jeudi 26 novembre 2015

L'enquête interdite.




L'ENQUETE INTERDITE.




Bonsoir, c'est moi, le vieil Henri.
 Je vais maintenant vous narrer par le menu ( j'adore cette expression) l'enquête réalisée par Laurence Poncet, la policière d'Auch, la seule à avoir tout compris, celle-là même qui était venue m'interroger sur mes discussions avec Eden juste avant qu'elle ne passe chez les Ecossais d'Eauze retrouvés morts dans un bain de sang.Comme elle était légèrement enrobée, pour me moquer un peu je l'ai appelée Laurence Porcelet hé hé.
Par contre pour respecter le suspens, je ne peux pas vous dire avec qui elle discutait. J'appellerai son interlocuteur : son interlocuteur . Bien trouvé non?

 RECIT DE LA POLICIERE :

- Tout d'abord je vais vous expliquer comment j'ai travaillé et suis arrivée chez vous au terme de mon enquête parallèle et je peux maintenant vous l'avouer, interdite. Lorsque j'ai été appelée sur cette affaire, unique en son genre, tous mes logiciels intellectuels et mon expérience étaient obsolètes et inopérants. Je me suis rendue à Eauze bien sûr, mais aussi sur les lieux des autres meurtres bien qu'on ne m'ait rien demandé. Je sentais et espérais la grosse affaire, mon instinct me trompe rarement, je ne me suis fiée qu'à lui.                                                                                                                                              J'ai eu la chance si l'on peut parler de chance, arrivant la dernière avec des yeux neufs et disposant du recul et des informations glanées au fur et à mesure des enquêtes, de pouvoir mettre côte à côte les pièces du puzzle et émettre l'hypothèse d'un responsable unique pour les six meurtres. Malheureusement il a semblé au procureur et à la juge instructeur qu'il s'agissait plus d'une construction intellectuelle, que de conclusions suffisamment étayées pour amener une vraie conviction. Tout le milieu policier et judiciaire  privilégiait la piste de plusieurs tueurs locaux : Un petit voleur dealer, un mari revanchard, une maîtresse délaissée, des enfants du pays ou comme on dit en cyclisme "le régional de l'étape" arrangeaient bien tout le monde.                                                                                                                             Personne ne souhaitait agiter l'épouvantail du loup-garou buveur de sang, l'économie de la région  aurait trop souffert, imaginez la catastrophe si tous les pèlerins avaient désertés le "camino" comme un seul homme sous le coup de la peur, beaucoup de gens du coin vivent en partie grâce au pèlerinage. De plus, environ 400 kms séparent le premier meurtre du dernier, vous admettrez qu'il faut être culottée ou perspicace pour relier ensemble des évènements aussi  distants et aussi différents. Bref, personne n'était prêt à me suivre dans mes élucubrations pour donner l'orientation adéquate à cette affaire. Je me suis débrouillée toute seule comme une grande, ceci explique ma venue à Cannes pour vérifier mes hypothèses.
   Son interlocuteur  surpris demande.
- Vous êtes donc actuellement la seule sur la piste d'EDEN ?
   Toute fière elle répond.
- Je suis en effet la seule à connaître son identité, si c’est ce que vous demandez.
- Savez vous Laurence, vous me permettez de vous appeler ainsi, que le destin d'une vie peut se décider en un mot ?
- Pourquoi me dites vous cela ?
- Une idée subite, je vous expliquerai tout à l’heure en détail, mais si votre enquête est juste, envers et contre tous, vous allez finir ministre de l’intérieur sur ce coup là… Mais poursuivez, je vous en prie.
- Avez vous déjà entendu parler de la Vidocq society de Philadelphie ?
- Jamais.
- Il s'agit de 82 anciens policiers américains à la retraite. Pour se désennuyer un peu ils ont créé un club de réflexion qui se réunit une fois par mois je crois. Ils ont baptisé leur cercle "the Vidocq society" en hommage au fameux Vidocq français, tour à tour bagnard, puis policier et même chef de la sureté au début du 19e siècle, il est considéré comme le père de la police judiciaire. Ils ont choisi d'être 82 en référence à l'âge de leur idole lors de son décès. Chaque mois, ils choisissent une affaire non élucidée ou faisant d'après eux, l'objet d'une erreur judiciaire et ils refont l'enquête. Leurs résultats sont très étonnants, ils ont solutionné nombre de dossiers.
- Vous avez fait appel à eux !
- Non bien sûr, ils sont à Philadelphie et ne traitent que des affaires irrésolues de plus de deux ans. Par contre j'ai contacté deux de mes anciens collègues retraités qui ont été aussi mes maîtres, Benoit et Louis. Trop contents de sortir de leur oisiveté ils ont sauté sur l'occasion et m'ont apporté une contribution précieuse, nous avons créé une micro Vidocq society Gersoise. Ensemble, nous avons passé des nuits entières à échafauder des scénarios possibles, sans tabou, mais sans aucun résultat. Je leur ai résumé les différentes péripéties comme je vais le faire pour vous, n'oubliez pas que à ce moment je connaissais l'ensemble des éléments du drame, contrairement aux divers enquêteurs qui étaient préoccupés uniquement par leur dossier, la tête dans le guidon.
 Lorsque je suis arrivée à Eauze chez les Mac Fayden, le mardi 18 mai en fin de matinée, tout indiquait une dispute conjugale ayant mal tourné: le whisky, le vin, le cannabis, un rapport sexuel où la femme a peut être repoussé le mari au dernier moment, ce qui aurait déclenché sa fureur, elle avait du sperme sur le corps, la maison fermée de l'intérieur, la table non desservie avec 2 couverts, l'arme des meurtres dans la main gauche du mari gaucher connu pour ses violences. Les voisins n'ont rien remarqué de suspect, pas de mouvement particulier autour de la maison le samedi. Là encore, l'affaire était résolue pour tous, en instance de classement sauf pour moi. Il se trouve que c'était ma première grosse enquête et je dois avouer que j'avais les dents qui rayaient le parquet, la brigade de recherche est un univers masculin, j'avais envie d'exister autrement que par les grosses blagues sexistes de mes collègues.                                                                                                                                    
    Cinq éléments m'ont interpellée en tant que femme d'abord, aucun homme je pense n'aurait pu remarquer certaines anomalies, puis en tant que policière :
1/ Le drame a eu lieu dans une chambre réservée à la location et non dans leur chambre conjugale, or les femmes n'aiment pas salir inutilement une partie de leur maison sans raison ou nécessité, même pour satisfaire une envie soudaine.
2/ On a retrouvé 35 € en espèces dans l'agenda de Mme Mac Fayden, somme correspondante au prix d'une nuitée (repas du soir, chambre, petit déjeuner) pour une personne. Sur la page du Dimanche était noté "rien", comme sur l'agenda de Louis XVI le 14 juillet 1789, jour du déclenchement de la révolution française, certains "riens" sont plus parlants que d'autres. J'ai donc présumé que cet argent concernait une location effectuée le Lundi, élémentaire mon cher Watson.
3/ Les analyses ADN ont révélé plusieurs traces  d'hommes et de femmes, quelques cheveux féminins teints en blond, aucun profil ne figure au fichier.
4/ J'ai remarqué dans la salle de bains contigüe à la chambre une seule serviette mouillée et parfaitement remise en place. Les morts n'ont pas pour habitude de se laver, se sécher et ranger leurs affaires, non ?
- Ils se sont sans doute douchés avant leurs ébats.
- Il y aurait eu deux serviettes, on ne se sèche pas avec une serviette déjà mouillée et de toutes façons on la laisse sécher avant de la ranger. J'ai donc supposé qu'une troisième personne, le meurtrier, s'était lavée avant de s'enfuir. J'ai gardé le meilleur pour la fin :
5 / Les Ecossais avaient beaucoup fumé ce soir là, des cigarettes, des joints, il y avait des mégots plein le cendrier. Je n'ai trouvé ni briquet, ni allumettes susceptibles d’allumer tout çà. Croyez moi, j'ai cherché absolument partout, j'ai l'habitude de côtoyer des fumeurs, ils ne se déplacent jamais sans leur feu à portée de leur main.                                                                                                                Plus tard les autopsies ont montrées que la femme avait reçu deux coups de couteau, l'homme un seul, vraisemblablement en portant tout le poids de son corps sur l'arme pour l'enfoncer, mais tenez vous bien, il est possible vu l'angle d'entrée des plaies de la femme que les coups aient été portés par un droitier. Ce sont des indices qui pourraient paraître bien minces, j'en conviens mais dans le contexte du moment, 6 meurtres en quelques jours, dans une région plutôt tranquille, j'avais envie de décrocher le gros lot et j'ai cherché comment je pouvais articuler toutes ces données.                                                                                                               
  Je suis partie d'un postulat, raisonnement par l'absurde, équation à une inconnue. J'ai imaginé qu'il y avait une troisième personne chez Mac Fayden le jour du drame.                                         
  Je privilégiais plutôt un homme, je ne pouvais pas croire qu'une femme puisse avoir une telle force et une telle détermination. Cet homme étant vraisemblablement le psychopathe ayant semé la mort sur son passage tout au long du "Camino Fancés", je voulais trouver qui il était et comprendre ses motivations. J'ai repris toute l'histoire en essayant de la confronter à ma théorie. Je vais vous résumer mon enquête qui devint vite parallèle aux enquêtes officielles. N'hésitez pas à m'interrompre en cas d'incompréhension, c'est un peu compliqué, mais vous avez l'habitude des situations tordues. 

                                                                                           

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