nouvelle civilisation six point zéro, à prendre des décisions abominablement racistes.
Civilisation
six point zéro, hackers, bon d'accord quelle folie est-ce encore ? I don't
understand.
- Cette enveloppe renferme la réparation de la
séquence fautive et un message important à l'intention de mon père, il faudra
la lui remettre le jour de Noël 2017. Surtout ne cherche jamais à l'ouvrir
avant cette date, par contre tu pourras lire tout de suite la copie de ton
journal intime concernant la confession et la triste fin de ton copain Charlie. Bien que les choses inertes venues du futur
soient sans danger attends deux minutes
avant de les toucher, le temps que les
atomes se stabilisent définitivement. Maintenant il faut que je parte, on se
reverra en 2017 lorsque je serai bébé.
Il y avait au moins un élément très rassurant dans son discours: ma certitude
d'être encore vivant en 2017 et même en 2018.
- Et
souviens-toi, ce soir tu ne couches pas
avec la blonde ! Tiens tes promesses,
soit fidèle à ma future grand-mère pour une fois si ce n'est pas trop te
demander.
En plus
elle me donnait des leçons de vertu !
La seconde
après elle n'était plus là, disparue en un éclair. Je m'en voulais de m'être
vraiment conduit comme un gros nul, au lieu de perdre mon temps à douter j'aurais pu lui poser des tas de questions:
quand et comment vais-je mourir, quels seront les numéros gagnants du tiercé de
dimanche prochain etc…et surtout la signification du mot "hackers"!
Mon copain
Jacky était à sa fenêtre:
- Tu parles
tout seul maintenant ?
- Non je
discutais avec ma…
J'ai
faillis dire" ma petite fille" mais comment aurait-il pu comprendre.
Heureusement son attention a été distraite par un détail :
- Tu as
fait tomber une enveloppe et des papiers.
Les deux
minutes requises étant écoulées je les ai ramassés. Au dos de l'enveloppe
cachetée figurait l'empreinte d' un tampon bleu comportant une adresse bizarre
avec mon identité et un signe inconnu : @, suivi du nom d'une couleur, orange,
se terminant par .fr , sans doute un
code secret.
Le soir dans ma chambrette, après avoir lu les documents autorisés je les rangeai dans un
tiroir près de l'enveloppe cachetée. Grâce à eux et pour ne pas faire mentir
Valentine la décision de commencer à écrire un journal intime s'est imposée à
mon esprit.
Je ruminais mes frustrations en grattant
mélancoliquement les cordes de ma
guitare quand des pas résonnèrent dans l'escalier puis
quelqu'un toqua discrètement à la porte.
La blonde au regard bleu-marine était là,
émouvante de grâce et de beauté. Elle me supplia de lui jouer " jeux interdits", le grand
succès du moment. Elle ferma ses beaux
yeux pour mieux apprécier ma musique puis sur son insistance je l'ai
raccompagnée comme prédit par Valentine.
La nuit
était chaude, dès la sortie du village elle s'est collée à moi. Les jeux
interdits attirent irrésistiblement les ados, à dix-huit ans le cœur se pose ou l'œil se pose et le sexe se raidit
au premier courant d'air. Le mien, vaillant petit soldat, ne s'est pas fait
prier pour manifester son désir de monter à l'assaut, vous pensez bien que je
n'allais pas laisser passer une telle occasion.
J'ai soulevé sa jupe en signe d'allégeance à
son enchanteresse séduction, nous nous sommes allongés dans l'herbe sous un
arbre. C'était une nuit sans lune les étoiles diffusaient une douce lumière
tamisée propice aux coquineries, les grillons chantaient pour accompagner notre
idylle.
Je n'avais pas encore appris que les hommes
doivent respecter tout un rituel préalable de soumission, un tour de chauffe
appelé préliminaires, déclencheur des
émotions indispensables à l'abandon des femmes maîtresses des aiguilles de
l'horloge du cœur. Ne visant pas si haut,
j'avoue à ma grande confusion que sans me conformer au prélude coutumier et
avant d'en avoir reçu le feu vert je tentai de baisser sa mignonne culotte
arachnéenne, dernier rempart dressé par sa pudeur (que je supposais virginale )
face à mon impatience.
Elle a bloqué mon geste en serrant les genoux
et m'a dit d'un ton sévère :
- Qu'est ce que tu fais là ?
puis elle m'a laissé faire, les filles sont
comme ça.
La mise en garde de Valentine résonna dans ma tête :
- Ce soir
tu ne couches pas avec la blonde, tiens tes promesses, soit fidèle pour une
fois à ma future grand-mère si ce n'est pas trop te demander !
Les
promesses n'engagent que celles et ceux
qui les écoutent dit-on, je ne me sentais donc pas particulièrement tenu
de respecter les miennes et me suis auto-pardonné en me justifiant
intérieurement, comme si elle avait pu m'entendre :
- Si je me
marie avec ta grand-mère je serai d'une fidélité absolue mais pour le moment j'ai d'autres projets et ne
t'inquiètes pas, je ferai attention à ce
que le fruit de mes amours ne déclenche
pas la troisième guerre mondiale.
Je dois
vous dire qu'en 1966 la libération sexuelle de mai 68 étant encore dans les
limbes de l'Histoire engrosser une fille hors mariage n'était pas recommandé ni
très fair-play. Certains imbéciles jetaient encore des pierres aux filles-mère.
La pilule n'était pas autorisée en France et
depuis longtemps mes potes et moi avions renoncé à acheter des préservatifs. Chers, ils étaient vendus
uniquement par la pharmacienne, vieille taupe qui se croyait intelligente de
nous faire la honte en insistant lourdement d'un ton emphatique et réprobateur
devant l'ensemble de la clientèle hilare et désapprobatrice :
- Vous
voulez acheter des préservatifs, pourquoi ?
La réponse
me semblait pourtant contenue dans la question.
De plus à
cette époque proposer à une femme de revêtir une " capote " était
ressenti comme une insulte, comme si on l' avait traitée de " sale ",
" putain " ou soupçonnée d'être atteinte d'une affection honteuse.
J'avais vaguement entendu parler des MST appelées alors maladies vénériennes
mais nos solides filles de la campagne en étant exemptes je ne me sentais pas
concerné. Incommodités généralement bénignes elles mettaient, parait-il, rarement l'existence en péril.
Face à ce
dilemme, comme la majorité des hommes en ces temps farouches j'avais opté lors
de mes premières étreintes champêtres pour la technique artisanale du "
saut en marche" , en latin " coitus interruptus", pratique
contraceptive d'une efficacité relative et douteuse, réprouvée par les dévots de toutes obédiences
toujours prompts à se mêler des histoires de fesses qui ne les regardent pas.
Ces représentants terrestres du grand Manitou n'ont généralement pas de
sympathie pour les plaisirs qui leur sont refusés et les vices qu'ils ne
peuvent pas assouvir.
La blonde a fini par écarter ses genoux,
tacite encouragement, signal non
équivoque de reddition de la place. La capitulation de la forteresse sonna le
début des réjouissances, alors en disant " merde aux générations
futures" fébrilement je l'ai
pénétrée, mon dieu que c'était bon.
Après
quelques instants de pur bonheur que j'aurais souhaités éternels, il fallut bien que les corps exultent. N'y
tenant plus et ne voulant tout de même
pas être responsable de la mort d'un milliard d'humains j'ai sauté en marche et inondé ses
cuisses. Frustrée elle m'en voulut beaucoup sur l'instant puis après avoir
repris ses esprits, me remercia de lui avoir évité, ou tout au moins essayé de
prévenir des conséquences non désirées.
Je ne la revis jamais, il est des jours où
Cupidon s'en fout.
Un peu plus
tard les suites de cette affaire furent, en ce qui me concerne, l'apparition de
quelques brûlures désagréables en faisant pipi, symptômes d'une banale chaude
pelisse ou chaude piste naissante nécessitant
la prise d'antibiotiques durant huit jours pour éliminer les impertinents
gonocoques s'étant traitreusement invités à la fête. Petit prix pour un si grand plaisir.
J'appris en
cette occasion un nouveau théorème qui ne devait rien à Pythagore ni à Thalès :
- la pudeur
des filles n'est pas toujours virginale, ni garante d'un déduit sans danger. ( déduit étant un vieux mot français beaucoup plus beau que son
horrible homonyme : coït )
Après coup
(expression bien appropriée) je me sentis quand même un peu coupable de
traîtrise envers ma future femme, montrant ainsi un bon fond ( tout au fond )
d'honnêteté émotionnelle.
Trois ans plus tard je me mariai avec J…, nous eûmes deux
garçons et une fille. Charlie avait quitté la région et les luttes dans la vie
de tous les jours pour assurer le bien-être de ma famille mirent provisoirement
en hibernation le souvenir de la Parisienne.
Les années
70, 80, 90 moururent, en juillet 1999 nous attendîmes en vain le grand roi d'effrayeur promis par
Nostradamus le vieux farceur, le passage
à l'an 2000 fut gâché par une énorme tempête,
l'enveloppe était toujours dans un tiroir. Pour ne pas la confondre et
ne pas risquer de la détruire par erreur j'avais apposé à son dos mon tampon
comportant mon adresse mail se terminant par @orange.fr. Chaque année le jour
de Noël je la sortais pour vérifier son état, que pouvait-elle bien contenir de
si précieux ?
" Réparation de la séquence fautive et
message important à l'intention de mon père, ton fils " avait dit la
voyageuse du futur, je présumais alors qu'elle renfermait un document rempli
d'équations compliquées et incompréhensibles pour le commun des mortels.
J'essayais bien d'en apercevoir le contenu par transparence, en vain.
En mars
2017 mon deuxième fils, Aurélien, génie du numérique devint papa d'une petite
fille prénommée Valentine, comme ma
maman disparue en 1975, bien trop tôt .
J'adorais ce petit ange, elle souriait constamment
comme ma mère, sa bisaïeule.
Troisième partie : l'Atro - cité
Los Angeles. 27 mars 2050.
Récit de Valentine
Demain j'ai
33 ans et je me marie avec Elty Musk le fils du milliardaire Elon Musk,
concepteur des premières voitures autonomes électriques Tesla et organisateur
de la seule tentative de colonisation de la planète Mars.
Tentative ayant tourné au désastre, bloqués
sept mois dans leur abri par une tempête de poussière titanesque les
astronautes ont perdu la raison et se sont entretués, ce qui a refroidi
provisoirement les adeptes de vacances martiennes. Les hommes sont fous, ils
dépensent des sommes astronomiques pour rendre habitable un monde qui ne le
sera jamais, ces financements seraient mieux employés à embellir notre belle
planète miracle, sans doute seul refuge de notre race pour encore bien des
millénaires dans l'immensité hostile du cosmos.
Elon est également l'inventeur du voyage dans
le temps.
J'aime
beaucoup mon futur mari, il est très beau et richissime. Il se fait appeler
Elty mais son vrai prénom est Electron, cadeau empoisonné de son père obsédé
par la physique des particules.
Dans une première version du passé, papy s'étant
abandonné à ses plaisirs sans précautions la blondasse de passage accoucha d'une fille en avril 1967. Suite à
un concours de circonstances trop long à expliquer ici une de ses descendantes,
Sophie, surdouée en mathématiques, se
retrouva dans l'équipe de mon père et du professeur Alexandre.
Très courtisé par Sophie, belle petite
salope, Elty était sur le point de
succomber au charme de ses grands yeux bleu-marine alors je suis passée à
l'attaque et employé les grands moyens.
Comme il fallait absolument que quelqu'un se
rende dans le passé pour réparer la séquence fautive de l'algorithme monstrueux
créé par mon père, je me suis portée volontaire à condition de pouvoir
organiser ce dangereux voyage à ma guise. Le technicien m'a expédiée à la date
que j'avais choisie en 1966, là j'ai raconté quelques salades à papy, lui
faisant croire que sa descendante serait à l'origine de la troisième guerre
mondiale. Il a sans doute cru a mon histoire, je ne sais pas encore ce qui
s'est passé mais Sophie n'est pas née, bon débarras, et faute de rivale demain
je me marie avec Elty.
Les voyages
temporels, comme toutes les inventions de mon beau-père Elon, ne sont pas
fiables à 100%, il faut absolument
respecter quelques règles de sécurité :
- Le
voyageur ne doit en en aucun cas se
rencontrer dans le passé ou le futur sous peine de destruction immédiate, mon
père ne peut donc pas réparer lui-même son algorithme, de toute façon à 70 ans
sa santé est trop fragile pour supporter le traumatisme du saut
spatio-temporel.
- Lors d'un voyage dans le temps on ne peut
intervenir qu'une seule fois dans le cours des choses. Il fallait que je
choisisse entre modifier l'algorithme ou tuer Sophie dans l'œuf ! mon choix
était vite fait, et comme à mon retour
mon intervention a impacté le présent personne ne peut me reprocher quoi que ce
soit puisque je suis la seule à connaître et me souvenir de l'objet de ma
mission et de l'ancien présent qui n'a jamais existé, sauf pour moi ! C'est un
peu compliqué à comprendre pour les gens nés au 20è siècle mais c'est comme ça
et je n'y peux rien.
La puce
greffée dans nos cerveaux nous confère, grâce à l'algorithme magique une
intelligence extraordinaire et nous permet de réaliser plusieurs milliards
d'opération à la seconde, par contre elle nous incite fortement à rejeter de
notre société interactive six point zéro
certains humains considérés comme des parasites. Le jour de son vingtième
anniversaire chacun de nous subit une ultime évaluation, les personnes ayant un
QI inférieur à 105 sont chassés hors de nos villes. Moi j'ai été calibrée à 115
grâce à un petit coup de pouce de mon père.
Nous avions bien retenu cette vieille leçon de
l'histoire : en tolérant qu'on maltraite
l'étranger on finit par déclarer étranger celui qu'on voudrait pouvoir
maltraiter. Considérés comme faisant partie
d'une race inférieure ces sous-hommes errent dans nos banlieues et
faubourgs, mangent en fouillant les poubelles, abandonnés de tous et même de la
médecine on les appelle les SDF, les Sans Dents Fantômes. Pour nous ils
sont des animaux, des battues sportives sont
même organisées une fois par an pour
réduire leur nombre et éviter qu'ils s'organisent en une société pré-humaine
primitive consommatrice de ressources. Leur espérance de vie est ainsi
considérablement réduite par rapport à la nôtre.
Maintenant on ne peut plus changer cette
atrocité qu'un humoriste à la mode a renommé
Atro - cité pour dénoncer ce qu'il considère être la honte de notre
civilisation six point zéro . Pour lui
nos villes sont les cités des âmes sombres et des cœurs sinistres. ( Atro étant
un mot italien pouvant
signifier obscur, sinistre, dans
certains contextes).
On ne sait
pas débrancher l'intelligence artificielle, on ne la trouve nulle part car elle
est partout. Moi je trouve que c'est très bien comme ça, je n'ai jamais eu l'intention
de réparer l'algorithme, on est forcément
plus heureux quand on peut mesurer son bonheur à l'étendue du malheur des
autres, non ? L'intelligence humaine n'est pas encore infinie mais notre
méchanceté l'est depuis la nuit des temps,
personne ne trouvera jamais la formule capable d'éradiquer la
monstruosité inhérente à notre race,
garante de notre survie face à la sélection naturelle.
Avant de
partir pour 1966 comme je suis terriblement curieuse j'ai lu attentivement le
journal intime retrouvé après la mort de grand-père Michaël. Il a quand
même vécu jusqu'à 92 ans, c'était un sacré gaillard et avait
beaucoup à se faire pardonner, je ne suis même pas sûre qu'il ait vraiment tout
écrit de ses aventures ni dit toute la vérité. C'est dans ses mémoires que j'ai
eu accès à la confession de son copain qu'il avait recopiée : le 24 décembre
2018 un certain Charlie s'est pendu en laissant une lettre s'accusant du
meurtre d'une jeune fille. Il prétend plus ou moins avoir agi sous le coup d'une folie passagère,
enfin c'est ce que j'ai cru comprendre ! J'avoue qu'en remettant ces papiers à
Papy Mike avant que son copain ne les ait écrits j'ai un peu dérogé à la règle
d'une seule intervention dans le passé mais cela ne pouvait pas avoir de
conséquence. Péché véniel sans conteste mais il fallait bien que je crédibilise
le fait que je vienne du futur.
Petit plaisir supplémentaire, avec l'enveloppe
mystérieuse remise à mon aïeul comme
il se définissait lui-même, bien que bébé de quelques mois je me suis payé le luxe
de souhaiter un joyeux noël 2017 à ma famille, Papy a dû passer pour un joyeux
farceur aux yeux de tous…
____________________
Quatrième partie : la vengeance
Michaël
Noël 2017. Le cœur battant, après 51 ans d'attente je vais enfin savoir, je remets l'enveloppe à son destinataire en
insistant devant toute la famille réunie sur l'importance du message et la solennité du jour.
- Vous
allez assister à un évènement unique dans l'Histoire, assurai-je avec orgueil.
Ce n'est
pas tous les jours qu'une postérité adresse un avertissement écrit à ses
ascendants, je crois même que c'est la première fois dans toute l'aventure
humaine :
Nostradamus s'était borné à laisser à ses descendants des
quatrains incompréhensibles se référant à un passé obscur interprétés après
coup par les crédules comme des prédictions imparables et les nombreux livres sacrés des religieux
ne savaient prophétiser que malheurs,
famines, tremblements de terre, guerres, antechrist, interdictions et
obligations pour pourrir la courte existence de leurs contemporains et celle
des générations suivantes pour les siècles des siècles !
Aurélien ouvre l'enveloppe, je retiens mon
souffle, il lit, surpris il m'interroge du regard, sourit et m'embrasse. Pas du
tout impressionné il semble un peu déçu, vous allez comprendre pourquoi.
L'enveloppe
contient un papier sur lequel est écrit simplement :
"
Joyeux Noël 2017. Valentine ".
Je retourne
fébrilement le papier et l'enveloppe, à part ces quatre mots il n'y a rien,
alors là je ne comprends plus. J'enfourne le tout dans ma poche pour un examen
approfondi ultérieur, en attendant je passe aux yeux de tous pour un vieux
gâteux ou un mauvais plaisant.
A la fin du
repas, après les bûches, une glacée l'autre pâtissière, mon fils réclame le
silence et dit :
- J'ai une
grande nouvelle à vous annoncer, j'ai rencontré le professeur Laurent
Alexandre, gourou de l'Intelligence Artificielle, nous nous installons avec nos
familles à Los Angeles pour travailler à
la mise au point d'un algorithme susceptible de modifier à tout jamais
le processus évolutif cognitif de la race humaine. Nos travaux seront financés
par Elon Musk, un jeune milliardaire américain.
Tout le
monde l'a félicité sans toujours avoir vraiment compris ce dont il s'agissait.
Il s'est
tourné vers moi, me voyant songeur il m'a demandé:
- Tu n'es
pas fier de ton fils, papa ?
- Si, mais
prends garde à ce que ton algorithme n'ait pas de failles de sécurité qui
permettraient à des hackers mal intentionnés
de le rendre catastrophiquement raciste !
Il est
resté bouche bée à l'énoncé de la réflexion de son vieux ronchon de père, pas si gâteux qu'il n'y paraissait.
Voyageuse
du futur venue bousculer mon passé,
solidement ancrée maintenant dans le présent Valentine gazouillait et
souriait dans son berceau.
Si j'ai bien compris sa mystification, sous
prétexte de réparer une abomination du futur elle souhaitait surtout que
j'évite de coucher avec la Lyonnaise. Pourquoi était-elle aussi obsédée par mon éventuelle descendante ? Pour éviter
la troisième guerre mondiale ? je n'en
crois pas un mot ! Depuis 1966 où elle m'avait vraiment pris pour un lapin de
trois semaines, ce que j'étais sans doute,
j'ai bien muri croyez-moi ! Maintenant je connais bien l'esprit féminin
et j'ai une petite idée sur ses motivations. Qu'elles nous arrivent du Passé,
du Présent ou du Futur les femmes ne changeront donc jamais !
Je me suis
approché et ai murmuré :
- Tu es
quand même gonflée mais je te pardonne. J'écrase le coup pour la pseudo
réparation de l'algorithme et toi tu ne parles jamais de la blonde à ta grand-mère. Ok ?
Il m'a
semblé qu'elle me faisait un clin d'œil complice, sûrement une illusion.
Ce jour-là,
me remémorer notre rencontre de 1966 me rappela un vieux contentieux à régler
avant de mourir…
----------
Moi je
n'oublie jamais rien, à l'horloge du temps l'heure de solder les comptes avait
sonné. Chaque heure blesse la dernière tue !
Avec
quelques copains nés comme moi en 1948, appelés à l'époque des " conscrits
", nous avons organisé un banquet
pour fêter ensemble nos 70 ans.
Retrouvés
et réunis grâce aux réseaux sociaux, une vingtaine de survivants de " la
classe 48 ", femmes et hommes, étaient assis autour de la longue table
fleurie dans la salle du nouveau restaurant de Roche Plage, ouvert depuis peu.
Il y avait
là, entre autres : Danielle, Claude, Gisèle, Marie-France, Françoise, Joël,
Henri surnommé Riquet, Raymond, Jean Paul, Serge surnommé Zizou, Gérard, Jacky
et… Charlie.
Ils
étaient tous vieux, ridés, abimés par la vie, moi je n'avais pas changé hé hé !
Depuis mon
adolescence j'ai toujours été meneur d'homme et chef de bande, des amis à moi
qui ne savent rien me refuser attendaient patiemment dehors.
Nous avons
tous beaucoup bu, surtout Charlie, il ne semblait pas très à l'aise. Le bel
adolescent blond frisé mince et musclé
s'était transformé en un vieillard à la
calvitie prononcée et à l'embonpoint proéminent mais malgré ses grands airs
d'Américain et son splendide 4 x 4 garé devant le restaurant, marqueur de sa
réussite sociale, il était toujours
aussi bête. Se jeter ainsi dans la gueule du loup ne plaidait certes pas en
faveur d'un discernement extraordinaire.
J'allais enfin pouvoir " me le faire
" sans risque. Après le café et les digestifs je me suis approché et lui
ai glissé dans l'oreille :
- Elle
était bonne la Parisienne que tu as
noyée en 1965 ?
Propos loin
du langage dix-huitième siècle que j'affectionne, j'en conviens, mais il faut
bien s'adapter aux circonstances et à
ses interlocuteurs.
Il a éclaté
en sanglots puis est sorti de la salle.
J'ai
rassuré les copains en mettant l'incident sur le compte de la boisson :
- Il est
complètement saoul et a besoin de prendre l'air.
Le soir,
des amoureux se promenant dans les communaux le trouvèrent pendu à une branche d'un grand chêne surplombant
l'étang, à l'endroit exact où le corps d'une jeune femme noyée avait été
retrouvé en 1965.
Mes amis
qui ne savaient rien me refuser me remirent la confession rédigée de la main de
Charlie comportant tous les détails de l'histoire, j'étais curieux de savoir
comment il avait vécu le drame. Ils avaient été obligés de le bousculer un peu
pour le convaincre d'écrire la vérité mais il a fini par céder à leur amicale
sollicitation. Comme il regimbait un peu
sur la fin et menaçait de déchirer ses écrits ils ont retiré le papier
brutalement de ses mains, ce qui explique que son dernier mot soit inachevé.
C'est
amusant, il décrit sa rencontre avec la Parisienne comme je décris ma rencontre
avec la blonde, nous avions à l'époque
les mêmes doutes d'adolescent sur notre capacité à séduire mais mon
aventure s'était mieux terminée que la sienne.
C'est bête
qu'il se soit suicidé ainsi, il y a bien longtemps que cette affaire était
prescrite. Je n'exagérais pas quand je vous disais qu'il n'était pas très futé.
Certains
murmurent qu'il ne s'est pas pendu tout seul, les gens racontent vraiment
n'importe quoi ! Il est vrai que l'on s'est toujours demandé d'où venait la
corde, les communaux de Morestel ont toujours été des endroits plein de mystères hé hé … J'ai toutefois un petit regret,
la scène aurait eu plus de panache s'il s'était pendu par les pieds,
dissimulant ainsi sa tête d'abruti meurtrier dans l'eau, mais c'eût été
louche, son physique ne se prêtant pas à
de telles contorsions !
----------
Ah,
j'allais oublié de vous dire, en réalité la " Parisienne " titre dont
se glorifiait un peu la pauvre fille qui
se prénommait Natalia, n'habitait Paris que depuis quelques semaines. C'était
une gentille fille rapatriée d'Algérie fin 1962, une " pieds-noirs "
comme on disait à l'époque, elle avait vécu deux ans en Auvergne près de Bort
les Orgues.
Elle était
sublime et me plaisait vraiment. Amoureux
en secret, j'avais tenté de flirter un peu avec elle quelques jours
avant sa mort, sans succès.
Natalia réservait, disait-elle, son corps, sa
belle âme et son cœur fidèle pour un hypothétique et chanceux époux. Au début
je ne lui en avais pas tenu rigueur, les filles venant d'Algérie ayant la
réputation d'être plus sérieuses que les autres j'envisageais naïvement de
demander à son grand-père l'autorisation de la fréquenter en vue d'un mariage, seule manière pour moi de la
conquérir. Découvrir qu'elle ait pu
préférer Charlie à moi ( les filles ont toujours privilégié la beauté plutôt
que l'intelligence chez les hommes, souvent pour leur plus grand malheur) et
lui permettre de poser ses mains dégoûtantes sur son joli corps me
rendit fou.
Je
connaissais bien ses grands-parents de la cité Logirel. Le chagrin et la
culpabilité les avaient tués, alors vous allez penser que je suis rancunier
mais il me semble que j'avais au moins trois
personnes (sans compter les ascendants et collatéraux que je ne connaissais
pas) à venger, et de nombreuses raisons personnelles d'appliquer la punition,
non ?
La vengeance, comme les crimes contre
l'humanité, est imprescriptible !
_____________________
Cinquième partie : la vérité vraie
Mon journal intime servant surtout à me donner
le beau rôle en toutes choses car
destiné à être découvert après ma mort, maintenant puisqu'on est entre
nous je vais vous dire la vérité, la vraie, l'authentique, celle que je n'ai
jamais écrite.
J'avais remarqué le manège amoureux de celle
que je considérais comme ma future
fiancée même si elle n'avait pas donné son accord. Le jour du drame Natalia
m'avait glissé perfidement à l'oreille qu'elle rejoindrait Charlie aux communaux l'après-midi. J'ai compris ce que cela voulait dire, fou de rage d'humiliation et de jalousie j'ai garé
ma mobylette sous un buisson et, dissimulé, les ai attendus et suivis.
J'aurais pu
me manifester pour perturber leurs amours mais à l'époque Charlie étant
beaucoup plus musclé que moi, en cas de confrontation directe je craignais de
ne pas avoir le dessus et de passer pour un looser aux yeux de Natalia. Un chef
de bande n'a de force que celle de ses hommes de mains, c'est bien connu.
Je me suis posté dans les bois et j'ai tout vu : leurs
caresses et baisers langoureux, la petite bagarre qui a vite dégénéré et s'est
terminée par un coup porté à la tête, le corps traîné dans l'eau et la fuite
précipitée de mon "copain" qui avait
cru l'avoir tuée.
Après
quelques secondes la traîtresse a repris
connaissance et, toussant, crachant, à moitié asphyxiée, a tenté de sortir de
l'eau. J'ai mis mon pied sur sa nuque, au début elle a essayé de lutter, j'ai
maintenu la pression et compté jusqu'à cent, cette fois elle était vraiment
noyée et ne bougeait plus. Puisqu'elle ne sera jamais à moi elle ne sera à
personne !
Et d'une !
Pour le
second il m'a fallu attendre cinquante trois ans pour me venger mais penser à
toute la culpabilité, les nuits blanches,
les angoisses qui ont pourri la vie
de Charlie persuadé d'être responsable de la mort de la parisienne avec
son coup à la tête me réjouit.
Il était
vraiment bête ! Elle ne valait pas mieux, comment avait-elle pu le préférer à
moi ?
----------
Le moment
est venu pour nous tous de faire preuve d'ouverture d'esprit, car se pose
maintenant la question suivante :
Valentine,
ma petite-fille venue du futur, a découvert l'existence de Charlie en lisant
mon journal intime trouvé après ma mort dans lequel figurait sa confession de 2018 et le détail de sa triste fin , or
j'ai écris cette histoire quelques jours après notre rencontre de 1966 donc bien avant qu'elle ne se
termine, uniquement en recopiant les
papiers remis par Valentine et elle
me les a remis car elle les avait trouvés dans mon journal … et normalement si j'ai bien tout suivi il devrait exister deux jeux de documents, ceux de
1966 et ceux de 2018, non ?
Non !
Il y a vraiment de quoi devenir fou ! Ne
cherchons pas à comprendre, c'est ce que l'on appelle en langage de voyageuse
du temps : le paradoxe du grand-père !
----------
Cette histoire est tirée de mon prochain recueil de nouvelles :
Des monstres ordinaires et autres histoires extraordinaires
Visitez
mon site http://serge.boudoux.fr
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