mardi 3 novembre 2015

Tu souhaites la mort de ton père ?





                     

   Eden se réveille, ouvre ses volets, il fait grand jour, la lumière de la côte d'azur magnifie tout son environnement, elle redécouvre combien cette région est belle.
Des coups sont frappés à sa porte. « La police déjà ! Pourtant je n'ai rien fait ? » Se dit elle encore complètement embrumée par le sommeil. C'est tantine Christiane qui hausse la voix.
- J'ai vu que tu étais rentrée, ta voiture est au parking. Ouvre s'il te plait !
   Rassurée elle ouvre, encore à moitié endormie, tout flotte autour d’elle. Sur le pas de sa porte sa tante, euphorique de voir son Eden pleine de vie et souriante ne résiste pas au plaisir d'étaler sa connaissance du beau langage, vieux rituel entre elles depuis leur lecture de "Fortune de France".
- Si nous avions vécues au 16è siècle je t'aurais dit : Je quiers de vous que vous ayez l'usance de me bailler l'entrant.
- Entrez vite, votre altesse, votre présence me fait honneur.
   Eden serre Christiane dans ses bras et puise en elle comme d'habitude la force tranquille qui  recharge ses batteries.
- Doucement ma belle, tu vas me broyer les os. Comment va mon frère ? Je me suis fait du souci pour lui et un sang d'encre pour toi quand j'ai appris tous ces meurtres là où tu étais. J'étais malade de te savoir seule là-bas.
- Quelle heure est-il ?  13 h ! houlà ! Doucement tantine, je vais te répondre, mais j'ai la tête dans le seau, je me réveille juste, j'ai roulé toute la nuit. Assieds toi, je nous fais un café bien fort comme tu les aimes. Moi aussi j'ai des questions à te poser, mais laisse moi d’abord retrouver mes esprits.
   L'eau s'écoule, une bonne odeur se répand. Christiane redoute les questions de sa nièce, elle a jusque là toujours pu éviter un certain sujet qu'elle porte en elle comme une malédiction. La stratégie et les envoutements d'Eden sont immuables : elle crée une ambiance propice aux confidences, noie ses interlocuteurs sous un flot de gentillesse et quand on s'y attend le moins la question importante arrive.                                                                                                                      
  Sans doute son interrogation concerne t elle son bel amoureux, peut être veut elle lui annoncer qu'elle veut se marier avec lui. Tantine imagine déjà sa nièce radieuse en robe de mariée, cette idée l’emporte loin dans ses pensées. Voyant un sourire béat sur le visage de sa tante, Eden demande :
- A quoi peux-tu bien penser qui te réjouit autant ?
- Je t’imaginais le jour de ton mariage, je suis si heureuse de te retrouver.
   Eden prend sa tante dans ses bras une deuxième fois, besoin encore de son énergie.
- Merci de t'être occupée de moi pendant toutes ces années.
   Eden n'entend plus le serpent, à sa place la vieille chanson d'Hugues Auffray lui trotte dans la tête :
« Dis moi Céline, qu' est il donc devenu   
  ce gentil fiancé qu'on n'a jamais revu  
 est ce pour ne pas me laisser tomber                                                                                     
 que tu l'as laissé s'en aller »
- Christiane, en parlant de mariage, pourquoi ne t'es tu jamais remariée ? C'est sûrement de ma faute, comme tu devais t'occuper de moi je t'ai empêchée de trouver ton bonheur ! Tu es très séduisante et je me souviens encore de ce gentil garçon qui déposait des fleurs et des poèmes sur ton pare brise.
- Mon premier mari m'a trop déçu et comme je ne l'aimais pas vraiment je suis partie au bout de trois ans de vie commune, ça m'a suffit, pas eu envie de retenter l'aventure.
- Si j'avais été là, j'aurais cassé la tête de ton salopard de mari.
- Tu étais bien trop petite, tu sais il n'était pas méchant, seulement incolore et inodore, mais aujourd'hui c'est sûr qu'il ne ferait pas le poids face à toi. Mais ne disons pas de mal des absents.
   Eden s’amuse.
- Si on ne dit pas du mal des gens qu'on connait on va dire du mal de qui ?
- Tu es très mignonne avec tes cheveux courts blonds comme la paille, mais pourquoi les avoir coupés, ça sent la dispute avec ton amoureux. Tu ne m'as jamais parlé de lui, il est toujours aussi  séduisant ?
- On dit blond comme les blés - taquine gentiment Eden en souriant, comme lorsqu'elle était petite fille.
- Moi je dis comme je veux ! Répond Christiane à sa nièce adorée en souriant à son tour.
- Tu savais pour mon amoureux ?
- Je ne suis pas aveugle, il y a longtemps que j'avais tout compris, tu aurais pu m'en parler ?
- Tu connais mon côté pudique.
- C’est ça, tu avais surtout peur que je te le pique, plaisante Christiane. Il est marié et une seule maîtresse suffit, tu ne penses pas ? C'est déjà assez compliqué les ménages à trois, alors à quatre... Je sais bien que les chaînes du mariage sont tellement lourdes qu'il faut être au moins trois pour les porter, mais il ne faut pas exagérer!
- A la renaissance je t'aurais répondue : il y a certaines licences sur lesquelles le siècle cligne doucement des yeux, mais plus sérieusement, comment sais tu qu'il est marié ?
- Je sais tout de lui qu'est ce que tu crois, j'habite la région depuis si longtemps. Tu veux me dire qu'il va divorcer pour se marier avec toi ?
   Sans transition, le sourire d'Eden disparait brutalement, son regard s'assombrit, elle s'éloigne, devient grave, la phase d'envoutement est terminée.
- Mes questions n’ont rien à voir avec mon amoureux. Papa va mieux, on lui a débouché deux artères et implanté deux stents, il est hors de danger et c'est bien dommage.
   Christiane la regarde incrédule.
- Tu souhaites la mort de ton père maintenant, je sais bien que vous n’êtes pas sur la même longueur d’onde mais quand même…

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