lundi 30 avril 2018

Histoires décapantes, parution n° 7 par Serge Boudoux


 

 
 
Au sommet du mont Vinaigre.

 

De ma terrasse, chaque jour où la visibilité est bonne je vois les antennes du mont Vinaigre se dresser dans le ciel de l'Estérel.

Ce petit mont culmine à 614 m d'altitude et ressemble plus à une colline qu'à une montagne, ce qui n'empêcha pas le brigand Gaspard de Besse détrousseur des agents du fisc  et les forçats évadés du bagne de Toulon de trouver  refuge au 18e siècle dans les bois couvrant ses pentes.

Conseillé par mon voisin René qui me vantait son sommet offrant aux courageux grimpeurs "une vue à couper le souffle" , expression bizarre suggérant que les yeux commandent aux poumons, par un beau mardi matin ensoleillé je décidai de vérifier le fait par moi-même.

 

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Après avoir traversé le village des Adrets de l'Estérel je me gare près de la maison forestière du Malpey et entame la montée à travers les Eucalyptus.

Les Eucalyptus sont des arbres extraordinaires, de leur tronc haut et droit ( " fier " écriraient des écrivains plus doués ou plus ennuyeux que moi), se détachent par endroits des écorces odorantes révélant une peau blanche, lisse et douce comme celle d'un bébé.
 
Le chemin est assez facile et très agréable. Je traverse un bois touffu de chênes- lièges, jette un coup d'œil en contrebas pour admirer le lac de l'écureuil, et traverse la piste d'atterrissage destinée  aux hélicoptères. Les deux cents derniers mètres sont rudes car plus raides, de gros rochers en forme d'escalier de géant m'acheminent jusqu'au sommet, une petite plate-forme d'une quinzaine de mètres carrés s'ouvrant à 360 ° sur la Méditerranée et l'Estérel.

A mon arrivée un couple en état de stress maximum s'affaire autour d'un petit bouledogue français blanc tâché de noir qui émet le bruit de locomotive caractéristique du chien en train de s'étouffer. En détresse respiratoire il tire une langue violette inquiétante. La femme invective son compagnon :

- C'est encore ta puta de bruja  qui fait des siennes et je t'avais bien dit que le mardi portait malheur, Martes ni te cases ni viaja.

Marié depuis quarante ans avec une femme d'origine espagnole vous pensez bien que je connais toutes les superstitions et les insultes proférées dans cette langue particulièrement riche en ces matières, même si pour conserver l'harmonie du foyer je feins de ne rien comprendre.

 Martes ni te cases ni viaja signifie " mardi ( réputé jour néfaste) ni tu te maries ni tu voyages" et ta puta de bruja " ta pute de sorcière ".

L'urgence pour l'instant n'étant pas de philosopher mais de sauver le chien j'asperge les pattes et le poitrail du pauvre animal avec ma bouteille d'eau, le miracle se produit il retrouve progressivement une respiration normale et une langue plus rosée.
 Ce petit truc m'a été appris par une de mes belles-sœurs propriétaire également d'un bouledogue français, bien que chez elle on ne distingue pas clairement le possédant du possédé.
Cette race étant assez fragile, j'explique au couple éploré que leur chien est vraisemblablement né avec un épaississement du voile du palais, anomalie courante pouvant se corriger par une petite opération chirurgicale.
 René avait presque raison la vue a bien coupé un souffle, celui du  petit chien, mais je crois plutôt que son malaise est dû à des efforts dépassant ses capacités physiques.

Le drame paraissant évité, sans mon intervention le toutou serait peut-être mort asphyxié, je prends le temps d'admirer le paysage qui est en effet fabuleux, d'ici on domine toute la côte méditerranéenne de la baie de Saint Raphaël aux rochers de Menton .
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Le couple reconnaissant me propose des biscuits. L'homme, la cinquantaine sportive et musclée ressemble un peu à Richard Gere avec ses cheveux gris, sa femme est plus ...comment dire ..."épanouie" pour utiliser une aimable métaphore.

Pendant quelques minutes ils m'expliquent que ce chien étant leur premier animal, son fonctionnement est encore une énigme pour eux.  Je comprends mieux leur impuissance face au problème. Comme ils sont très sympathiques nous redescendons et marchons ensemble un moment. La femme et le bouledogue sont vite distancés, alors, loin de toute oreille inquisitrice j'interroge Richard Gere.

- Je ne voudrais pas être indiscret ( phrase que l'on prononce toujours lorsque l'on se propose de l'être) mais pourquoi votre épouse vous a-t-elle dit :

- C'est encore ta pute de  sorcière qui fait des siennes ?

Il tourne la tête pour vérifier qu'elle soit hors de portée auditive et me raconte l'histoire qui suit.

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"Je suis directeur commercial d'une société de construction de maisons individuelles. Il y a environ dix-huit mois j'ai vendu une maison à un couple surprenant.  La femme est âgé de vingt huit ans le mari d'une quarantaine d'années.  Complètement sous la domination psychologique de son épouse pour laquelle il a divorcé d'un premier mariage, il m'a confié un jour qu'elle possédait des pouvoirs paranormaux et serait capable de jeter des sorts,  ce qui m'a beaucoup amusé. Pour moi le bonheur, la chance ou le malheur sont plus consécutifs à ma capacité de prendre ou non la bonne décision au bon moment que dus aux sorts que l'on pourrait me jeter.

J'ai côtoyé de près ce couple atypique pendant une grosse année, le temps nécessaire aux formalités de permis de construire, demande de prêt, puis à la surveillance du chantier.
 Comme à mon habitude à la remise  des  clés, le 31 juillet, j'ai offert un beau bouquet de fleurs à la nouvelle maîtresse de maison sans penser à mal. En recevant les fleurs elle a déposé sur mes joues deux gros baisers  ayant tendance à déraper vers mes lèvres. Ses yeux étaient mouillés, sans doute l'émotion  de rentrer dans sa nouvelle maison pensais-je naïvement.

Après les vacances d'août elle m'a rappelé :

- J'ai beaucoup réfléchi, suite à votre proposition j'ai décidé de vous prendre pour amant, mon mari est d'accord.

Je tombais des nues.

- Quelle proposition ?

- M'offrir des fleurs n'était pas une proposition ?

- Non, c'est une coutume dans notre société d'offrir un bouquet à chaque nouvelle cliente.

 
- Pour moi c'est une déclaration pure et simple, ne soyez pas timide puisque je vous dis que je suis d'accord.

J'ai répondu :

- Je suis très sensible à l'honneur que vous me faites mais je suis marié et fidèle à ma femme.

 Richard Gere a jeté un bref coup d'œil derrière lui,

- Nous sommes entre hommes, cette fille ne me plaisait pas du tout, autrement…vous me comprenez… 

Il poursuit,

- Avec un petit rire elle a dit: -  Vous ne tarderez pas à changer d'avis.

Le lendemain j'avais un accident de voiture. Une heure plus tard je recevais un appel, c'était elle:

- Alors ?

- Alors quoi ?

- Toujours pas décidé ?

- Je ne comprends pas ?

- Vous comprendrez mieux demain

Le surlendemain ma femme avait un accident de voiture. Une heure plus tard je recevais son appel :

- Toujours pas décidé ? Vous n'avez pas encore compris.

- Je n'ai pas du tout l'intention d'être votre amant.

- On ne me dit pas non à moi, et ce n'est pas un vieux débris comme vous qui va me résister, attendez la suite.

Il est vrai que pour une femme de 28 ans un homme de 54 ans est sans doute très vieux.   Elle était donc certaine de me faire un grand honneur et, manifestement chagrine que j'aie boudé son offrande, devait être terriblement humiliée de mon refus.

Deux heures plus tard ma femme m'appelle :

- Je ne sais pas ce qui se passe mais toute ta collection de petits cochons en cristal vient d'éclater en morceaux.

Deux jours se passent, nouvelle sollicitation, je réitère mon refus au téléphone et commence à m'énerver, ma persécutrice me répond d'un ton mielleux :

- Vous avez bien un petit-fils de six mois ?

Cette histoire allait trop loin, je lui ai proposé :

- Ok, demain je vous invite à déjeuner.

Je suis rentré chez moi et j'ai tout expliqué à ma femme. Horrifiée de nous savoir ainsi en butte aux entreprises d'une démone qu'elle baptisa immédiatement " ta puta de bruja ", elle s'empressa de faire bouillir du vinaigre dans une casserole et de jeter du sel derrière son épaule en marmonnant des incantations, remèdes souverains contre les envoûtements comme chacun sait.

 
J'ai emmené mon imaginaire maîtresse auto proclamée dans un restaurant près de chez elle. Nous avons discuté gentiment un instant, elle pensait que je me pliais enfin à ses volontés. Comme  elle avait l'air d'être bien connue du personnel, au moment du dessert je me suis levé, l'ai empoignée par le haut de son corsage et l'ai collée au mur  avant de l'invectiver au vu et su de tout le monde :

- Si tu ne me lâches pas les baskets et si mon petit-fils a le moindre rhume, une diarrhée ou plus de 37.5° de fièvre  je te crève connasse.

 Il n'est pas dans mes habitudes d'être discourtois mais là il fallait mettre le paquet.

J'ai payé et suis sorti sans avoir bu mon café, c'est vous dire si j'étais  en colère.                Je ne crois pas du tout qu'elle soit responsable de tout ce qui m'est arrivé, sans doute a-t-elle appris les accidents que nous avons eus, ou bénéficié d'un concours de circonstances et de coïncidences extraordinaires, Cocteau disait à peu près :" Face à des évènements qui nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs." 

Je n'ai plus jamais entendu parler d'elle.

Par contre maintenant j'ai un autre problème, chaque fois qu'il se produit un évènement sortant de l'ordinaire, trois jours de pluie, une chute de grêle, une fièvre du petit dernier  ou un tee-shirt disparaissant puis  réapparaissant ma femme me dit :

- C'est encore ta sorcière qui fait des siennes. "

 
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Nous étions arrivés près des voitures, j'ai salué mon compagnon de marche sa femme et leur petit chien blanc taché de noir qui nous avaient enfin rejoints. Au moment de partir j'ai remarqué quelque chose, j'ai baissé ma vitre et les ai prévenus :

- Vous avez une roue un peu dégonflée.

 Une voix féminine prononça alors distinctement ces mots :

- C'est encore ta puta de bruja qui fait des siennes !

 
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Sur le chemin du retour une phrase du séducteur malgré lui m'est revenue en mémoire. Après avoir empoigné son admiratrice trop assidue par le col il lui a dit :

- Si mon petit-fils a le moindre rhume, une diarrhée ou plus de 37.5° de fièvre je te crève connasse.

Pour quelqu'un qui ne croit pas aux envoûtements c'est une curieuse réaction, non ?

 
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Moi je ne suis pas superstitieux, ça porte malheur.



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Cette histoire est extraite du livre :


 



Pour un exemplaire dédicacé, un contact ou accéder aux liens d'achat :  

site web - http://serge.boudoux.fr

Prochaine parution : La grotte miraculeuse.


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