" Ne bougez pas, ne faites rien
je
me libère et vous appelle sur le champ. "
- Tu vois, tu peux partir tranquille. Le Psy va m’appeler peut
être même venir, ou me prendre très rapidement à son cabinet, dans tous les cas
je dois me laver et m’habiller.
- Tu as raison. Excuse-moi de ma franchise, mais il était
temps de crever l'abcès. Je serai toujours à tes côtés, nous avons été
heureuses nous deux toutes ces années, non ? Bien sûr je n'ai pas la prétention
de remplacer ta mère, mais j'ai fait pour le mieux. Je vais te laisser. Tu veux
venir manger chez moi ce soir ?
- Non merci tantine tu en as déjà bien assez fait. Davier va
prendre le relais, je dois digérer tout çà, réfléchir, ne t'inquiètes surtout
pas pour moi, j'ai seulement besoin de temps et de tranquillité, tu me connais
je te reviendrais forte comme toujours.
« Ou complètement démolie.» Siffle le serpent
sournoisement dans la tête d’Eden.
Christiane à demi
tranquillisée par la réaction somme toute mesurée et raisonnable de sa
nièce respecte son besoin de solitude,
l'embrasse et rentre chez elle. Elle craignait un drame, il semble évité, le
psy va arriver et prendre sa nièce en charge, il vient de lui répondre et il
sera bien plus en mesure d’aider Eden qu’elle-même.
Eden reste seule,
silencieuse, elle ne peut même pas pleurer, une angoisse terrible lui bouffe le
ventre et le cœur. Comment peut-on vivre après une telle révélation ? Elle se
dirige directement sous la douche, complètement démolie, elle se sent sale, si
sale.
La douche chaude
l'apaise, elle cherche à ressusciter les ombres apparues lors de sa
confrontation avec son père. En faisant l'effort de se concentrer sur le visage
méchant de son géniteur qui va servir de catalyseur, les premières images
apparaissent un peu brouillées. La fenière… Oui c'est là… La voix de sa mère
qui l'appelle, oui… Cette fois elle y est, elle se voit comme dans un film,
elle est petite pour ses onze ans et très maigre.
Assise,
recroquevillée entre deux bottes de foin au bord du vide, elle se cache, elle a
peur comme toujours, une nausée tord son estomac. Son frère monte à l'échelle.
- Viens ma petite vipère où te caches tu ? Tu sais que je
finis toujours par te trouver, viens ma belle, je voudrais te faire un câlin,
mais pas maintenant, les vieux passent à table, je viendrai te voir cette nuit
quand ils dormiront et tu pourras bien essayer de me mordre. Je suis encore
plus fort que toi, tu feras ce que je voudrai, comme d'habitude.
Eden sort de sa
cachette, elle sait qu'elle ne craint rien pour le moment, les parents les
attendent pour manger et l'heure c'est l'heure chez les militaires. Forte de
cette sécurité provisoire elle défie son bourreau.
- Je vais tout dire, je ne veux plus que tu me touches,
arrête ou je te promets que je dirai à tout le monde ce que tu me fais.
- Ha ha ha, essaye donc un peu pour voir, personne ne te
croira, tu finiras à l'asile, c'est ta parole contre la mienne, devine qui le
père va prendre pour une menteuse ! En plus pense à la peine de la mère, elle
en crèvera et ira brûler en enfer.
- Arrête je te dis, je ne crois plus en l'enfer ni au
paradis, tout çà c'est du mensonge, maman ne risque rien et je m’en fiche si je
dois passer pour folle, je ne veux plus que tu me touches, je te mordrai où il
faut et tout le monde saura ce que tu m'as forcé à mettre dans la bouche !
L'argument a porté,
le garçon semble profondément embêté, il réfléchit et sourit à nouveau. Tout en
s'approchant doucement du vide pour attraper Eden, il siffle entre ses dents.
- Tu as raison, tu deviens dangereuse vipère et trop grande,
de toute façon tu es bien moins mignonne qu’avant. Ce n'est pas grave j'ai
d'autres projets, une autre prendra ta place, la petite Noémie sera bientôt
mûre pour moi. Elle est si douce, si mignonne, on en mangerait. Rien que d’y
penser, rien qu’en imaginant ses petites mains potelées me caresser et ses
petites lèvres pulpeuses sur mon gland, ho putain, regarde, j’ai une érection,
viens voir, on a juste le temps.
- Je t'interdis de toucher ma petite sœur ! Pas
Noémie !
- Toi m’interdire de faire ce que je veux, tu t'es vue
petit morpion, viens plutôt à ta place et vite, viens lécher ma belle queue,
sinon ce soir c’est ton p’tit cœur qui devra le faire.
- Non, pas Noémie ! Je te tuerai !
Loïc est tout près du bord, les premiers accents de la
cinquième symphonie que sa mère écoute régulièrement leur parviennent de la
fenêtre de la cuisine grande ouverte. Il tourne le dos à sa sœur pensant encore
avoir piégé sa proie avec son nouvel argument, face au vide il lève les bras et
déclame grandiloquent.
- Je suis le roi du monde, je suis tout puissant et je n'ai
peur de personne !
Folle de rage ,
imaginant ce porc faisant subir à Noémie les mêmes horreurs qu'elle supporte
depuis si longtemps, Eden se jette sur lui de tout son poids, ils basculent
tous les deux dans le vide, le sol se rapproche rapidement, bruit écœurant d'un
melon qui éclate, c'est le crâne du garçon contre la pierre. L'impact annonce
sa libération et explique enfin son addiction au pam pam pam pam de Beethoven,
une douleur intense pulse dans sa tête, puis la nuit...
Son subconscient à
ouvert les vannes, tout remonte en surface.
Les agressions de son frère ont commencé par des attouchements dans une
église. Flashback, le
film défilant devant ses yeux en accéléré s'arrête sur une image, elle revit le moment où son cauchemar a
commencé :
Elle a six ans et
joue avec Loïc. Elle l'aime, c'est son grand frère adoré qui la câline,
l'entraîne partout avec lui. Il prend toujours sa défense dès que son père la
dispute. Les réprimandes et punitions
paternelles sont quasi quotidiennes, elle est turbulente et casse cou, lui est
calme, serviable et respectueux envers son père.
Loïc lui demande de
la suivre, il dit connaître un endroit trop trop beau pour jouer à cache-cache.
Elle le suit, ravie, confiante. Ils entrent dans la petite église du village de
Lachaux, elle n'a jamais encore mis les pieds dans une église, ses parents sont
évangélistes, ils fuient les édifices catholiques. Il lui montre les tableaux
et les statues, elle n'est pas très rassurée, il fait froid, l'intérieur est
assombri par la lumière diffuse des vitraux et çà sent bizarre ; mais elle
ne craint rien, son frère est là, il est si grand et si fort. Ils font le tour
de l'église, il veut sans doute s'assurer qu'elle est bien déserte, il s'assied
dans un petit recoin, l'installe sur ses genoux, dos à lui et lui parle de
l'enfer.
- L'enfer est un lieu où le diable torture et brûle
certaines personnes qui ont été méchantes.
Ses parents lui ont
déjà vaguement parlé de cet endroit qui fait très peur, elle a préféré quand
ils lui ont décrit le paradis, le jardin d'Eden ont-ils dit. Elle a retenu ce
joli nom, elle espère bien y aller plus tard quand elle sera très vieille.
C'est là où le petit jésus nous attend et où on s'amuse pour toujours si on a
été sage sur terre.
Loïc dit que si elle ne fait pas tout ce qu'il
veut, elle sera très méchante et sa maman ira en enfer. Elle n'a jamais pensé
que sa maman puisse être concernée par l'enfer, elle est si gentille, mais si
son frère le dit, c'est sûrement vrai, elle fera tout ce qu’il lui dira, elle
aime tellement sa maman.
Il commence par la
caresser là où personne ne l'a jamais touchée, sauf sa maman pour la laver, il
lui explique que lui seul pourra protéger sa maman de l'enfer si elle se laisse
faire. Elle se sent mal, elle n'aime pas ce que la main de son frère lui fait,
elle pleure, elle dit qu'elle ne veut pas, il répond:
- Tu n'as pas le choix, si tu aimes ta maman il faut te
laisser faire, de toute façon papa te dirait que c'est normal, toutes les
gentilles petites filles font çà avec leur grand frère. Tu ne veux pas décevoir
encore ton père ? Bon, maintenant c’est toi qui va me faire ça et tu vas voir
que moi je ne vais pas pleurer.
Il la met debout,
écarte les pans de sa blouse noire, baisse son pantalon, prend sa petite main,
lui imprime un mouvement de va et vient sur son sexe gonflé, après quelques
secondes un liquide blanchâtre jaillit, une odeur écœurante se répand dans
l'air, Loïc respire très vite et très fort, il répète à la fillette terrifiée.
- Si tu parles à quelqu'un de notre jeu, ta maman ira en
enfer.
Elle ne dira rien
bien sûr, elle veut préserver sa maman. Elle essaiera vainement de fuir son
frère et ses jeux dégoutants qui vont dégénérer en un long, très long calvaire,
c'est le début d'une enfance cauchemardesque qui explique ses colères, sa haine
des hommes, sa violence... Plus tard quand elle croisera le regard de son père
il détournera les yeux, comme ces gens lâches dans les transports en commun,
qui font semblant de ne pas voir les agressions qui se déroulent sous leur nez
et restent sourds aux demandes de secours.
Les images se
brouillent, le film est terminé, retour à Cannes. Eden se lave, se relave et se
relave encore, puis finit par se laisser glisser le long de la faïence,
prostrée dans son bac a douche comme un fœtus dans son liquide amniotique, elle
pleure et crie comme un bébé qui naît à la vie.
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