dimanche 1 novembre 2015

Retour à Cannes . Un voyage " sans histoire "




     18h, départ de Chamalières,  Coyote en fonctionnement pour les radars, musique pleine puissance avec une compilation de ses morceaux préférés: cinquième symphonie bien sûr, 3e symphonie de Brahms reprise par Gainsbourg sous le titre Baby Alone, concerto de Tchaïkovsky, duo des fleurs extrait de Lakmé. Pour la première fois Eden trouve la musique de Beethoven agressive, elle se surprend à préférer Brahms et Tchaïkovsky, surtout le sublime concerto immortalisé par Mélanie Laurent, leurs harmonies lui paraissent plus profondes, plus délicates, plus sensuelles, des frissons parcourent son corps, elle n'a pas de mémoire mais elle a l'oreille absolue.
   A72, Saint Etienne, Givors, Vienne, A7, arrêt pipi et jambon-beurre-café à Isardrôme, plus loin petit somme sur l'aire de Mornas. Un homme bien habillé frappe à sa vitre et la sort de sa sieste.
- Excusez moi, pourriez vous m'emmener jusqu'à Marseille ?
- Désolée, je ne prends jamais personne en stop.
- Dommage, encore toutes mes excuses de vous avoir dérangée.
   Elle se ravise, après tout elle avait bien été soulagée que les camionneurs la prennent en charge, de plus, l'homme parait  inoffensif et avec son couteau additionné à sa maîtrise du taekwondo elle se sent invincible. Le serpent suggère.
- Tu as raison, prends le ce gros porc tu pourras le saigner.
- Ecoute bien maudit serpent, je fais un pari avec toi. Si ce type descend vivant de ma voiture, tu reconnaitras que je suis innocente comme un agneau et tu ne parleras plus de tout le trajet !
- Il va forcément essayer de te tripoter, il n’a aucune chance, pari tenu.
   Elle ouvre sa portière et s’adressant à l’homme propose avec un large sourire.
- Allez montez, je vais à Cannes, je vous déposerai sur l'aire après le péage de Lançon, mais pas de blague, je suis armée.
- Merci, il y a encore des gens sympas sur cette terre. Vous ne risquez rien avec moi, je ne suis pas dangereux.
   L'homme doit avoir une soixantaine d'années, rassurant avec son ventre confortable, cheveux gris, pantalon de costume noir, un stylo dépasse de la poche de sa chemise, sans doute un représentant. Ils reprennent l'autoroute.
   Il raconte son histoire, encore tout tremblant.
- On m'a volé ma voiture sur le parking. Je n'ai plus rien, papiers d'identité, carte gold, fric, téléphone. Mon portefeuille était resté dans ma veste que j’avais laissé sur le siège arrière juste le temps d’aller au toilettes, je pensais faire au plus vite. Je suis trop con.
- Vous avez demandé au responsable de l'aire s'il y a des caméras de surveillance?
- Oui, mais les caméras sont uniquement dirigées sur les pompes de distribution de carburant pour identifier ceux qui voudraient partir sans payer. De toute façon, identifiés ou pas mes voleurs et ma voiture sont loin maintenant. La gendarmerie est fermée, je déposerai plainte demain matin.
- Vous habitez Marseille ?
- Non, je voudrais prendre le train pour rentrez chez moi près de Toulon mais je n'ai plus un sou, il faut absolument que j'y arrive cette nuit, ma femme est malade. C’est pour cela que je voulais faire au plus vite… Quel con  je suis !
   Ceci dit partir aux toilettes, sur une aire d’autoroute, en laissant sa veste et son portefeuille bien en évidence dans sa voiture, il faut effectivement être un peu naïf quand même.                     Eden, attendrie par cet homme qui se soucie tellement de l’état de son épouse et qui se traite de con toutes les cinq minutes, propose.
- Voulez vous que je vous dépanne de 50 € pour prendre votre train ?
   Lui très grand seigneur :
- Il n’en est pas question.
- Pourquoi ? Je vous laisse mon adresse et vous m'enverrez un chèque.
- Cela me gêne, vraiment.
- J'insiste.
   Cet homme est si correct et désemparé. Eden est ravie, ainsi elle va gagner son pari contre le serpent. Non seulement elle n’est pas une meurtrière, mais elle est même plutôt une bonne Samaritaine. Les yeux mouillés il la remercie et gêné change de conversation.
- Vous avez écouté la radio ?
- Non, pourquoi ?
- On ne parle que des meurtres du chemin de saint Jacques de Compostelle, il parait que tout est lié, un tueur en série roderait par là bas d’après les journalistes, mais la police dément catégoriquement. On ne sait pas qui croire.
- J'étais à Chamalières, je ne suis pas au courant.
- Vous êtes bien la seule.
   Elle le dépose après le péage de Lançon, lui remet 50€ en insistant encore un peu, il note son adresse, lui baise la main, royal. Elle attendra le chèque en vain…
   Elle ne saura jamais que l'homme gagne 200€  par jour avec sa petite escroquerie, sans peine, sans charges sociales. Sur 20 automobilistes il y a un pigeon, mais il y met la manière, la classe, de plus il note scrupuleusement les immatriculations pour ne pas taper deux fois à la même portière, pas fou, un vrai pro. Sa femme le récupère chaque soir...
   Il ne saura jamais qu'un serpent caché dans la ravissante tête de sa sublime conductrice réclamait sa mort à cor et à cri, pendant son voyage sa vie n'a tenu qu'à un fil.
- Pourquoi ne l'as tu pas tué ce paumé, tu fais dans le social maintenant ?
- Tu as la preuve de mon innocence, j’ai gagné notre pari, je ne veux plus t’entendre. Tu vois, contrairement à ce que prétend papa je n'ai rien d'un monstre, le monstre c'est toi et je vais bientôt te tordre le cou.
   Cannes, 20 mai 2010, deux heures du matin. L'air iodé est très doux, une gourmandise pour ses poumons. Elle entre dans son appartement, heureuse, enfin en sécurité, tout près de ceux qui l'aiment, ouvre la fenêtre, s'effondre sur son lit avec délice et s'endort crevée.

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