mercredi 11 avril 2018

Histoires décapantes, parution n° 4 par Serge Boudoux






La Tour  Sarrazine.


Montauroux. ( Var )


On sonne à mon portail je me réveille en sursaut l'esprit encore embrumé, le portable posé sur mon chevet indique quinze heures.
En maudissant celui ou celle qui ose ainsi assassiner ma sieste je regarde à travers les persiennes qui filtrent le soleil écrasant. Mon cœur s'accélère, deux hommes en pantalon de toile, chemisette à manches courtes et serviette en cuir attendent patiemment en pleine chaleur. Ils viennent sans doute pour m'arrêter mais qui m'a dénoncé ?
 je pensais naïvement que personne n'était au courant de cette histoire hallucinante mais malheureusement on est toujours rattrapé par son passé, surtout quand il est récent !                                                             

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Tous les matins je parcours plusieurs kilomètres dans la forêt qui borde le lac de Saint Cassien ou au cœur de la pinède, descendant parfois la colline boisée  qui rejoint la rivière la Siagne et le merveilleux petit pont romain, il m'arrive même de monter jusqu'à Saint Cézaire, trois heures et demie de marche allez retour. Comme les histoires imaginées pour mes livres cannibalisent mon cerveau, souvent je m'égare au milieu des bois . De plus en plus distrait un jour mes pas m'ont conduit à l'endroit où tout a commencé.

Sans trop savoir comment je suis arrivé là je me suis retrouvé sans le vouloir nez à nez ou plutôt nez à mur avec une ruine que les gens du village appelle la Sarrazine, une ancienne tour de guet qui n'a sans doute jamais vu de sarrasins ou alors il y a bien longtemps, et n'a par conséquent de Sarrazine que le nom. Il ne reste de la bâtisse initiale  qu'une muraille arrondie se terminant en triangle auquel je m'adosse, assis sur un gros rocher. J'accorde généreusement un Z à Sarrazine pour donner une connotation plus exotique à l'objet.

Perché au sommet d'une falaise cet endroit magique domine un ravin vertigineux profond de plusieurs centaines de mètres au fond duquel coule la Siagne. Sur l'autre versant à un ou deux kilomètres à vol d'oiseau le village de Saint Cézaire me fait face, en bas au loin à droite la chapelle Saint Saturnin semble un jouet perdu au milieu de nulle part, l'aqueduc à ciel ouvert qui achemine l'eau potable à Grasse et Cannes court à travers les bois comme une longue balafre, une cicatrice qui confère au flanc de la colline le charme viril des terrains d'aventure réservés aux baroudeurs.

Je m'assieds, subjugué par la beauté du lieu, séduit par le silence et les odeurs fleuries et décide de venir désormais écrire là chaque jour.

Dès le lendemain vers 10 h j'arrive enfin à ma tour Sarrazine, n'ayant aucun sens de l'orientation j'ai eu beaucoup de peine à retrouver l'endroit,.

Quelle n'est pas ma déception de constater qu'un homme est déjà assis sur mon gros rocher ! Je l'ai détesté tout de suite avec sa quarantaine robuste, ses cheveux roux fournis et frisés contrastant avec ma chevelure blanche qui se raréfie.

J'allais repartir lorsqu'il s'est levé et m'a dit:

- Je vous laisse la place elle est toute chaude. Vous êtes l'écrivain, non ? j'ai parcouru un de vos romans, il semble bien écrit mais je n'aime que les traités d'économie et la science fiction, de toutes façons je n'ai pas le temps de lire, mes affaires occupent tout mon temps et lorsqu' une décision importante mérite ample réflexion je viens méditer ici !

Pourquoi les gens se sentent-ils obligés d'annoncer j'ai aimé ou non vos écrits, apprécieraient-ils qu'on leur dise  j'aime ou je n'aime pas votre tête, d'autre part un livre est comme une femme il ne se parcourt pas distraitement, il faut lui accorder du temps, le découvrir patiemment en l'effeuillant lentement, page après page, se laisser envahir totalement  par sa séduction discrète jusqu'à l'aboutissement et l'éblouissement ultimes sinon on l'abandonne à d'autres plus susceptibles d'apprécier son charme.

Il est parti, j'ai sorti l'ordinateur de mon sac à dos et travaillé à mon nouveau recueil de nouvelles une grosse heure jusqu'à ce que la batterie déclare forfait.

Je n'ai pas revu l'homme les deux jours suivants.

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Le troisième jour sur le coup des onze heures soudain j'eus l'impression d'être observé.

Je levai la tête de mon clavier, elle était là, silencieuse, attentive et me regardait.

Comment vous décrire cette sublime apparition ? Elle ressemblait à Pocahontas, ses longs cheveux bruns encadraient un visage bronzé dans lequel se détachaient de beaux yeux noirs.
J'ai tout de suite adoré son style de sauvageonne, sa silhouette sportive. Elle devait être âgée de quarante ans environ, l'âge de l'éveil au monde pour les femmes : arrivées à  cette période de leur vie les pauvrettes commencent à réaliser qu'il y a d'autres hommes que leur décevant mari  sur terre mais n'ont pas encore appris que les amants ne valent pas mieux une fois passée la lune de miel adultère.
Elles comprennent généralement très vite.

Elle paraissait confuse de m'avoir dérangé et a détalé sans prononcer un mot, un instant j'ai cru avoir affaire à une hallucination.

Le lendemain elle est revenue, s'est assise à dix mètres de moi. Je jetais de petits coups d'œil sournois dans sa direction, elle fixait le paysage silencieusement puis est partie. Cette nuit là j'ai rêvé d'elle mais contrairement à ce que dit la chanson elle est vraiment très belle elle n'est pas faite pour moi.

Le surlendemain à mon arrivée la Sublimissime était déjà arrivée, tenant dans sa main le tome trois de ma trilogie d'Eden ayant pour titre Ainsi soit-elle . Pour la première fois elle m'a parlé : 

- Vous êtes l'auteur de ce livre ?

Je ne me suis pas étonné qu'elle me reconnaisse, on s'habitue vite à la célébrité, même toute relative.

- Oui.

- Je l'ai lu trois fois c'est une vraie friandise et un grand privilège de voyager ainsi dans votre esprit.

- Merci.

Sa voix douce et son adorable petit accent chantant comme un pépiement d'oiseau me parurent très sensuels.

- Je serais très honorée que vous acceptiez de me le dédicacer, je suis tellement heureuse de vous rencontrer.

J'ai écrit sur la première page:

A celle qu'on voit apparaître

une seconde à sa fenêtre

et qui preste s'évanouit

mais dont la svelte silhouette

et si gracieuse et fluette

qu'on en demeure épanoui !


et  j'ai signé "Serge".

Elle a pressé le bouquin sur son cœur puis est partie, j'étais déjà accro.

Le reste de la journée m'a semblé interminable, j'avais hâte d'être au lendemain. C'était un samedi, elle n'est pas venue. En état de manque, désespéré et malheureux je n'ai pas écrit une seule ligne. Le dimanche c'est moi qui n'ai pu respecter ce rendez-vous informel  n'osant pas dire son nom, j'ai haï les amis qui ont passé cette journée avec nous  et m'ont privé de ma groupie forestière.

Lundi matin, impatient comme un lycéen qui se rend à son premier flirt j'ai marché aussi vite que possible, mon cœur battait vite et fort, je pensais " et si elle ne venait pas" ?

 Elle était déjà là, ses beaux yeux semblaient mélancoliques, secrètement ils m'adressaient des messages, j'entendais des regards qu'elle croyait muets.

- Serge, vous m'avez manqué terriblement.

Un moment j'ai douté de mes oreilles, moi sexagénaire mûr quoi que bien conservé je pouvais donc être la cause d'un petit chagrin pour cette splendide apparition?

 A ma grande confusion j'avoue que j'en fus ravi. Si je ne pouvais songer à caresser un espoir je n'étais tout de même pas fâché d'inspirer des regrets.

Elle s'est blottie tout contre moi, je ne savais plus ce qui m'arrivait. Je l'ai gardée ainsi longtemps serrée dans mes bras elle sentait bon, une senteur envoûtante, j'aurais donné le restant de ma vie pour que ce moment dure toujours. 
Depuis des années mon cœur qui avait déjà assez fait de bêtises était à la retraite lui aussi, il semblait ne jamais pouvoir se réveiller et c'était très bien ainsi. Soudain il me trahissait, prêt à faire des folies pour une inconnue dont je ne connaissais même pas le nom. Elle s'est dégagée doucement de mon étreinte, a caressé mon visage de ses longs doigts fuselés et a disparu dans les bois.

Mardi matin elle est venue, s'est hissée sur la pointe des pieds pour effleurer mes joues et le coin de ma bouche avec ses  lèvres joliment dessinées et m'a interrogé:

- Je peux vous poser une question?

- Bien sûr.

- Dans votre livre, au chapitre "comme un vol de gerfauts"  Eden votre héroïne accompagne Eric et Camille qui gênent ses ambitions au sommet d'un immeuble en construction et les pousse dans le vide au risque de tomber avec eux.

- Oui.

- Je me demandais… et puis non vous allez vous moquer de moi.

- Pourquoi me moquerais-je ?

- Vous ne rirez pas, promis ?

- Promis.

- Je me demandais si un homme aurait eu le courage de commettre un tel acte pour Eden. Je n'ai pas une très bonne opinion des hommes en général, peu d'entre eux seraient capables d'une telle preuve d'amour.

- Une preuve d'amour?

- Quelle plus belle preuve que risquer sa vie pour celui ou celle qu'on aime ?

Sa petite moue ravissante m'a fait craquer, à cet instant j'aurais poussé tous les habitants du village  dans ce ravin si elle l'avait exigé.

J'ai pensé aux vers de Victor Hugo :

         

Je ne sais pas si j’aimais cette dame
Mais je sais bien
Que pour avoir un regard de son âme
Moi, pauvre chien
J’aurais gaiement passé dix ans au bagne
Sous les verrous
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.


Sous les verrous, ce petit sonnet était prémonitoire.

Je ne sais pas ce qui m'a pris, peut-être un besoin de me valoriser je me suis entendu lui dire:

- Si un jour quelqu'un vous fait du mal je lui casserai la tête.

Une telle promesse ne coûte pas cher et fait toujours plaisir.

- Merci Serge je suis très touchée mais parlons de choses plus agréables. J'ai adoré bien d'autres passages dans votre livre, en particulier celui où vous parlez du Burkini, puis celui  où vous décrivez le dernier homme qui tue son dernier frère et votre conclusion: la plus grande ruse du diable est de faire croire qu'il n'existe pas. Je n'avais encore jamais ressenti une telle osmose intellectuelle et émotionnelle avec aucun homme.

"Chose plus agréable" pour elle serait donc le dernier homme tuant son dernier frère, curieux non? En tout cas cette cuillerée de miel pour mon égo m'attacha davantage à elle que le tonneau de vinaigre de ma voisine se plaignant quelquefois acrimonieusement des aboiements de mes chihuahuas.


Mercredi matin. Toute triste elle me dit:

- Il ne faudrait plus que nous nous voyions mon mari commence à être jaloux, mais personne ne m'empêchera de venir ici j'ai trop envie d'être près de vous.

Elle était donc mariée et prenait le risque de déplaire à son époux pour moi. Alléluia! Je me suis souvenu des paroles du dernier centenaire de la commune qui aurait bien aimé finir sa vie  tué par un mari jaloux justement, il avait 109 ans mais ne faisait pas son âge, on lui en aurait donné 105 tout au plus hé hé. C'est toute la grandeur de la race humaine que de vouloir plaire jusqu'à son dernier souffle. Contrairement à ce que l'on prétend la vieillesse n'est pas seulement le déclin de la curiosité, est vieux celui ou celle qui a renoncé à plaire ou à convoiter le sexe opposé.


Jeudi matin. Ma fée sylvestre n'est pas là, de lourds nuages sombres obscurcissent le ciel, quelques grosses gouttes mouillent le sol, un éclair déchire l'horizon le tonnerre gronde, des idées noires brouillent ma concentration et mes réflexions. Ces quelques vers empruntés,  à peine modifiés et particulièrement adaptés à mon état d'esprit surgissent de ma mémoire: ( ce sont les derniers, promis )


Dieu fasse que ma complainte aille tambour battant
lui parler de la pluie lui parler du gros temps
auquel on pourrait tenir tête ensemble
lui conter qu'un certain coup de foudre assassin
dans le mille de mon cœur a laisser le dessin
d'une petite fleur qui lui ressemble

Vendredi matin. Elle était là, des larmes coulaient de ses beaux yeux noirs.

- Je me suis disputée avec mon mari à cause de vous, j'ai peur de lui il est violent.

Je l'ai prise dans mes bras:

- Voulez- vous que j'aille lui expliquer que sa jalousie est idiote, il n'a rien à craindre du vieil homme que je suis.

Je ne crois pas une seconde qu'un sexagénaire soit un vieillard mais j'avais envie qu'elle me rassure je n'ai pas été déçu. Sa réponse m'a bouleversé :

- Il y a plus de séduction et de charme dans un de vos petits doigts que dans tout son gros corps dégoûtant et son esprit grossier.

- Qui est votre mari ?

- X… V… Vous l'avez rencontré une fois ici-même il y a une dizaine de jours.                                                      

L'image de l'homme assis sur mon rocher, méditant avant de prendre une décision concernant ses affaires m'est revenue en tête, je n'ai pas de lui le souvenir d'un être grossier ou violent, mais il faut vivre avec quelqu'un pour le connaître vraiment, les tyrans domestiques sont souvent adorables en dehors de leur foyer.


Samedi matin, elle est arrivée et s'est tenue loin de moi, son beau visage était défiguré par des traces sombres. Elle m'a supplié :

- Ne vous approchez pas, je suis trop laide, hier soir il m'a frappée lorsque je lui ai dit que je vous avais revu.

Cette histoire devenait complètement folle, non ?

Le ketchup (condiment stimulateur de colère plus doux que la moutarde) m'est monté au nez :

- Je vais allez le voir et lui expliquer qu'il n'y a rien entre nous.

- Il ne vous croira pas, je lui ai avoué l'attirance que j'ai pour vous.

Tout le dimanche j'ai ruminé, je sentais confusément la catastrophe arriver, le souvenir du minois adorable défiguré par les coups m'obsédait.


Lundi matin.

L'homme trapu aux cheveux roux fournis et frisés était assis sur mon rocher, ça sentait le règlement de compte et la bagarre. A mon arrivée il m'a tout juste gratifié  d'un regard rapide, a détourné la tête et d'une voix lasse m'a dit :

- Bonjour, vous allez bien?

 Il s'est levé pour me laisser la place et s'est avancé de deux pas vers le bord de la falaise, sur le côté gauche où aucun arbre amortisseur n'a pu s'enraciner.

Je le détestais mais mes sentiments envers lui allaient bien au-delà de la détestation. Je le haïssais pour cette  politesse mielleuse précédant vraisemblablement les insultes et le concours de claques, pour sa jeunesse, ses cheveux et, vous allez rire mais qu'il puisse se tenir ainsi tout près du précipice m'humiliait, moi je ne pourrai jamais réaliser un tel exploit je souffre d'acrophobie pathologique appelée aussi peur du vide ou plus improprement vertige.

 Mes yeux étaient fixés sur ses grosses mains croisées dans son dos, ces objets dégoûtants  qui avaient osé  souiller le beau visage de ma sublime princesse. Sans tourner la tête il a prononcé avec une gentillesse qui me parut hypocrite :

-  Votre livre avance comme vous voulez ?

A ces mots j'eus une sensation désagréable, manifestement il me prenait pour un abruti, je n'ai pu dominer ma colère, une voix douce terriblement sensuelle a résonné, à défaut de me raisonner, dans mes oreilles :

 " Quelle plus belle preuve d'amour que risquer sa vie pour celui ou celle qu'on aime."

En une seconde tout mon vernis superficiel de civilisation s'est évaporé, j'ai poussé l'homme dans l'abîme, il a disparu de mon champ de vision, happé par le ravin. J'ai pensé au vers de Heredia " Comme un vol de gerfauts …." vous connaissez la suite.

Pas un seul instant je n'ai eu de remords, je suis rentré chez moi avec la satisfaction du devoir accompli, il avait fait du mal à ma fée il méritait donc que je lui casse la tête comme promis. Il faut toujours tenir ses promesses.

Par prudence je ne suis pas retourné pendant une semaine à la tour Sarrazine, le temps que les choses se tassent. Les premières recherches n'aboutirent pas, on  supposait le mari ailleurs. Le corps fut retrouvé plusieurs jours plus tard par des promeneurs, son crâne avait éclaté sur un rocher après une chute de près de trente mètres.

Chaque après-midi je vais acheter trois baguettes tradition à la boulangerie Lou Pan d'Aqui vers 16 h, heure peu commune me direz-vous la majorité des gens prennent leur pain vers midi. Moi je préfère ce moment où la fournée de l'après-midi me garantit de trouver des baguettes odorantes sortant tout juste du four.
 Ce jour là quand je suis arrivé j'ai dit à Carole et Marie "bonjour les bibiches" comme à mon habitude, il y avait un peu de monde deux dames respectables aux cheveux bleutés permanentés discutaient entre elles en attendant leur tour.

- Le pauvre garçon sera vite remplacé, je le connaissais bien, plus brave que lui cela  n'existe pas.

- Oui, maintenant la voici riche et libre, depuis le temps qu'elle courait avec tous les Don Juan  du canton pendant qu'il se tuait au travail pour payer ses caprices, récemment il lui avait offert une décapotable et je ne te parle pas des vêtements de luxe, des voyages ou des bijoux…!

J'ai demandé à l'une d'elles en redoutant la réponse:

 - De qui parlez-vous ?

- Ah ces écrivains toujours perdus dans leurs rêves ! Vous ne savez pas que Monsieur V….. l'homme d'affaires disparu lundi dernier a été retrouvé mort ce matin  au fond d'un ravin? vous êtes bien le seul de tout le village ! Il a dû glisser en se promenant. C'était un enfant du pays tout le monde l'aimait beaucoup et le plaignait, il était malheureux en ménage. Sa femme, une très jolie métisse qu'il avait sorti de la misère en la ramenant d'Argentine ou du Pérou je ne sais plus, est une belle garce plus ou moins psychopathe. Libre et riche, veuve joyeuse maintenant elle va pouvoir vivre la grande vie qu'elle souhaitait.

 Elle a rajouté à voix basse sur le ton de la confidence :

- Il parait aussi qu'elle avait essayé de séduire un jeune de la commune pour le manipuler et le pousser à tuer son mari, bon sujet de roman vous ne croyez pas ? Heureusement il aurait réagi à temps, enfin c'est ce qui se murmure, moi je ne vous ai rien dit.

Demain j'irai à la tour Sarrazine, Pocahontas sera sûrement là pour se blottir dans mes bras, je n'ai pas cru un mot de ce que j'ai entendu à la boulangerie, les gens sont si méchants…

Vous vous en doutiez peut-être, le lendemain et les jours suivants elle n'était pas là. Vous allez me trouver suspicieux mais à la réflexion je me demande si les traces noires montrées de loin par ma princesse sud-américaine étaient vraiment dues à des coups sur son visage, mais qu'importe.

 Louis Bouilhet me pardonnera d'avoir emprunté et travesti ses vers, ( oui, bon cette fois ce sont vraiment les derniers)


Moi j'ai fui ce chagrin, oublié la traîtresse
Et par aucun regret mon cœur ne fut brisé
Ce que j'aimais en elle c'était ma propre ivresse
Je boirai d'autres vins qui sauront me griser.


Elle n'a jamais été dans ses jours les plus rares
Qu'un banal instrument sous mon archet vainqueur
Et comme un air qui sonne au bois creux des guitares
J'ai fait chanter mon rêve au vide de son cœur
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 On sonne à mon portail, je me réveille en sursaut, des pulsations folles cognent dans ma poitrine à un rythme proche de celui occasionné par une belle tachycardie, le portable posé sur le chevet indique quinze heures. En maudissant l'insolent ou l'impertinente qui ose ainsi assassiner ma sieste je regarde à travers les persiennes qui filtrent le soleil écrasant
. Deux hommes en pantalon de toile, chemisette à manches courtes et serviette en cuir patientent en pleine chaleur. Ils viennent sans doute pour m'arrêter mais qui m'a dénoncé? je pensais naïvement que personne n'était au courant de cette histoire hallucinante! A moitié endormi, le cerveau embrumé, la bouche pâteuse, cherchant fébrilement dans mes contacts le numéro de mon avocat je dis à ma femme:

- J'y vais !

Je m'approche du portail et respire l'air parfumé à pleins poumons, certain de vivre mes derniers instants de liberté. Un des deux hommes me tend une brochure et me dit d'une voix forte :

- Nous annonçons la parole de Dieu qui dit aux hommes "réveillez-vous"!

 Son interpellation me secoue, mes idées s'éclaircissent, remis en ordre de marche mon esprit redevient lucide, je réalise enfin.

L'histoire de ma rencontre avec Pocahontas et ce qui en a suivi était un beau rêve, beau mais tout de même un peu inquiétant par ce qu'il révèle du contenu de mes fantasmes, non?

Soulagé je réponds à l'expert en télétransmission de parole divine :

- Vous tombez bien  justement je dormais.

Les deux hommes étaient des témoins de Jéhovah.

Réfrénant une grande envie de les embrasser je prends toutes leurs brochures : Réveillez-vous, La Tour de garde, Le nouveau testament pour les nuls, Jésus Christ chez les naturistes, Aimez-vous les uns dans les autres, au royaume des dieux aveugles les démons borgnes seront rois etc… en garantissant de les lire avec ferveur et je leur offre à boire.
 Après deux ou trois verres qu'ils ne purent refuser venant d'un disciple aussi prometteur, ils prirent congé précipitamment lorsque je prétendis, pourtant innocemment, que Jésus après sa résurrection était apparu d'abord à des femmes pour que la nouvelle se répande plus vite.

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 Quelques mois plus tard j'emmenai mes petits-enfants jusqu'à la tour Sarrazine rebaptisée, pour attiser leur curiosité, " l'endroit secret ".

 Après leur avoir fait prêter serment et jurer-cracher de ne jamais révéler son emplacement, les préados adorent le genre  " cercle des poètes disparus" ou " club des cinq ",  nous montons et parvenons sur les lieux. Arrivés là je les mets en garde:

-  Ne vous approchez pas du bord, les rochers sont glissants. Timothée fais attention ne pousse pas ta sœur tu vas la faire tomber dans le ravin.

Il a tourné sa tête vers moi et j'ai lu dans ses yeux une grande joie à cette évocation, ou était-ce encore une interprétation malicieuse de mon esprit ?


Au moment où nous allions partir une jeune femme est venue s'assoir sur un tronc d'arbre mort couché à une quinzaine de mètres de nous, ses longs cheveux bruns encadraient un visage bronzé dans lequel se détachaient de beaux yeux noirs.

Il m'a semblé qu'elle tenait à la main le tome trois de ma Trilogie d'Eden intitulé Ainsi soit-elle !


La petite Ambre a chuchoté à mon oreille:

- Papy, tu as vu la dame là-bas ? elle est trop belle. Elle ressemble à Pocahontas.



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Ces histoires sont extraites du livre :

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Prochaine parution :  Histoire cochonne...


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